On ne présente plus Corinne Cobson: styliste prolifique, créatrice de beauté aux côtés d'Agnes B, enfant terrible de la mode dans les années 90... J'ai eu la chance de pouvoir la rencontrer dans son espace de la rue Charlot, pour un entretien qui parle de son parcours, de ses parents, de rock et de sa vision de la mode d'aujourd'hui.
Bonjour Corinnne, par rapport à la plupart des stylistes que j’ai pu rencontrer, vous faites parti de celles qui ont le plus d’expérience. Pourrait on commencer par revenir sur votre carrière ?
On peut dire que je suis une enfant de la balle. Mes parents sont Jacqueline et Elie Jacobson (note de LSB : Jacqueline et Elie Jacobson sont les créateurs de la marque Dorothée Bis, qui a marqué l’histoire de la mode dans les années 70-80). J’ai commencé à travailler à l’age de 16 ans comme apprenti dans leur atelier. A cette époque, une apprentie touche à tout sauf à la création. Je portais les tissus, je mettais de l’ordre, j’aidais dès que je pouvais. Au bout d’un moment, j’en ai eu assez. Je suis en douce allée voir la première d’atelier, qui m’a aidé à faire mon premier modèle. Je l’ai ensuite montré à ma mère qui l’a intégré à sa collection et cela a tout de suite été un succès commercial. A partir de là, on a commencé à me regarder d’un autre œil.
Et quelle était cette première pièce ?
C’était un des premiers maxi-pull qu’on pouvait utiliser en tunique. C’était à l’époque une pièce innovante. Ines de la Fressange me disait il n’y a pas si longtemps que c’était un des modèles de ma mère qu’elle avait préféré, mais elle ne savait pas que c’était moi qui l’avait dessiné… A partir de ce moment, j’ai ensuite commencé à vraiment créer et à gravir les échelons jusqu’à devenir le bras droit de mes parents. J’ai commencé alors à gérer les défilés, les licences, les commerciaux…
On dirait que vous avez du vous battre pour gravir les échelons ? Pourquoi est ce que cela a été si difficile alors que vos parents étaient à la tête de Dorothée Bis ?
Avec mes parents, il faut prouver qu’on est capable. Ils n’allaient certainement pas me catapulter à la création. J’ai du donc montrer à chaque étape ce que je pouvais faire. Cela a été long et difficile mais c’est plutôt une très bonne chose.
Comment en êtes vous arrivée à monter votre propre marque ?
Un jour sur un défilé de ma mère, Janie Samet du Figaro avait écrit une critique très dure au sujet de pièces que j’avais réalisées « Il ne faut pas laisser les enfants s’amuser avec les ciseaux de leur mère. » Cela m’a beaucoup touché parce que c’était une critique très forte. Cela voulait dire que ce je faisais était nul et que je n’avais aucun talent. Comment pouvais je espérer être au niveau de mes parents ?
Comme je n’aimais pas beaucoup les choix de cette journaliste que je trouvais trop classiques et conservateurs, je me suis dit que j’avais peut être un peu de talent finalement. A ce moment, quand je me suis aperçu que ma mère ne me donnerait pas plus de place parce qu’elle avait encore beaucoup de choses à dire, j’ai monté ma marque. C’est là que j’ai enlevé le Ja de Jacobson. C’était en 1988.
Comment vous êtes vous démarquée de ce que vous faisiez chez Dorothée Bis ?
Je voulais que mon style soit radicalement différent. J’ai réalisé ma première collection à partir de deux matières qui n’étaient pas utilisées à l’époque : le jersey/lycra et un genre de molleton très léger utilisé pour le sport. J’ai repris ces matières pour des pièces plus habillées et des robes. J’ai tout transformé. J’ai eu de la chance que cette première collection ait reçu l’adhésion de la presse et des acheteurs. C’était un miracle parce que c’était très différent de ce qu’il y avait à l’époque.
En parallèle, je continuais à travailler chez ma mère pour financer ma marque.
Est-ce que cela ne vous agace pas qu’on continue à vous parler de votre mère ?
Cela m’a agacé longtemps, je ne disais pas que j’étais une fille de… jusqu’à maintenant et que tout ceci soit un peu oublié. Aujourd’hui, je le revendique et j’en suis extrêmement fière.
Depuis maintenant plus de 20 ans, quelle a été l’évolution de Corinne Cobson ?
