Certaines substances chimiques omniprésentes dans l'environnement pourraient favoriser l'obésité en agissant sur le fœtus.
La pollution peut faire grossir les enfants. C'est la conclusion troublante d'une nouvelle étude espagnole publiée dans la revue Acta Paediatrica. Les chercheurs de l'Institut municipal de recherche médicale de Barcelone viennent de montrer que l'exposition à divers produits chimiques courants avant la naissance prédispose les enfants à être gros plus tard, contribuant ainsi à l'épidémie mondiale d'obésité. Cette étude est la première à établir un lien entre la contamination par des substances chimiques dans le ventre maternel et l'une des crises sanitaires les plus graves et les plus fulgurantes qu'aient connues les pays développés. Ses résultats pourraient avoir des implications considérables pour les politiques de santé publique partout dans le monde. Ils contredisent aussi les propos sévères du leader du Parti conservateur, David Cameron, qui a affirmé [dans un discours public à Glasgow, en juillet dernier] que les obèses étaient seuls responsables de leur état.
En Grande-Bretagne, 25 % des adultes et 20 % des enfants sont atteints d'obésité*, soit quatre fois plus qu'il y a trente ans ; en 2005, on recensait dans le monde 400 millions d'adultes obèses. La principale raison avancée est que les obèses consomment plus de calories qu'ils n'en brûlent. Mais de plus en plus de données montrent que le régime alimentaire et le manque d'exercice, bien que déterminants, n'expliquent pas à eux seuls le développement rapide de l'épidémie.
On sait depuis longtemps que la génétique donne aux individus des métabolismes différents et fait que certains prennent du poids plus facilement que d'autres. Mais la nouvelle étude espagnole prouve que la pollution est un facteur tout aussi important de prédisposition au surpoids. Pour arriver à cette conclusion, les chercheurs ont mesuré le niveau d'hexachlorobenzène (HCB), un fongicide, dans le cordon ombilical de 403 bébés nés sur l'île de Minorque. Les mesures ont été faites avant la naissance des enfants, pour mesurer l'exposition à ces substances pendant la grossesse. Ceux qui avaient les taux les plus élevés étaient deux fois plus nombreux à être obèses à l'âge de 6 ans et demi. Le HCB, qui était principalement utilisé pour traiter les semences, a été interdit dans le monde entier depuis que ces enfants sont nés [il est banni en Europe depuis l'entrée en vigueur de la convention de Stockholm, le 17 mai 2004]. Mais il persiste dans l'environnement et se retrouve dans la nourriture.
Des substances “obésogènes” utilisées au quotidien
L'aspect le plus important de cette étude n'est pas tant l'identification du rôle joué par une substance chimique particulière que ce qu'elle dévoile sur ce qui peut se passer si le fœtus est en contact avec plusieurs de ces produits. Les expériences menées chez l'animal ont en effet montré que de nombreuses substances chimiques présentes dans la nourriture donnée aux femelles gravides provoquent un surpoids chez leurs rejetons. Ces substances incluent les composés organostanniques [comme le tributylétain], longtemps utilisés dans les antifoulings [les peintures “antisalissures” destinées à empêcher les organismes marins de se fixer sur la coque des navires], que l'on retrouve couramment aujourd'hui dans la chair des poissons, le bisphénol A (BPA), utilisé entre autres dans la fabrication des biberons et pour le revêtement interne des boîtes de conserve, et les phtalates, présents dans les cosmétiques, les shampoings, les films en plastique servant à envelopper les aliments et une multitude de produits d'usage courant. Les auteurs de l'étude ont par conséquent demandé que l'exposition à ce type de substances soit “réduite au minimum”. Ces polluants – qualifiés d'“obésogènes” après ces dernières découvertes – sont tellement répandus que presque tout le monde aujourd'hui en a dans le corps : 95 % des Américains ont du BPA dans leurs urines et 90 % des bébés ont été exposés à des phtalates lorsqu'ils étaient dans le ventre de leur mère. Et tous les cordons ombilicaux analysés par les scientifiques espagnols contenaient des pesticides organochlorés comme le HCB. Deux études américaines avaient déjà établi un lien entre les phtalates et l'obésité chez les hommes adultes, mais les travaux de l'équipe espagnole sont beaucoup plus concluants : ils sont les premiers à montrer les effets d'une exposition à ces substances dans le ventre maternel, où l'être humain est le plus vulnérable. “Cette étude est d'une importance capitale”, affirme le Dr Pete Myers, l'un des plus grands spécialistes mondiaux des obésogènes. “C'est la première bonne étude sur leurs effets sur le fœtus. Ses conclusions ne sont pas surprenantes, étant donné ce que nous ont appris les expériences menées sur les animaux, mais elles incriminent incontestablement ces substances. C'est le plus grand défi que doit relever la santé publique aujourd'hui”, insiste le Dr Myers, qui est par ailleurs le fondateur et le responsable scientifique d'Environmental Health Sciences (une association sans but lucratif américaine, dont le but est d'informer le grand public sur les recherches scientifiques portant sur les liens entre environnement et santé humaine).
Une action au niveau des cellules souches du fœtus
Personne ne sait de quelle façon le HCB provoque l'obésité. Les chercheurs espagnols pensent qu'il provoque peut-être un diabète gestationnel chez les mères, ce qui augmenterait les risques d'obésité chez les enfants. Le Dr Myers estime que cette explication est “plausible”, mais, selon lui, les expériences sur les animaux suggèrent une autre piste. Elles ont montré que les obésogènes activent et bloquent certains gènes du fœtus, provoquant notamment la transformation de cellules souches en cellules adipeuses. Les enfants ont alors une plus grande prédisposition à stocker et à accumuler de la graisse. Quelle que soit l'explication, ces études mettent à mal les assertions de David Cameron dans [son] discours [de] cet été, où il disait que l'obésité était uniquement une question de “responsabilité personnelle”. Cette opinion a été reprise fin août par Andrew Lansley, son porte-parole chargé des questions de santé. Pour le leader conservateur, les obèses sont simplement “des gens qui mangent trop et ne font pas assez d'exercice”. Pour Myers, affirmer ce genre de choses revient à “prendre ses désirs pour des réalités et ne correspond pas aux faits biologiques”. “Pour que les changements de régime et de mode de vie aient une chance de marcher, nous devons réduire l'exposition à ces substances”, affirme-t-il.
* Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), les personnes présentant un indice de masse corporelle (IMC) égal ou supérieur à 25 sont en surpoids et celles dont l'IMC est supérieur à 30 sont considérées comme obèses. L'IMC se calcule en divisant le poids (en kilos) par le carré de la taille (en mètres).
Geoffrey Lean, The Independant