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Michka Assayas, Nick Kent, conversation

Publié le 23 mai 2009 par Castor

Captés à l'occasion du salon "rock et littérature" à Deauville, ce dialogue entre Nick Kent, figure emblématique de la rock critique et Michka Assayas, ancien critique rock et écrivain.

" Imaginez un personnage improbable   et gauche, long comme un jour sans pain, arpentant d'un pas peu sûr les trottoirs de Londres ou de Los Angeles telle une mante religieuse immense et raide, dans son éternelle panoplie loqueteuse de flingueur à guitare, velours et cuir noir en toute saison, d'une maigreur maladive, toujours la goutte au nez perpetueIlement rouge et luisant, toujours à cause d'un manque de substance» (...) Voilà Nick Kent dans les années 1970 et 1980. En bref, un vrai rocker : quelqu'un pour qui ça comptait".

(Iggy Pop in Prologue L'envers du Rock, Nick Kent, Éditions Naïve, 2006).

Comme l'écrit Denis Roulleau: "Tel est le portrait de Nick Kent selon Iggy Pop, figure légendaire de la Rock-Critique britannique qui joua avec les London SS (futurs Damned et Clash), les Swankers (futurs Sex Pistols), qui sauva la vie de Keith Richards en pleine OD et qui éclaira avec humour, cynisme et érudition la face cachée des rock stars dans de longues et précieuses enquêtes quasi-romanesques".

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Nick Kent : « J’ai demandé à son manager de trouver Iggy Pop. J’étais venu en Angleterre, à Londres pour faire quelque chose avec lui. Je voulais être un membre des Stooges. Je suis allé sonner chez lui, à son domicile. Mais il avait déjà ses guitaristes, James Williamson et Asheton. En fait, je n’avais joué de guitare électrique, juste de la guitare acoustique. C’est vrai que les Stooges n’ont pas beaucoup de guitare acoustique. En même temps, j’ai commencé à écrire pour le magasine Friends en 1971. Ma carrière de journaliste est allée vite car trois mois après avoir commencé à écrire pour Friends, le New Musical Express (le concurrent du Melody Maker) m’a engagé en freelance. J’ai décidé de partir à Détroit. Et pendant 4 mois, j’ai eu l’opportunité de faire une tournée avec Led Zeppelin. A cette époque, le groupe était énorme. 4 mois pour suivre une tournée … Maintenant, une interview de Jimmy page par un journaliste, c’est seulement vingt minutes. A cette époque, on pouvait rester longtemps, dans les tournées, les back stages. Il n’y avait pas les mêmes barrages pour rencontrer les personnalités ».

Michka Assayas : « J’ai grandi dans la région parisienne. C’était très calme. Et tout, ce qui participait au monde du rock était très éloigné, très magique. J’étais admiratif et envieux de gens comme lui qui avait l’avantage d’être sur place, de parler la langue ce qui lui garantissait un accès immédiat. Et puis, à l’époque, le rock était très mal vu. Il était minoritaire. Il y avait Best et Rock&Folk. C’était la Pléiade, Gallimard. Ecrire dans Rock&Folk, c’était prestigieux. J’étais très impressionné par les gens qui avaient quelques années de plus que moi et qui avaient vécu des choses que je n’avais pas vécues. Ceux qui avaient connu Woodstock, qui avaient vu les Stones à la grande époque, qui avaient vu Jimi Hendrix. J’avais l’impression d’arriver après. ».

Nick Kent : «  Tout a commencé avec l’arrivée d’Elvis Presley et peut être cela finit-il avec la mort de Jimi Hendrix, à l’extrême la fin des Sex Pistols. Après, il y a eu des bons groupes. Mais pour moi, ce sont les années 60, les années d’or. A l’époque, j’étais teenager. Lorsque les années 70 ont commencé, les mauvais aspects sont apparus. Les mauvaises drogues, … Il y avait une pause de décadence. Pas toujours réelle, juste une pause. Comme autour de David Bowie.

Michka Assayas : « j’ai eu l’impression d’arriver trop tard par rapport à l’âge d’or que décrit Nick. J’ai lu dans le texte lorsque j’étais gamin, à 15, 16 et 17 ans, ses articles qui m’ont frappé, ceux sur Syd Barret par exemple. J’avais le sentiment qu’il y avait un âge magique et comme par hasard, les figures dont parlait Nick étaient celles qui se détruisaient, celles qui avaient disparu.

