Sur le chemin du lac d’Allos, Parc national du Mercantour, Alpes de Haute-Provence, mai 2009
On s’est pris à imaginer la vie comme un long fil de laine qui se déroule vers l’infini devant soi. Une vie où les joies et les succès un à un s’agrègent et cimentent l’avenir au soleil toujours le même. Pareille illusion néglige imprudemment les coups du sort et les choix à opérer, les mutations et le désordre des astres.
Des tournants, des pertes, des chagrins non seulement brouillent ou déforment les perspectives rectrices, ils explorent aussi notre aptitude à surmonter cette imprévoyance qui fait le sang des gens bêtement heureux. Les ruptures ne sauraient pourtant confirmer l’allure dramatique du destin. Même brutales ou tempétueuses, elles ne nous défont de nous-mêmes. Les ruptures ne brisent que nos premières certitudes, et d’abord celle qui nous soufflait bien à tort que nous n’étions pas seul au monde. Affronter une rupture ressemble alors à un exercice de lucidité. L’enjambement des ruptures tient d’un sport aux règles délicates mais au score final sans appel : « je suis encore ici ».
Provoquées ou subies, les ruptures font étinceler d’une couleur particulière les années qui les portent. J’ai vécu des grandes ruptures, parfois confluentes, millésimées comme des vins de mémoire : 1979, 1984, 1991, 1996, 2001… Il y a aussi les petites ruptures qui fendillent les lèvres à notre insu, sur le rebord des jours bus à grandes lampées. Chaque seconde qui passe glisserait même la menace d’une rupture, si on les écoutait toutes chuinter la chanson du vide. Autant de ruptures finalement plus durables que les continuités, et vitales le plus souvent, pour qui sait les consommer (avec modération, de préférence).