C’est une évolution douce dans le sens où je ne suis pas un styliste marketing. Je ne me calque pas sur les tendances. Je sais à peine ce qu’il se passe et je ne fais pas de shopping. Je regarde surtout la rue, c’est elle qui m’intéresse. C’est une évolution tranquille. Je suis restée fidèle à moi-même. J’aime la mousseline, le jersey, le satin de soie, la belle façon et surtout le Made in France.
On me dit que je suis rock mais cela m’énerve maintenant parce que beaucoup de marques se disent aussi rock, même si elles ne le sont pas dans l’âme. Mais c’est ma nature, le trait commun de toutes ces collections.
Vous avez aussi fait une pause pendant quelques années ?
En réalité, j’ai eu ma parenthèse mais je ne me suis jamais vraiment arrêté… J’ai fait deux enfants et je voulais m’en occuper. Je voulais être présente auprès d’eux et pouvoir passer des vacances. De part ma filiation, je n’ai pas beaucoup vu mes parents quand j’étais jeune. Je leur ai suffisamment reproché pour ne pas avoir envie de reproduire le même schéma. En ce qui concerne la marque, j’ai beaucoup perdu parce que j’ai arrêté de vendre en gros. Je pouvais toujours financer ma marque grâce aux partenariats mais pas plus que cela. Je reviens maintenant en pleine crise !
A quoi ressemble votre vie aujourd'hui ?
Ma vie est tiraillée : je suis partagée entre la culpabilité de ne pas assez travailler et de ne pas être assez avec mes enfants. Je ne fais que jongler entre les deux…
Depuis que j’ai repris, je préviens mes enfants que je vais moins les voir. Il y a des reproches de tous les côtés… Elles auront un jour oublié toutes les années où j’étais présente.
Quels sont vos projets actuellement ?
J’ai tout le temps plein de projets. Je continue les cosmétiques avec bientôt une ligne de gel douche (note lsb: avec Le Club des Créateurs de Beauté). Je travaille sur une ligne de chaussons. Et j’ai signé une licence pour une ligne de bagages.
Je réalise également une œuvre pour un sommelier du Languedoc qui collectionne les fûts réalisés par des créateurs et des artistes. Il en a actuellement plus d’une centaine à laquelle se rajoutera le mien.
Et la lingerie ?
Malheureusement, je ne fais plus de lingerie. J’ai eu beaucoup de plaisir pendant ces trois années mais l’équipe dirigeante a changé. Même si cela marchait très très bien, ils ont décidé d’arrêter. Je ne rêve que d’une chose, c’est de recommencer.
On a aussi beaucoup vu dans la presse la bague que vous avez réalisée avec Lucide ?
Avec Lucide, c’est vraiment un partenariat de création, on se comprend bien et on apprécie de faire des choses ensemble. J’ai aimé son idée de faire réaliser des bagues à partir d’ancien vinyls, donc on continue.
Et qu’est ce que vous utiliseriez pour votre bague ?
Si je devais choisir un 33T, ce serait Blondie. J’adore ! Ou alors ce serait les B52, Barry White, Marvin Gaye, Vanessa Paradis, Ottis Redding…
Vous avez également travaillé pour Dora, plutôt étonnant ?
C’est ce que j’appelle des récréations. Ce n’est pas un challenge important, c’est de la communication, pas forcément du commercial. L’intérêt, c’est que j’avais complètement carte blanche. Mes filles n’ont jamais aimé Dora et l’idée était d’arriver à faire quelque chose qu’elles auraient envie d’avoir. Ma petite fille a été contente du résultat.
J’aime l’idée de rentrer dans un univers que je ne connais pas et de voir ce que je peux lui apporter.
Quel est l’esprit de ce nouvel espace de la rue Charlot ?
Je voulais que cet endroit me ressemble. C’est peut être une forme de marketing naturel mais je ne suis pas dans cette idée qu’on doit prouver qu’on a travaillé avec un grand designer ou un grand architecte, qui pour beaucoup font des boutiques au kilomètre. Cela ressemble à mon chez moi : j’ai amené des lampes, des tables, mes livres. Je souhaite que le meilleur accueil soit réservé à mes clientes, que ce soit un lieu convivial.
