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Les voyous et leurs idiots utiles, par Maxime Zjelinski

Publié le 18 mai 2009 par Roman Bernard
Ce qui frappe quand on aborde le sujet de la délinquance, des bandes violentes et des actes de malveillance en tout genre, c'est la hâte avec laquelle les représentants d'une certaine sensibilité politique font de ce problème une histoire de chiffres.
Quand bien même les chiffres diraient le contraire, rien ne justifierait l'importance excessive donnée à ce phénomène. Les hommes de gauche hésitent ainsi entre deux positions pour le moins contrastées : il y a assez d'insécurité en France pour disqualifier la méthode Sarko mais pas assez pour prendre au sérieux ceux qui en 2002 votaient pour le Front national (à cause des sondages, selon les socialistes). Où donc se situe le seuil en-deçà duquel tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes ? Quel est cet optimum au-delà duquel la fermeté est la règle ?
Il faut dire qu'à gauche, la racaille passe pour un ange à côté du patron, ce « riche délinquant » (Ségolène Royal) qui licencie à tour de bras. La conquête de nouveaux droits sociaux prime l'application des droits déjà existants. La victime d'un encapuchonné intéresse moins que l'employé de Continental dont le malheur révèle les « méfaits du libéralisme ».
En outre il faut, nous rappelle le bien-pensant, éviter tout amalgame et faire la part des choses. Toutes les racailles ne s'appellent pas Mouloud (qui le prétend ?), et tous les pauvres ne sont pas des racailles (qui le pense ?). Mais dans le même temps on nous explique que la misère et le racisme engendrent le désespoir, et le désespoir la violence. Je doute que les chômeurs, les travailleurs pauvres et les immigrés sans histoire apprécient de se découvrir une parenté avec des sauvages. Drôle de façon d'éviter l'amalgame.
Toutes ces précautions visent en vérité un même but : éviter que les démagogues au pouvoir n'instrumentalisent le désordre à des fins exclusivement politiques (je pense à la réaction de ce jeune étudiant à Sciences-Po tabassé dans un Noctilien). Il est évident qu'à gauche, la hausse de la délinquance dérange, elle met en évidence l'angélisme des uns et des autres qui leur interdit de condamner les vauriens sans parler aussitôt de justice sociale, condition préalable à tout ordre véritable. Les années passant, cette position devient intenable. Mais la délinquance est aussi un argument de la campagne permanente contre le gouvernement : s'il n'est plus permis de nier la gravité des faits, ces faits doivent étayer les conclusions pessimistes des partis de gauche sur la société française, inique, fracturée, bâtie sur l'injustice et le mépris des libertés essentielles. La délinquance devient la preuve que rien ne va plus en France, que Nicolas Sarkozy fait n'importe quoi, qu'un changement est non seulement possible mais urgent. Qui instrumentalise qui ?
La délinquance est non seulement une preuve, mais un outil. Les partis de gauche l'ont bien compris, qui font d'elle un fléau rédempteur. Les politiques, les patrons, les « riches », pour avoir été sourds à la voix du peuple, subiront tôt ou tard, dit le prophète, la violence des exclus, la barbarie des damnés. C'est une lecture eschatologique de l'histoire, qui fait des violences quotidiennes l'accomplissement d'une volonté supérieure, la réalisation de l'Esprit, la révélation ultime.
Faudra-t-il qu'à l'arrivée de ce Nabuchodonosor bigarré nous nous exilions ?
Les racines du mal, on a l'habitude de les chercher du côté de la société.
L'explication de la violence par la misère, la discrimination, l'isolement géographique, par le milieu en somme, ne manque pas de subtilité. Faisant du bourreau une victime et de la victime un bourreau, elle brouille les distinctions que l'on croyait solides. Y adhérer rend intelligent. Le voyou ne savait pas qu'il jouait un rôle historique avant qu'on l'en informe. Car en proposant une lecture de l'actualité, on n'en fait jamais un simple commentaire, on agit, on s'engage dans un conflit où analyses et théories sont récupérées, utilisées, déformées. Le journaliste « professionnel » qui s'acharne à dénoncer toutes les récupérations ne se demande pas quelle utilisation on fait, sur le banc des accusés, de sa sociologie misérabiliste où le vrai coupable est toujours un autre.
D'où vient cette patience infinie à l'égard des bandits ? Qu'est-ce qui pousse un jeune étudiant à prendre la défense de ses agresseurs ? Les explications ne manquent pas. On n'a pas suffisamment rappelé que les violences dont nous parlons frappent une société démocratique, et que l'homme des démocraties, Tocqueville l'a souligné, a sa psychologie, sa vision du monde, sa façon d'affronter le conflit. Rien ne l'occupe davantage que la recherche du bonheur. Projeté dans un monde où tous les jours les lois de l'économie se rappellent à lui, l'homme démocratique aime à croire que l'argent vient à bout de tout. L'idée d'un mal qu'on ne puisse soigner immédiatement par l'argent l'insupporte. D'où peut-être son attirance pour les interprétations marxistes de l'histoire et son aversion pour les conflits armés, favorisée chez nous par la construction européenne. En un mot, l'homme des démocraties n'est pas à l'aise avec la distinction opérée par le sens commun entre ami et ennemi, allié et adversaire, agresseur et agressé : il la trouve suspecte et se dit qu'il y a forcément un moyen de dépasser cette désagréable réalité. En payant des impôts barbaresques, par exemple.
Entre le négociateur infatigable et le sauvage analphabète, l'entente est donc inévitable. Pour une personne associant le bonheur à la prospérité et l'agressivité à la frustration, la violence gratuite ne peut qu'être le symptôme d'une profonde souffrance. Loin donc de porter préjudice aux voyous, le recours systématique et illimité à la violence prouve qu'ils sont au bout du rouleau. Quelles conclusions les Français tireront-ils de cette subtile psychologie du bourreau quand ils réaliseront que derrière elle se cache la loi du plus fort ?
Jusqu'au coup d'État bolchévique en Russie, rien n'interdisait de croire que la foi socialiste complèterait la loi au lieu de l'annuler. Chez nous, la gauche est souvent à deux doigts d'avouer elle-même son mépris pour les « libertés formelles ». Les victimes de la délinquance ne bénéficient pas de ce déploiement d'analyses, de réflexions et de subtiles philosophies dont profitent les racailles. On a l'impression désagréable que le citoyen doit attendre patiemment que la prévention, l'éducation, la réintégration des exclus dans le tissu social fassent leur effet. La sécurité n'est pourtant pas une valeur de droite mais une question de droit. Je crois que le problème de la délinquance aujourd'hui est avant tout politique. Il n'y a pas trente-six manières d'attraper un voyou et de l'emmener au poste. Le vouvoyer, faire copain-copain, lui demander comment va maman ne changera strictement rien, même si les racailles aiment raconter aux caméras qu'un peu plus de politesse de la part des policiers simplifierait leur rapport à l'uniforme. Le problème de l'insécurité n'est pas, en soi, un problème de criminalité en hausse, de bandes armées jusqu'aux dents, de bêtes féroces indomptables : c'est d'abord un problème de complicité entre les brigands et leurs avocats bénévoles qui leur répètent chaque jour qu'ils ne sont pas seuls et que leur violence dit quelque chose d'intéressant à la société. Le plus inquiétant, ce n'est pas cette horde de sauvages débarrassés de toute mauvaise conscience, mais l'avenir que nous prépare cette alliance malsaine entre les barbares et les lettrés.
Maxime Zjelinski
Criticus, le blog politique de Roman Bernard.

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