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La mémoire des noms

Publié le 21 mai 2009 par Doespirito @Doespirito

J’aime autant vous l’avouer. A 20 ans, j’étais incapable d’engager la conversation avec quelqu’un que je ne connaissais pas. C’était hyper-pratique. Par exemple, avec les filles. Avant d’arriver au râteau, il faut au moins avoir engagé un brin de causette. Moi, je ne la démarrais même pas. Il fallait vraiment que la fille fasse l’essentiel du chemin, qu’elle vienne me chercher dans ma tanière, qu’elle envoie les chiens, qu’elle balance un fagot enflammé pour m’enfumer pour que je sorte en crachotant, les yeux piquants. Je devais avoir un air touchant, parce que certaines ont pris leur courage et mes épaules à deux mains. Je ne sais pas le souvenir que je leur ai laissé. Elles devraient exiger la médaille du Mérite, pour service rendu à la Nation et la cynégétique. Accessoirement à ma sexualité.

Gabinmorgan
Mais c’était le cas aussi avec le reste de l’humanité. Je n’ai aucune envie de revenir en arrière pour corriger quoi que ce soit. Mais je me dis que si j’avais eu internet, les choses auraient peut-être été différentes. Car maintenant, dès qu’on patine sur un sujet, il suffit d’aller sur un moteur de recherche. Deux fois deux ? Tapez la formule 2*2= directement dans Google, et vous avez une page avec le résultat. Même pas besoin de calculette. Ça marche, j’ai vérifié. Bon, pas avec deux fois deux, quelque chose d’un peu plus compliqué, quand même. Eh bien tiens, justement, comment draguer une fille ? Tac, et hop, on tomber sur un site internet «commentdraguerunefille.com». Crétin comme pas deux, mais au moins on a la réponse.

Alors que moi, je me débattais avec ma névrose, et j’avais juste le Larousse pour comprendre la signification des mots. Et le dictionnaire médical pour investiguer la chose. Mais les situations... Vous imaginez les booms, quand on n’a pas le courage de parler ? Bon, quand la musique est à fond et rythmée, on passe à peu près inaperçu. Mais envoyez un slow, pour voir. Un truc qui ne se danse pas, mais qui se masse… L’angoisse qui m’étreignait au moment des slows, c’est inimaginable.  Alors que là, je taperais : «Comment inviter une fille à un slow». Bingo, on arrive sur un forum, Tom’s Guide, qui prend l’affaire en main, si je puis dire. Je vous restitue la conversation en respectant l’orthographe, qui donne tout son sel à l’échange.

AstaureCharisse
«Salut tout le monde. Je voudrais savoir comment m'y prendre pour inviter une fille a danser un slow car je suis un peu timide (icône souriant) car je vais avoir une boom dans mon bahut ^^ (ça, je sais pas bien ce que ça veut dire) et j'ai remarqué une fille qui me plait et j'ai pas trop envie de me prendre un rateau sachant kil ne vas y avoir ke 4 ou 5 slow (icône qui tire la langue)  aidez moi svp (icône je ne sais pas très bien où j’en suis)». Alors un certain Monsieur L s’y colle pour prendre le timide en question par la peau des fesses : «Attend que la music commence, et vas la voir et dit lui avec un grand sourire « tu dance » ci elle te dit non dit lui que ce n’ais pas une question mais une information et tu la traine sur la piste !». Ah dis donc, on sent le pro qui a l’habitude avec les femmes. Justement, une nana, Gigi18, ramène aussi sa science. C’est bien d’avoir le point de vue de la partie adverse: «Ehe le slow que des bon souvenirs , oui fait comme dit plus haut. Tu va chez la fille tu lui fait un petit sourire et tu l'invite... après a toi de voir ;)». C’est pas compliqué, la vie, mon gars. Suffit juste de demander.