Nick Kent : « En 1964, je me souviens d’avoir parlé avec le manager de Syd Barrett. Il avait dans un sac toutes les photos qui n’avaient jamais été publiées. Celles du début du groupe Pink Floyd, le début de sa carrière solo ; Il me les a donné en voyant que cela m’intéressait. En fait, cela n’intéressait personne. Il ne comprenait pas que je m’intéresse à ce looser. Je suis allé à Los-Angeles en 1975. J’étais intéressé par Jim Morrison. J’étais un grand fan. Mais chaque fois que je parlais avec un type qui connaissait Jim Morrison, il me demandait : « mais pourquoi tu t’intéresses à un looser. Tu perds ton temps avec ce perdant. Ce mec est venu dans ma maison, il a pissé sur mon tapis ». Même juste après sa mort, il n’intéressait personne. Il y a les gagnants et les perdants. Et si tu es perdant, tu oublies la célébrité.

Moi, ce sont les perdants qui m’intéressent car ils ont une histoire. Paul Mc Cartney est juste un gagnant. Il rend les choses heureuses.

J’ai rencontré Lester Bangs. J’avais pris beaucoup de tranquillisants. Lester était un peu défoncé, comme moi. Et, il m’a invité à rester avec lui. Il avait un problème d’alcool et de cachets. Donc, il conduisait sa voiture et avait besoin de quelqu'un pour tenir son volant et éviter de s’envoyer contre un mur. J’ai appris beaucoup de lui. Pour lui, l’histoire du rock est celle de mecs qui sont perdus. Et, j’ai retenu cela de lui.

 

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Michka Assayas : « Je lisais le Melody Maker et le NME. C’est là que j’ai découvert que l’on peut écrire et être une star. Ça me fascinait. Nick avait une approche à la fois critique, il pouvait expliquer ce qu’il aimait, ce qu’il n’aimait pas et pourquoi, et journalistique. Il allait enquêter, voir les gens et racontait une histoire. Au fond, qu’était la litrock en France à mes débuts, c’était des mecs qui, pardonnez-moi l’expression, se branlaient en écoutant des disques. Ils se prenaient pour Jim Morrison, écrivaient des longs poèmes rock. Il y avait du bon, du moins bon. Mais, j’avais envie d’être plus humble, ne pas me mettre en avant et mettre en avant les artistes et transmettre ma passion pour eux et ma certitude qu’ils faisaient avancer la musique.

Nick Kent : « A l’époque, le rock n’avait pas encore envahi les arts. Pour la littérature, il y avait Nik Cohn. En général, les musiciens portent des masques lorsqu’ils voient des journalistes ».

Michka Assayas : « le film « almost famous » (presque célèbre) est un des témoignages les plus justes, fidèles à ce que représente la présence d’un critique rock dans l’entourage d’un groupe. C’est vraiment un parcours initiatique. Dans le film, un garçon d’une quinzaine d’année commence à écrire pour Rolling Stones. On l’a envoyé suivre en tournée un groupe anglais de blues rock qui devait être Stillwaters, Bad Company ou un truc comme ça. Et, il abandonne le lycée, fugue, ment à sa mère. Le film qu’il a écrit et tourné lui-même une trentaine d’années plus tard raconte très précisément cette espèce de fascination pour ce monde dans lequel on voulait entrer et où l’on finit par voir tout ce que l’on ne voulait pas voir. La face sombre de la nature humaine. C’est une histoire exemplaire. J’aurai rêvé de vivre un truc comme ça. Je ne l’ai pas vécu mais métaphoriquement, j’ai vécu ce que Cameron Crowe raconte.

Michka Assayas : « à l’origine j’étais un étudiant. J’ai essayé de refaire les enquêtes proches de l’esprit de celles de Nick (Kent) comme pour Syd Barrett, pour la France, huit ans après. Dans Actuel, en 1982, on s’est approché du mythe. J’ai rencontré sa mère, nous avons échangé un dialogue assez bref sur le pas de sa porte. Et Thomas Johnson, un journaliste franco australien avec qui j’ai réalisé cette enquête, avait trouvé un stratagème tout à fait délirant. Il était allé à Chelsea Cloisters, une résidence médicalisée et comme il avait un parfait accent anglais, il a prétendu avoir connu Barrett à la fin des années 60, à Londres. Il était tellement sincère et convaincant que l’employé de la résidence à la réception lui a déclaré : « nous connaissons bien ce malade. Il y a des mois et des mois que nous avons ce sac de linge sale qui est là. Il a oublié de le prendre. Si vous le connaissez, prenez-le et ça nous en débarrassera. Thomas Johnson l’a pris et nous sommes allés ensemble à Cambridge avec ce sac de linge. C’est lui qui a parlé, moi, j’avais trop peur ».

