Michel de Poncins, le 28 mai 2009 - A Paris, les motos-taxis se développent : des jeunes entreprenants se lancent, parfois après un chômage sans issue apparente, et ils apportent une réponse intelligente à l’encombrement inévitable des rues. Les taxis habituels, malgré les couloirs réservés, n’offrent qu’une réponse imparfaite. La moto-taxi est une façon d'arriver plus vite à destination, ceci certes avec un confort imparfait : chacun est libre ainsi d'arbitrer entre son confort, les risques qu'il prend, et son objectif de rapidité. Les politiques invoquent alors le « vide juridique » et se proposent d’encadrer cette activité prometteuse.
Ils n’ont peut-être pas tout-à-fait tort de penser aux risques, mais l’intervention des Etats avec la lourdeur habituelle, les délais, les contraintes à prévoir, les paperasses ne va-t-elle pas finalement gêner ces innovateurs et étouffer le nouveau métier ? Les innovateurs doivent se concentrer sur un métier difficile où le maximum d’attention est nécessaire ; sur le plan de la loi, il est sûr que toutes les lois nécessaires existent, y compris celles qui permettent de voisiner avec les autres taxis dont la clientèle est différente. Pour les risques, faisons confiance aux assureurs qui sont généralement bien informés.
Autre fait du même genre, qui touche une activité ancienne et très différente : ce sont les « petits chanteurs à la croix de bois ». Voilà une organisation extrêmement sympathique qui depuis des décennies se renouvelle de génération en génération. De jeunes garçons chantent des chansons magnifiques et il arrive souvent qu’ils se produisent sur scène pour permettre à l’association de gagner quelques sous.
Le préfet de l'Oise, où se trouve le siège social de l'institution, exige désormais que les enfants soient rémunérés quand ils se produisent sur scène. Évidemment cela va nuire gravement aux finances de l'association ; les charges sociales exigées à cette occasion vont alimenter les caisses publiques (mais les enfants recevront-ils beaucoup lorsqu'ils auront atteint l'âge de la retraite ?).
Ce préfet applique sans doute la loi : honneur à son zèle. Cela conduit cependant à une question : la loi est-elle supérieure au droit des gens ? Les trop nombreuses lois souvent contradictoires et inapplicables doivent-elles amoindrir la responsabilité des parents ? C’est bien à ces derniers de pouvoir décider si leurs enfants seront rémunérés ou non. Et il est facile d’imaginer que les réponses peuvent être différentes selon les familles. Ce cas est significatif : ce n’est plus le vide juridique mais le trop plein juridique.
Considérons encore les prêts de main-d’oeuvre. Des entreprises, dans cette période de crise, commencent à s'organiser pour le prêt de main-d'oeuvre. Une filiale de Fiat a négocié un accord avec une société voisine filiale de Plastic Omnium ; celle-ci, en difficulté est désireuse d'alléger ses charges de main-d'oeuvre sans perdre pour l'avenir sa structure et son organisation ; la filiale de Fiat a un surcroît de travail et donc elle emprunte de la main-d'oeuvre à la voisine. Le prêt de main-d'oeuvre entre entreprises est interdit en France s'il est utilisé à but lucratif : voici encore un aspect peu connu de l’abondance et de la contradiction des lois. Pourquoi un prêt de main-d'oeuvre aurait-il lieu si ce n'est pour gagner mutuellement de l'argent ? C’est là que la notion de « vide juridique » apparaît ; certains veulent, en effet, « encadrer » ces prêts de main d’œuvre sous couleur de les faciliter ; or n’est-il pas à craindre qu’en les encadrant on les charge d’obligations, d’imprimés, de statistiques et d’obstacles aboutissant finalement à les limiter ?
L’enjeu dans cette période particulière est considérable. Si les prêts de main- d’œuvre de tous niveaux se développaient, il naîtrait très vite dans toutes les régions et tous les secteurs économiques de véritables points de rencontre pour ces prêts, avec peut-être des bourses, et l'intérêt commun y trouverait son compte. Les salariés ne passeraient pas par la case chômage, les sociétés prêteuses seraient en ordre le moment venu pour la reprise et les sociétés emprunteuses pourraient satisfaire une clientèle provisoire.
Cette notion de vide juridique est le reflet de la surabondance des lois. Il existe en France de nombreuses lois contradictoires avec d’autres ; plusieurs des 90 codes en application en France sont contradictoires entre eux. S’ajoutent les lois inappliquées faute de décrets d’application et de circulaires. En effet, la complication est telle qu'il faut absolument ces compléments pour se mouvoir dans la forêt obscure, et très souvent ils ne viennent pas ; ces lois sont des lois « mortes nées ». Plus intéressant encore sont les lois en « coma avancé » ; plusieurs organismes peuvent annuler les lois après coup, comme le Conseil d'État, le Conseil constitutionnel, l’UE et la Cour de Luxembourg ; quand le coma se réalise effectivement parfois au bout de plusieurs années, il est rétroactif ! Il existe aussi des lois « pantomimes » ; le 2 avril 2006, une loi au sujet du CPE a été promulguée : le pouvoir de l’époque a mis aussitôt en chantier une autre loi qui pratiquement détruisait la première, laquelle était contradictoire avec elle-même. Le chef d’œuvre absolu est la loi « hermétique » : Le Conseil constitutionnel a refoulé des lois, n’étant pas arrivé à les comprendre !
Le travail de législateur est compliqué et de bonnes intentions président à cette inondation, mais trop de lois tue la loi. En outre, les entreprises ont un besoin absolu de sécurité. Les pays moins « développés » que d’autres peuvent tirer grand avantage des observations ci-dessus, car cela pourrait les guider vers plus de sagesse et éviter à la fois la surabondance des lois et la tentation de remplir les vides.
Michel de Poncins est économiste.