Mais les champions des conseils dans ce domaine, ce sont les Américains : ils ont l’art de s’attaquer à des problèmes simples avec un sérieux épatant. Il y a là-bas des tas de blogs qui traitent de sujets qui paraitraient débiles, si ce n’était ceux de la vie courante. Je viens de lire sur Slate (version américaine), une note signée Gretchen Rubin, qui donne sept trucs pour faire la conversation avec un illustre inconnu. Mais pourquoi je n’ai pas eu ça à mon époque, moi qui me suis retrouvé dans cette situation des centaines de fois ? Des soirées passées à me traîner de pièce en pièce pour éviter les gens, des trésors d’ingéniosité pour qu’on ne me pose aucune question, des réponses qui ferment définitivement la conversation... Pour Gretchen, c’est tout simple. Déjà, il faut éviter de poser des questions auxquelles on peut répondre par un mot. Genre «Vous travaillez beaucoup, en ce moment ?». Réponse : «Oui…». Au piquet, l’âne. OK, mais si on ne peut pas faire autrement ? No souçaille ! Pensez à la question qui va suivre. Bon, par exemple, si on demande à son voisin de table «Dans quelle ville étiez-vous ?» (sous entendu, avant de venir là où nous sommes), la réponse va être lapidaire («Caen», «Montlouis», «Gewurstraminer »…). Alors relancez avec une question du style «Quelle aurait été votre vie si vous étiez resté(e) là-bas ?». Pas bête.

Et aussi, n’oubliez pas de réagir quand on vous dit un truc sensé être surprenant : «Savez-vous que le dernier Marc Lévy est une bouse?» Bon, là, c’est un mauvais exemple, car le dernier Marc Lévy est TOUJOURS une bouse. Si c’est dit pour vous épater, marquez au moins un minimum de surprise : «Non ? Ah bon ? Marc Lévy ? Pas Possible ?...». Votre interlocuteur s’est quand même décarcassé, il faut le récompenser. Car à force de jouer les blasés, on finit par dire des énormités. Comme le gars qui avait demandé «Vous êtes allés où aux vacances de Pâques ?» L’interpellé avait lâché en soupirant : «J’étais dans le coma…», qui n’appelait pas de commentaires, sinon compatissants. Et l’autre, lancé comme une loco : «Et vous avez eu beau temps ?» sous les yeux consternés de l’assistance.

Notre amie américaine termine en donnant ce dernier conseil: «Si vraiment vous ramez, à force d’essayer de trouver des sujets de conversation, admettez-le : On se donne du mal, hein ?». Ben oui, au fond, on ne peut tout le temps être au top. J’aurais dû dire ça, au moment des slows : «Je t’inviterai bien, mais au fond, comme à un moment où à un autre, tu me diras non, parce que toi aussi, tu es coincée, autant ne pas aller plus loin». Comme dit l'autre, sur un malentendu...

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L’article renvoie à une autre note qui donne six trucs pour savoir quoi dire quand on ne se rappelle le nom d’une personne. Ça m’est arrivé, mais des milliards de fois. Si j’avais su… Je vous en donne un des trucs, marrants comme tout. Passer pour un distrait: «Je connais votre nom, mais je bloque : je continue à vouloir vous appeler David. Et je sais que ce n’est pas bon…». Ça, c’est tout moi. Je le replacerai. Ou encore brosser son interlocuteur au patronyme inaccessible dans le sens du poil : «Mais quelle mémoire incroyable. Je serais incapable de me rappeler le nom des participants à cette réunion d’il y a six mois. Je ne me souviens déjà pas des gens que j’ai rencontré hier ! Alors, vous pensez, il y a six mois... Donc, c’est quoi votre nom ?». Moi, je ne me rappelle même pas d’avoir eu une réunion il y a six mois. Alors, les noms des participants, vous pensez...

Finalement, je me demande si je ne préfère pas cette dernière phrase à la fois flatteuse et gonflée. Je me souviens d’une fois où j’ai rencontré une femme dans une soirée. Impossible de la remettre, je connaissais son visage, je l’avais vu 100 fois avant. Je lui ai dit la première idiotie qui m’est passée par la tête : «On se connaît, non ?». Et l’autre, glaciale. «C’est possible, je suis comédienne». Effectivement, elle était à l'affiche de quelques films, à l'époque. Mais elle, aucune chance de me connaître, évidemment. C'était pas un rateau, mais carrément tout Jardiland. Tiens, j’ai encore oublié son nom. Mais là, ce n’est plus de la distraction. C’est Alzheimer.


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