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Contes de l'ordi sacré : La vengeance du caribou fou 17

Publié le 19 mai 2009 par Porky

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EPISODE 17 : Où le Masque de fer prouve qu'il est un héros digne de la grandeur de ces contes et où la chiantissime Princesse de conte de fée fait encore parler d'elle.

 « Tu ne m'imposeras pas une telle lecture ! rétorqua le Masque de fer avec un geste menaçant. Espèce de faquin, caribou à bois déjanté ! » Le caribou fou leva la patte. Le Penseur Masqué se retrouva couché sur la table, ligoté comme une saucisse, incapable de faire un mouvement. Gudule, qui était allée farfouiller dans la « bibliothèque » (le mot est inadéquat mais rien ne peut décrire l'entassement de vieilles horreurs qui gisaient dans un coin) du laboratoire maudit, revint avec une pile de « livres » qu'elle laissa choir sur le carrelage.  Le caribou fou en saisit un au vol. « Voyons, voyons : Le Béguin des remparts... C'est quoi, ce truc ? Ah non, c'est un livre historique sur Jeanne Hachette. Passons. Voilà ! Je suis sûr que cette triste chose ne résistera pas à la lecture de celui-là : Deux cœurs bien chauds sous les cocotiers. Toute une histoire, dites donc ! Allez, zou, la sorcière édentée ! Assieds-toi là et lis à voix haute. Moi, pendant ce temps, je vais réfléchir aux questions que lui poserai quand il craquera. Chatouille-le de temps en temps pour que ses cris parviennent aux oreilles de mon frère. »

 Dès la première page, le Masque de fer sut qu'il allait être soumis à une torture abominable. Jamais de sa vie il n'avait ouï mots plus malsonnants, phrases plus mal écrites et contenu aussi inexistant. Il faut dire aussi que la façon dont Gudule lisait aurait dégoûté n'importe qui de n'importe quelle littérature. Elle butait sur tous les vocables, ne prenait pas garde à la ponctuation, estropiait certains mots, interrogeait quand il fallait s'exclamer et vice-versa et parvenait à rendre ce qui pourtant relève de la plus nulle simplicité complètement incompréhensible. « Finalement, serait-ce de l'hermétisme ? » s'interrogeait le masque de fer qui avait, on s'en aperçoit, des lettres, et même des lettres modernes vu que, question courant littéraire, et compte tenu de sa date de naissance, il appartenait au siècle du Classicisme pur et dur. (1) Mais Gudule, remise d'aplomb par une baffe du caribou fou (lui aussi trouvait qu'elle lisait d'une façon détestable et ce débit chaotique l'empêchait de penser), se mit tout à coup à exprimer d'une voix plus que convaincue la passion la plus torride. Il faut dire qu'après s'être tapé les dix premiers chapitres de ce palpitant roman, chapitres au cours desquels l'héroïne avait pris trois crises de nerfs (elle était hystérique) et le héros s'était montré certes très viril mais macho au possible, après donc ces chapitres, les deux enfin réunis goûtaient l'approche de la sensualité au cours d'un pique-nique sous les cocotiers. Le Masque de fer tendit l'oreille puis la détendit aussitôt. « Mais c'est insane ! » s'écria-t-il. « Voui ! fit Gudule, transportée. Mais j'aime. Enfin, il va se passer des choses pas convenables ! Tais-toi donc, laisse-moi savourer. » Et sa lecture devint de plus en plus passionnée, au fur et à mesure que la tension montait sous les cocotiers.