Cette interview de Syd Barrett est parue à l'origine dans la revue espagnole Rock Espezial en Février 1983. La version française ci-dessous est une traduction de L. Espain publiée dans le livre Welcome to the Machine de Jordi Bianciotto (1998).

Selon le site seedfloyd.fr, « dans cette monographie consacrée à Pink Floyd, en couverture de laquelle figure une tête vaguement reconnaissable (Syd Barrett frisant la quarantaine, photographié pour la première fois depuis 1971), l’ancien leader de Pink Floyd fait preuve de facultés mentales pour le moins chancelantes, ainsi que l'expliquent les journalistes Michka Assayas et Thomas Johnson ».

Voici donc les propos échangés lors de cette rencontre avec Syd Barrett, sur le seuil de sa maison.

Et me voilà devant cette vieille maison de Cambridge, essayant de n'avoir pas l'air trop nerveux, tandis que j'attends que l'on réponde à mon coup de sonnette. Rien. Je sonne à nouveau. Dans le jardin, une vieille dame coupe des roses. Une ombre se profile au fond du couloir, s'avançant lentement jusqu'à la porte.

Syd Barrett : « Salut. »

Nous sommes aussi surpris l'un que l'autre et nos deux voix se superposent.

Rock Espezial : « Je viens t'apporter ça, ce sont tes vêtements, tu t'en souviens? (NB: l'auteur fait allusion à des vêtements que Barrett avait oublié dans l'appartement londonien qu'il occupait peut de temps auparavant). »

Syd Barrett : « Ah oui ! À Chelsea ! Oui… »

C'est un homme prématurément vieilli, usé. Les cheveux coupés très courts, les traits durcis, les épaules tombantes. Il a grossi. Sa mère ne m'a pas entendu arriver, elle est toujours au fond du jardin. De temps en temps, Syd lance un regard furtif dans sa direction.
Je lui explique que cela fait des jours que je suis à sa recherche et que j'ai été à Chelsea où l'on m'a donné ses vêtements.

Syd Barrett : « Merci, me répond-t-il. Tu as dû payer quelque chose ? Qu'est ce que je te dois pour les vêtements ? »

Rock Espezial : « Non, rien du tout. Je lui demande ce qu'il fait actuellement, est ce qu'il peint ? »

Syd Barrett : « Non, on vient juste de m'opérer, rien de grave. Je souhaite revenir à Londres mais je dois patienter, il y a une grève des trains en ce moment. Non…Non…Je regardais la télé, c'est tout. »

Rock Espezial : « Tu n'as plus envie de faire de la musique ? »

Syd Barrett : « Non. Je n'ai pas le temps de faire grand-chose. Je dois trouver un appart à Londres mais ce n'est pas facile, il faut que j'attende… »

De temps en temps il jette un coup d'œil sur le sac de vêtements et sourit. Il essaie continuellement de mettre fin à notre conversation, tout en surveillant sa vieille mère, comme s'il craignait qu'elle ne nous découvre en train de bavarder.

Rock Espezial : « Tu te souviens encore de Duggie ? »

Syd Barrett : « Euh…Oui…Je ne l'ai jamais revu…Je n'ai jamais revu qui que ce soit à Londres. »

Rock Espezial : « Tes amis me chargent de te saluer. »

Syd Barrett : « Ah… Bien… Merci… »

Il s'exprime et réagit comme tous ceux qui ont subi des traitements psychiatriques prolongés. La contemplation semble être devenu son seul passe-temps. Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que la télévision soit sa principale activité.

Rock Espezial : « Je peux te prendre en photo ? »

Syd Barrett : « Oui, bien sûr… »

Il sourit pendant que je prends la photo, mais tout de suite après…

Syd Barrett : « Ça suffit comme ça. Je n'aime pas qu'on me voie…C'est dur pour moi…Salut. »

Il regarde fixement l'arbre qui se dresse devant la maison. Je ne sais pas quoi dire.

Syd Barrett : « Il est beau cet arbre… Oui mais plus maintenant… On vient de le tailler… Avant, je l'aimais bien… »

On entend la voix de sa mère. Syd Barrett se tourne vers moi. Il semble terrorisé.

Syd Barrett : « Eh bien…On se reverra peut-être à Londres. Au revoir. »

Sur le chemin du retour, je croise un hippy illuminé, qui se cache derrière un journal. Je me sens pris d'un vide angoissant. Tout est fini.

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