Je veux également que cet endroit puisse recevoir des événements différents d’où la scène et l’écran. J’ai organisé des concerts, des écoutes d’album. J’ai eu une exposition d’Aurèle… Le 11 juin, je prévois une exposition d’Artus, que j’adore. Je continuerai à faire bouger ce lieu.
Est-ce que vous continuez à passer du temps en boutique ?
Je veux m’occuper de mes clientes, je veux les voir, les entendre… et surtout cela me permet de faire des rencontres. J’adore être en boutique !
Où êtes vous également distribuée ?
Ma collection va être chez Joseph, je ne suis pas encore à l’international. Avec la crise, c’est devenu très compliqué actuellement de gagner de nouveaux clients. L’assurance crédit ne couvre plus personne ce qui rend les choses plus complexes pour tout le monde.
La plupart des stylistes se retranchent dans leur tour d’ivoire. Au contraire, vous avez osé travailler pour Monoprix. Pourquoi ?
L’idée de ne travailler que pour les plus riches me parait snob et démodé… On peut faire de la mode et servir aussi le grand public. L’un n’empêche pas l’autre. Pourvu que les idées soient justes, je ne vois pas pourquoi on ne devrait servir que les riches. En travaillant 8 ans chez Monoprix, on a fait une jolie révolution. A l’époque tout le monde m’a dit que j’étais folle, que j’allais tuer mon image, que c’était très mauvais, et un an après, tout le monde m’appelait pour savoir qui on devait appeler pour travailler chez Monoprix. Actuellement, on peut s’acheter des vêtements dans une grande marque et avoir des coups de cœur ailleurs moins cher, ce n’est pas pour cela que c’est cheap ou de mauvaise qualité. Notre travail est d’apporter la qualité et le style.
J’ai deux « maitres » qui sont Cardin et Starck. Starck, il fait des yachts, des avions mais aussi des brosses à dent et des balais chiottes…
Pourtant, on reproche beaucoup à Pierre Cardin d’avoir abusé des licences…
Pour moi Cardin n’a pas perdu son âme, il s’est donné de la liberté. Avec l’argent de ses licences, il a pu se concentrer sur sa mode, faire du mécénat, aider les autres, se faire plaisir. Il a pu créer sans se dire il faut que cela se vende. Il a toujours fait les collections qu’il a voulu. Je trouve cela génial. Après chaque styliste doit agir selon ce qu’il aime. Je ne vois pas Azzedine Alaia travailler pour Monoprix : il a besoin de sa tour d’ivoire. C’est un des plus grands. Il faut qu’il garde cette intimité et qu’il ne soit pas pollué par le reste.
C'est sur la même idée que vous avez aussi ouvert vos défilés au grand public ?
J'avais cela en tête depuis 10 ans. Pourquoi les défilés seraient réservés à un milieu professionnel souvent peu souriant ? A l’époque de mes parents, un défilé, c’était une grande fête ! Maintenant, on a l’impression parfois que c’est une corvée. Au contraire, le public est très heureux de participer à un défilé. Cela a été un moment unique.
C’était également le moyen de réaliser une œuvre caritative pour l'association OrphanAid. Nous avons organisé 2 défilés avec 400 personnes et nous avons récolté suffisamment d’argent pour pouvoir payer 3 infirmières en Afrique pour un an. C’est la première fois que je suis engagé personnellement sur une telle cause. Avant, je participais plutôt à des actions collectives avec Arcade Sida ou AIDS.
Qu’est ce que vous pensez de la mode d’aujourd’hui ?
J’ai beaucoup d’amies qui ne sont pas dans la mode. Elles me disent souvent qu’elles ne comprennent pas la mode actuelle. On lit les news sur le it-bag du moment, la it-girl du moment… on retrouve les mêmes marques de la première page du magazine, à la dernière. Et on voit encore ces mêmes marques dans les pages shopping. Les nouveaux venus ne restent que quelques saisons et peu arrivent à s’en sortir. On a maintenant envie d’un retour à une sincérité de la mode !
Peut être que la crise va nous y aider, va nous y emmener. L’époque est horrible parce qu’on souffre mais elle sera passionnante.
Merci Corinne Cobson !
Espace Corinne Cobson
66 rue Charlot
Paris 3ème
Tel: 01 42 60 51 30
Site: www.corinnecobson.com
Cosmétique Corinne Cobson au Club des Créateurs de Beauté