Le caribou magique n'avait eu besoin que d'une formule et toute la troupe s'était retrouvée comme par enchantement devant le château d'Onyx Noir. Il était toujours perché en haut d'une montagne plus haute que l'Everest et toujours battu par les vents de neige et de glace. Nos héros eurent donc d'abord quelque peine à respirer, vu la rareté de l'oxygène à cette altitude (il fallait les poumons en fer forgé de Gudule pour supporter ça), puis se trouvèrent instantanément congelés vu qu'il devait faire, au bas mot, dans les - 60° centigrades et qu'ils étaient partis l'un avec une chemise, l'autre avec sa robe de Princesse de conte de fée, la troisième avec sa robe rouge sans manches, etc.  Le caribou magique trouvait, lui, cette température fort agréable. Bon, le vent était peut-être un peu frais, mais franchement, de là à se transformer en statue de glace... « Ce sont vraiment de petites natures, ces humains, songeait-il en regardant les cinq ahuris, figés dans des attitudes grotesques. Il va falloir que je leur donne les moyens de respirer convenablement et de supporter ce climat un peu rude. » Quelques passes magiques, une ou deux incantations, une petite danse de caribou histoire de se mettre en jambe, et la glace fondit. Nos amis se retrouvèrent libres de leur gangue, libres aussi de respirer aussi profondément qu'ils le souhaitaient et totalement insensibles au froid. « Oh, de la neige ! s'exclama la Vaillante Marsupilania. J'adore la neige ! Si on jouait un peu ? » « Oh oui, dit Logarithme, Prince Charmant. Moi aussi, j'aime la neige ! Que je voudrais me rouler dedans, les jambes en l'air ! » Il reçut en pleine figure une boule de neige, lancée traîtreusement par Myxomatose qui n'avait pas attendu ses amis pour aller batifoler dans le tapis blanc et immaculé. Il s'ensuivit une bataille rangée à laquelle la Belle Monogramme ne prit pas part, fort occupée qu'elle était à fabriquer, avec l'aide du caribou magique, un superbe bonhomme de neige.

Finalement, le caribou magique s'étant aperçu qu'on perdait un temps précieux en amusements stupides poussa un hurlement guttural afin de rappeler à l'ordre des éléments quelque peu dispersés. Marsupilania s'offusqua grandement de cette initiative qui allait à l'encontre de son autorité. Elle hurla donc à son tour, et si fort qu'une plaque de neige, qui tenait encore par l'opération du Saint esprit au bord de l'enceinte du château, sursauta, perdit l'équilibre et chut sur la tête de la Princesse de conte de fée, laquelle se retrouva aplatie en trois secondes et ensevelie jusqu'au cou. « C'est pas vrai, je rêve ! s'écria-t-elle en crachant des bouts de neige. Il m'a flanquée par terre, ce con !  Aide-moi à me dégager, Marsu, tu vas voir ce que je vais lui faire endurer, à cette enflure ! » « Je suppose que tu parles de l'auteur, dit Marsupilania. A ta place, je ne relèverai pas la provocation. Je le connais bien : il est capable des pires exactions sur ses personnages. » Mais la Belle (et trempée) Monogramme ricana outrageusement.

Le caribou magique désigna du doigt une chose rouge qui ondulait autour du château. « Ils ont rappelé le cercle rouge, dit-il. Ca va compliquer notre tâche. Enfin, heureusement que le pouvoir des M ajouté au mien est plus fort que cette saloperie. » La Belle Monogramme ricana une fois encore. « Désolée, dit-elle, il n'y a plus de pouvoir des '. Je refuse désor'ais de prononcer cette consonne ridicule. » « Mono chérie, je t'en prie, réfléchis bien avant de prendre des décisions comme ça, à la va-vite, supplia Logarithme. Tu vas nous mettre dans une situation inextricable. » « Alors là, je 'en fous co'e de 'on pre'ier sous-tif, dit Monogramme. C'est pas 'on problè'e. » Et très Princesse de conte de fée butée comme un âne, elle alla s'asseoir sur une grosse pierre, croisa les jambes, sortit une cigarette de son paquet et fuma, le regard fixé sur la ligne bleue des Vosges.

(Voilà, ça y est, cela devait arriver ! Le conflit éclate entre auteur et personnages ! Et pendant ce temps, le pauvre Masque de fer subit une abominable torture ! Va-t-il résister ? La Belle Monogramme va-t-elle faire marche arrière ? Comment l'auteur va-t-il réagir face à ce coup de force ? Il a plus d'un tour dans son sac, dites-vous ? Ah bon. Donc, attendons...)

(1) 17ème pour les ignorants. On dit merci à l'auteur pour cette précision.


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