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Vent d’embauche

Publié le 21 mai 2009 par Hortensia

J‘en étais à mon cinquième entretien. Sortie de la station de métro parisien, je longeais la rue qui m’amenait doucement vers le siège de l’entreprise que j’avais déjà visité trois fois. Le bâtiment était ambigu. C’était un gros bloc foncé aux vitres teintées, sur 8 étages. Un de ses petits côtés donnait sur une place percée en son milieu d’une large avenue. Sur la place pour moitié piétonne se trouvaient aussi un petit centre commercial, une grande pharmacie et deux ou trois enseignes de divers cabinets. La première fois, je n’avais pas trouvé l’entrée, j’avais erré quelques minutes, venant frapper à la porte d’un cabinet de consulting. Eux-même ne savaient pas très bien. Cela m’avait intriguée. C’était pourtant le siège d’une entreprise du CAC 40. J’avais fini par trouver la minuscule pancarte devant une porte lambda. J’avais appris par la suite que le mieux pour s’y rendre, était de passer par le centre commercial.

J’arrivais, conformément à mon habitude d’entretien d’embauche, pile 6 min à l’avance. L’hôtesse d’accueil qui était seule me fit patienter sur l’un des larges fauteuils en cuir noir. J’ôtais mon manteau et m’installais confortablement. L’avantage d’arriver 6 minutes avant l’heure est triple. Le candidat peut se reposer et reprendre ses esprits, la personne qui fait passer l’entretien est avertie à temps pour descendre et aller chercher la candidat à l’heure, Ainsi cette dernière n’a nullement le temps d’être dérangée, le énième entretien pour le même poste se faisant en règle générale non pas en fin de journée, comme c’est souvent le cas lors d’un premier entretien, mais soit en tout début de matinée, soit en tout début d’après-midi. Enfin, aucune démesure n’est prise, ni retard possible, ni une avance provocatrice et indécente. Car cet énième entretien, de fait, est important, autant pour le candidat que pour l’entreprise. J’étais dans la short-list des deux candidats, sinon la seule. Ce cinquième entretien, que je devais passer avec un n-1 du CEO, devait se passer avec succès pour tout le monde. Cela n’aurait sinon que fait perdre du temps et de l’argent à cette multinationale.

J’étais en outre, pour le quatrième entretien, passée par un chasseur de tête haut de gamme, un très proche du grand DRH de la dite grande entreprise. Après un test d’intelligence et un test de personnalité, ce dernier avait essayé de me sonder. La grande entreprise était certainement complètement indécise quant à mon embauche. Je devais avoir des personnes pour moi et d’autres contre moi. Je me doutais aussi que le fait d’être passée par un ponte du recrutement avait du avoir son coût. Nonobstant le fait que le chasseur de tête m’avait quittée sans avoir pu me sonder le moins du monde, tout au plus avec quelques à priori que j’avais eu loisir de lui donner lors de me différentes réponses.

Pendant ce quatrième entretien avec ce grand du recrutement, j’avais été gênée, hélas, ce qui ne m’avait pas servi. J’avais eu rdv ce jour-là à 8h30. J’avais commis deux fautes, l’une officielle, celle d’arriver en retard. J’avais en effet misérablement mal calculé le temps de transport en commun. J’étais arrivé avec un quart d’heure de retard, ce qui m’avait valu une attente d’une heure avant de pouvoir être reçue. Le grand recruteur ayant subitement autre chose à faire.

Ma deuxième erreur avait été de me coucher tard la veille et d’oublier de mettre mes lunettes le matin. J’avais mis mes lentilles et celles-ci étaient en fin de vie. J’aurais dû en changer ou être plus reposée. Toujours est-il que je passais 4 heures d’entretien, plus une heure d’attente, les yeux rouges, picotants. Il avait dû penser que j’avais un problème de de santé, même peut-être, vu mes yeux rouges, moral…

Après tout, je m’étais présentée dans la fleur de l’âge, non mariée, sans enfant. Il avait osé me demander ce qu’exerçait mon compagnon. Lorsque je lui avais simplement répondu conseiller d’Etat, il avait fait une grise mine. De toute évidence, il ne me croyait pas.

