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La coutellerie en Auvergne

Publié le 22 mai 2009 par Gérard Charbonnel @gcharbonnel
Les lames de la Durolle

Selon une tradition que les fouilles sont venues confirmer, la coutellerie aurait été introduite de très bonne heure à Chateldon. Par suite de la peste survenue en 1348, les habitants de cette localité auraient été décimés et ceux qui échappèrent au fléau se seraient réfugiés à Thiers où ils apportèrent l'industrie de la coutellerie. De fait, le tarif des droits de leyde pour 1366 indique que les couteaux qui y étaient vendus venaient de l'extérieur; celui de 1379 les mentionne comme fabriqués sur place.

La coutellerie en Auvergne

Usine de coutellerie sur la Durolle

La légende voudrait que le secret de la trempe ait été rapporté d'Orient par les Croisés. L'implantation de la coutellerie à Thiers peut se justifier par la présence d'une population nombreuse sur un sol relativement pauvre, et d'une rivière rapide et surtout régulière dont les eaux sans calcaire étaient propres à la trempe de l'acier.

L'essor de la coutellerie, s'il a été préparé au XIVe et XVe siècles, se situe seulement au XVIe pour s'épanouir au XVIIe siècle, puis se maintenir aux XVIIIe et XIXe siècles. Thiers fut, en effet, aux XVIe et XVIIe siècles, la ville d'Auvergne la plus importante pour l'ensemble de ses industries. Elle était dotée, en 1582, d'une jurande des maîtres couteliers.

Jusqu'au XVe siècle, l'usage des couteaux reste réservé à la noblesse et c'est au XVIe siècle qu'apparaissent les premiers couteaux pliants. Il faut attendre les siècles suivants pour que l'usage du couteau se vulgarise en même temps que la variété des modèles devient plus grande.

Or Thiers, dans ses débuts, joue un rôle considérable dans la démocratisation de l'usage des articles de coutellerie. Les premiers ouvriers couteliers exécutaient individuellement tous les modèles en partant de la matière brute. Mais, pour répondre à une demande sans cesse croissante, ils organisent dès le XVIIe siècle, une division du travail très poussée pour l'époque. Les pièces nécessaires à la fabrication d'un couteau sont effectuées par huit ouvriers, chacun ayant exclusivement sa partie. La tendance s'accentue et, en 1863, un couteau passe dans dix-sept mains successives. L'exemple de Thiers est unique dans la profession et la production régionale annuelle est de 50 millions de couteaux, soit près des deux tiers de la production française.

La division du travail provoque la séparation de la fonction technique de la fonction commerciale. Un fabricant sert de trait d'union entre les différentes étapes de fabrication dont les exécutants sont souvent dispersés dans les campagnes voisines. Le fabricant est un distributeur de travail dont le rôle est comparable à celui du fabricant de soierie à Lyon. Installé dans un magasin, il est représenté par sa marque et fait travailler à façon, par des artisans indépendants, des matières premières qui lui appartiennent. Il coordonne les différentes opérations et réceptionne les articles terminés. Son personnel se réduit souvent à un garçon, le " chien de boutique ", qui assure les besognes de magasinage et d'expédition.

Le succès des articles de Thiers est dû, pour une large part, aux prix très bas imposés par les grands marchands exportateurs. La situation reste identique lorsqu'après 1825, Thiers, luttant de plus en plus difficilement contre la concurrence extérieure, se tourne vers le marché intérieur en voie de développement. Les tarifs pratiqués se traduisent pour l'ouvrier par de bas salaires. De condition très modeste, très peu d'entre eux accèdent à la maîtrise. En dépit de l'accroissement sensibles des ouvriers couteliers, celui des maîtres reste à peu près constant au cours des XVIIIe et XIXe siècles, soit 500 à 600.

Du XVIIIe au milieu du XIXe, l'évolution est très lente, les changements presque insensibles. L'introduction de la machine à vapeur ne provoque guère de bouleversements dans la technique de fabrication.

La Durolle reste la ligne " nerveuse " de l'économie thiernoise. Tout part de la rivière et tout y revient. Le chemin est si accidenté qu'aucun chemin ne permet d'atteindre le fond de la vallée avec une voiture. Les couteliers l'ont baptisé " le bout du monde ". Or, la division du travail impose de multiples manipulations et transports. Les fabricants doivent recourir aux services des portefaix, dont la corporation à son siège place du Pirou.

Les martinaires étirent et tronçonnent les barres de fer pour les distribuer aux couteliers et ciseliers. Ils utilisent un martinet dont les marteaux, animés par une roue à aube, frappent sur les barres rougies de 200 à 500 coups à la minute. Le fabricant fait un triage entre les produits qui lui sont rapportés du martinet et les répartit entre les forgerons des diverses spécialités ( lames, ressorts...). Ce sont, pour la plupart, des paysans couteliers de la région de Saint-Rémy-sur-Durolle ou des environs de Thiers. Par contre, les limeurs et les perceurs qui effectuent les opérations suivantes ont leurs ateliers en ville.

La trempe est l'opération capitale. Elle est souvent effectuée par le fabricant lui-même ou par un ouvrier dépositaire de son " secret ". La lame, chauffée au rouge plus ou moins vif, est plongée brusquement dans l'eau ou dans l'huile. De la trempe dépend le tranchant et c'est à l'oeil qu'on apprécie si le métal a atteint le degré de chaleur convenable. Les lames sont ensuite confiées aux émouleurs qui leur donnent le biseau et le tranchant voulus. Ces artisans louent sur place les rouets établis le long de la Durolle ou le long des petits cours d'eau de montagne. Les émouleurs travaillent couchés sur leur poitrine et sur leur ventre, allongés sur d'étroites planches au-dessus desquelles se trouve placée la meule mise en jeu par un ensemble de courroies adaptées à l'arbre de la roue. Un filet d'eau conduit par de petits canaux, se déverse goutte à goutte sur la meule; elle tourne et sur les parois humides, glisse et brille la lame enchâssée dans un long manche de bois maintenu à ses deux extrémités et conduit par les deux bras de l'ouvrier.

L'émouleur est la figure la plus originale et emblématique de la coutellerie thiernoise. Les exigences du métier ont développé en lui un esprit de solidarité et de grande indépendance devant laquelle les patrons sont parfois obligés de s'incliner. La profession constitue une caste fermée qui n'admet comme apprentis que les fils d'émouleurs.

Ce sont des femmes et des enfants qui effectuent, sur des meules de feutre, le polissage des lames avant l'ultime opération : la pose du manche ( corne, argent, ivoire, ébène, os, buis, nacre... ). Le mitreur façonne la mitre et la polit; le poseur rehausse le manche d'ornements métalliques; l'affileur et l'essuyeuse terminent la série.

On ne saurait dire si le rémouleur ambulant doit être rattaché à l'industrie coutelière thiernoise ou s'il faut l'inclure dans la catégorie des artisans migrants. De fait, au XVIIIe siècle, dans la capitale, le rémouleur des rues est qualifie de " gagne-petit auvergnat ".


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