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La société diverse et ses ennemis, par Maxime Zjelinski

Publié le 21 mai 2009 par Roman Bernard
Que le débat sur l'immigration soit difficile et soit l'occasion, pour les deux parties, de s'adresser les pires insultes, il n'est pas besoin de le rappeler, la chose est évidente pour tout le monde. Les explications du soupçon permanent que l'on fait peser les uns sur les autres à ce sujet sont multiples, aussi nous en tiendrons-nous à une présentation du problème tel qu'il se manifeste aujourd'hui.
Tout débat sur l'immigration, il n'est pas inutile de le rappeler, implique le débat sur l'identité nationale. La venue d'étrangers sur le sol français est en effet perçue différemment selon l'idée que l'on se fait de la France et de ce qu'elle doit rester ou devenir. À gauche de l'échiquier politique, plus précisément au Parti socialiste (PS) où cette idée est explicitement formulée, on considère que l'immigration est une chance pour notre pays. On ridiculise volontiers la France rurale, trop attachée à un passé définitivement révolu, et on loue la France urbaine, ouverte à d'autres cultures et donc sauvée de la sclérose. Dans la France diverse, les Français d'origine étrangère sont des Français à part entière, et là-dessus personne ne trouve à redire.
Mais c'est encore au nom de cette France de la diversité que les enthousiastes s'interdisent d'approuver tout ce qui ressemblerait de près ou de loin à un contrôle de l'immigration et prennent la défense des clandestins pour lesquels ils réclament des régularisations massives, voire systématiques.
Un lien de nécessité est ainsi établi entre une certaine conception de la France et la politique à mener : des Français tolérant la diversité parmi eux n'ont pas le droit de refouler la diversité à leurs portes. D'où l'on déduit la réciproque : celui qui persiste à voir les sans-papiers comme des clandestins voit donc ses compatriotes comme des clandestins.
Ce raisonnement ne manque pas de sournoiserie. On se demande quel prix la France doit payer pour avoir cette chance de se renouveler. Dans l'esprit des apôtres de la diversité, la bonne France reste à faire et ne consiste que dans l'assemblage de cultures hétérogènes. Si les Français jouent le jeu et acceptent cet état d'esprit, les nouveaux arrivants devraient s'intégrer sans problème. Mais comment s'intégrer à une culture qui ne s'aime que pour haïr l'impérialisme américain, comment s'intégrer à un peuple qui s'efforce de comprendre que l'on siffle son hymne, comment s'intégrer à un pays dont on voit le drapeau brûler dans les quartiers qui, contrairement à ce qu'on dit, ne sont pas forcément les plus difficiles ? Comment, en somme, l'immigré s'intégrerait-il à un ensemble qu'on l'autorise à haïr et qu'on lui demande de toujours réinventer ?
D'aucuns diront que cette contradiction n'en est pas une et qu'un tel pessimisme révèle tout simplement le refus d'accepter les nouvelles réalités. Reste qu'à l'exception notable du MoDem, encore capable d'une certaine cohérence, les partis de gauche n'ont dans l'ensemble aucune réticence à encourager l'immigration massive dans un pays par ailleurs taxé de xénophobie, voire de racisme par les plus zélés. Mais si la France est un pays si peu accueillant, pourquoi se faire un devoir d'accueillir autant de gens ? L'immigration ne prouve-t-elle pas, selon le PCF, que la France fait rêver ? Le bon sens est-il donc si marqué à droite, que la gauche s'interdise d'en avoir ?
Les Français, dit-on parfois, n'ont pas le droit de refouler des immigrés, car ils sont eux mêmes largement issus de l'immigration. Qu'est-ce à dire ? Il faudrait, pour avoir droit à des frontières, n'être pas issu de l'immigration mais appartenir à une race pure, « 100% fromage, 0% couscous » ?
Cela veut-il dire qu'un peuple d'immigrés n'a pas le droit à la souveraineté ? Est-il vraiment intégré, celui que l'on oblige à se sentir solidaire de l'immigré comme si cet immigré était forcément son frère, comme si lui-même était toujours un immigré et n'avait, à ce titre, pas le droit de dire qui il accepte ou n'accepte pas chez lui ?
Il n'y a rien de plus discriminatoire, en vérité, que cette solidarité obligatoire entre les immigrés d'hier et ceux d'aujourd'hui.
Mais le plus étonnant, c'est d'entendre, non pas à droite, mais bien à gauche, que les Français auraient tort d'expulser des sans-papiers qui, en fin de compte, occupent les emplois les plus vils, les plus ingrats, les moins demandés par les enfants gâtés que nous sommes. Ségolène Royal expliquait que pour cette raison, les Français ne devaient pas reprocher aux immigrés de leur enlever le pain de la bouche. Si l'on veut bien se rappeler que Mme Royal est socialiste, on est un peu étonné de la voir défendre les « exploiteurs ».