J’avais pourtant été conviée à ce cinquième entretien. Le premier entretien avait été avec un DRH et le second, avec un de mes futurs chefs. Ils s’étaient très bien passés . Le troisième avait été un jeu de pôles qui s’évitaient. Je l’avais passé avec un des bras droit du grand DRH, mon éventuel deuxième chef. Il n’avait en tout état de cause pas apprécié ce que je lui avait dit sur la valeur d’un employé de base face à un système informatique. Je n’avais pas été préparée à cette pensée. Je m’étais exprimée sans réflexion. J’avais regretté par la suite ce que j’avais dit et m’étais aperçue que je pensais même en fait le contraire, c’est à dire ce que lui pensait aussi certainement. Nous étions donc deux mêmes pôles qui ne pouvaient que se repousser s’ils cherchaient à se compléter. C’était là ma conclusion. De ce fait, je pensais plus que jamais être le profil idéal pour le poste demandé. Il me restait encore à le prouver.

Le grand recruteur m’avait mise en garde. Professionnellement, je faisais l’unanimité. C’était le côté personnel qui laissait tous ces messieurs dubitatifs. Je devais donc réussir à avoir une discussion amicale, suffisamment intime et suffisamment distante.

L’hôtesse me tira de mes pensées et m’enjoignit à aller prendre l’ascenseur. Quelqu’un m’attendrait au huitième étage. Mon ascension fut brève. Une hôtesse m’attendait au huitième, talkie walkie à la main. Quand j’entrais dans le magnifique salon d’attente, je compris que j’étais là dans un espace réservé. La vue était bien sûr très belle, sur les bords de Seine avec de multiples pointes et toits parisiens. La moquette bleue marine était d’une rare densité de couleur et de laine. Inutile de préciser que tout était d’une propreté réfléchissante et extrême. Les vitres teintées donnaient une allure autant privée que privilégiée. On m’apporta fruits, café, boissons et biscuits pour me faire patienter.

Sur la table de salon étaient exposés les bilans financiers des trois dernières années dans une édition de luxe. Les bordures des pages étaient dorées à l’or fin, aurait-on dit, les couvertures était d’un cuir bleu marine similaire à la moquette, souple et odorant. Il me semblait, en les feuilletant, que j’étais la première à les lire.

Le bras droit du numéro un vint m’accueillir. Il avait bien évidemment une allure très soignée, un costume gris sombre impeccable, une chemise blanche, couverte d’une cravate à losanges du même anthracite que le costume et de la même pure blancheur que la chemise. J’étais en fait habituée à ce genre d’accoutrement qui était le même pour toute le monde lorsque mon ami me priait de l’accompagner à des soirées semi-officielles de remise de légion d’honneur, d’avant-premières culturelles ou sportive ou tout autre événement similaires. J’y rencontrais toujours un ex-CEO d’une très grande entreprise ou un ex- grand politique.

Il me fit prendre place à a petite table de réunion, posée au coin de son bureau de 20 mètres carrés. J’eus le temps de voir plusieurs coupes sportives. Je pariais qu’il jouait au golf et avait un handicap impressionnant.

Il s’assit tout à côté de moi et commença à me parler de l’entreprise, de la mission RH, des projets que l’on me confierait. Je le regardais parler et sentais ce souffle venir d’ailleurs. Plus je l’écoutais, toute ouïe, de mes grands yeux, plus je sentais un mal s’engorger en moi-même, me prendre à tout le corps, à toute mon âme, à tous mes sens…

Cet excellent joueur de golf, ce fin gentleman, ce subtil bras droit, ce grand chef, cette haute autorité des grandes entreprises françaises m’offrait son souffle proche, sous une fine moustache aiguë, pourtant rasée du matin. Je sentais des effluves caverneuses et ténébreuses venir envahir mon sens olfactif très pointu.

Je le regardais, j’essayais d’avoir une contenance et pourtant, je n’y tins plus. Le physique fut plus fort que tous mes rêves. Alors qu’il était en train de me relater les divers courants politiques au sein de son équipe, je me mis soudainement à ouvrir une large bouche. Un spasme bref et fort me secoua et je déversai sur la table tout le menu fruité que je venais d’engloutir. Son œil bleu perçant me dévisageait. N’y tenant plus, je m’excusais, me levais, dis que je manquais d’air. Je quittais la belle pièce de bois pour rejoindre les WC marbrés et m’asperger d’eau le visage. J’avais pris avec moi sac et manteau. En sortant des toilettes, je ne me retournais pas, j’allais, d’un pas franc et droit, vers l’ascenseur.

Mon ascension fut ce jour-là en effet éphémère, repoussée par un saugrenu souffle guttural…

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dessin issu du site les gribouillis d’Ani

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