Bien sûr, de telles déclarations ne visent pas à encourager les employeurs à se tourner vers des travailleurs en situation irrégulière. Au PS, on souhaiterait plutôt que ceux qui n'ont pas de papiers en obtiennent, afin qu'ils puissent faire légalement le boulot dont les Français « ne veulent pas ». C'est là en effet la condition avancée par de nombreuses personnes, et pas seulement à gauche, pour la régularisation : dès lors qu'un clandestin est en mesure de prouver qu'il aura les moyens de subvenir à ses propres besoins, l'État doit le régulariser, sans quoi la lutte contre l'immigration clandestine n'est plus une lutte contre la misère, mais contre l'immigré. C'est ce qu'on appelle la « régularisation par le travail ». Ce qui est étonnant, c'est que la gauche, au lieu de réclamer des hausses salariales pour attirer les candidats à l'embauche - ce qu'ils font très bien pour les secteurs où l'offre de travail ne manque pas - , justifie l'immigration par le besoin qu'en a l'économie nationale. D'un côté, on s'insurge contre l'immigration choisie, relent nauséabond du pire colonialisme, de l'autre on accepte que l'immigration soit voulue par les patrons. Ce n'est pas tous les jours qu'un parti de gauche préfère à la volonté unique de l'État la volonté plurielle des « exploiteurs ».
S'il est facile de pointer du doigt les contradictions de la gauche, il est nécessaire de dénoncer l'hypocrisie qui, plus à droite qu'à gauche, motive les déclarations les plus absurdes. L'idée que l'immigration est une chance pour la France a en effet pénétré si profondément dans la société que pour beaucoup de gens, il s'agit avant tout de souligner les effets secondaires de cette régénération par l'étranger, comme si ce n'était pas la potion elle-même, mais uniquement telle ou telle de ses conséquences désagréables, qui justifiait le rejet croissant du credo socialisant.
Ainsi une partie de l'opinion, mariée de force à un homme qu'elle n'a pas choisi, motive sa demande de divorce par les ronflements de son époux, la puanteur de ses chaussettes et la rudesse de ses coups. Pour expliquer les peurs de ceux pour qui racaille est synonyme d'immigré, on a souvent recours à la psychologie, qui nous fait voir la paranoïa derrière les arguments en apparence les mieux formés. Mais il y a une deuxième explication. Quand on leur explique que leur pays est celui de la diversité, que l'immigration est pleine de promesse et que les salades composées sont ce qu'il y a de meilleur, les Français souvent n'ont pas le réflexe d'en douter, la majorité adhère plus ou moins à cette conception d'une communauté enrichie chaque jour par les nouveaux arrivants, à la manière des États-Unis. Mais par moments, ces mêmes Français, dont l'ouverture d'esprit ne fait pourtant aucun doute, confessent ne plus se sentir chez eux, et cherchent une explication rationnelle à ce sentiment. Et comme il n'y a rien de tel que les chiffres pour appuyer son mécontentement, on cite ceux de la délinquance et du chômage. Or, ce mécontentement vise surtout les tenants les plus extrémistes de la diversité pour qui l'immigration ne saurait être autre chose qu'une rédemption pour les anciens colonisateurs. S'il n'est pas permis de critiquer le projet d'une France diverse ouverte à toutes les influences étrangères (sauf bien sûr celle de l'impérialisme yankee, définitivement hostile à la paix dans le monde), il ne faut pas s'étonner que certains Français (dont je ne prétends pas connaître le nombre) s'attachent à démontrer que les effets secondaires de la diversité annulent ses bienfaits, au lieu de dire simplement qu'un minimum d'homogénéité culturelle est requis pour former une nation, et que la communauté nationale repose sur autre chose que des salaires et des allocations. Les immigrés sont victimes moins du racisme que de l'hypocrisie.
On ne peut dans le même temps exiger des Français qu'ils s'enthousiasment pour le brassage des cultures et applaudissent au déclin d'une dignité nationale que l'on dénonce comme ringarde. À une époque de crise où les jeunes se demandent à quoi ressemblera leur avenir, où les parents se demandent à combien s'élèvera leur retraite, où la France peine à trouver son rôle dans l'arène internationale, où les anciennes colonies, moitié par devoir de mémoire, moitié par opportunisme, reprochent à la France son passé colonial, où des voix s'élèvent contre le diktat de Bruxelles - à cette époque-là, on voudrait que les Français acceptent une renégociation permanente de leur identité commune et un dialogue permanent avec des populations qui imputent à l'Occident tout ce qui ne va pas dans le monde. Sainteté ou masochisme ?
Maxime Zjelinski
Criticus, le blog politique de Roman Bernard.

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