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Une société sans ennui, un monde sans humanité

Publié le 01 juin 2009 par Chezfab
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Drôle de société que la notre. Imposant déjà un individualisme forcené et une frénésie de vitesse, elle semble abolir un état pourtant essentiel : celui de l'ennui, du rien faire, du néant.

C'est par un mode de constante stimulation qu'elle y parvient. Ainsi, pas un espace où le regard n'est pas, en zone urbaine, attiré par une publicité. Par un lieu sans bruits, que ce soit le bruit de la vie comme celui de la musique omniprésente (magasins, parking, etc..).

Il serait devenu dangereux de ralentir, de freiner, de ne rien faire. Cela se stigmatise dans les messages donnés de partout : soyez rapides, faites ceci, faites cela, ne rester pas seul (!).

Et pourtant le replis sur soi, l'ennui, le "bullage", l'arrêt, sont primordiaux à l'être humain. Certes, l'ennui imposé (par la maladie par exemple qui nous cloue au lit) peut "taper largement sur le système", mais l'ennui léger, celui que l'on décide presque, est une source intense de bonheur.

Car comment apprécier les bons moments si nous ne connaissons pas les moments vides ? Comment être certain d'aimer quelque chose (ou quelqu'un) si nous n'avons pas de comparaison possible avec un état de vide, voir un moment désagréable ?

Notre société cherche à nous priver d'une chose fondamentale : la possibilité de vivre des choses neutres ou déplaisantes. Elle cherche à nous amputer de notre être pour simplement cacher la vaccuité de ce qu'elle nous propose, et éviter que nous ne prenions le temps de voir que nous sommes loin du bonheur.

Cela commence très tôt. Combien de parents (ou pédagogues) disent aux enfants qui leur signalent qu'ils s'ennuient : "ben je sais pas, prend ta playstation, écoute de la musique, va faire un tour, joue au ballon". Ou bien culpabilise en se disant que leur enfant est triste ? Au lieu de simplement lui dire ce qui relève de l'incitation cognitive "réfléchit à ce que tu voudrais faire".

En limitant ainsi le recours à la réflexion, nous privons déjà l'enfant de sa part d'imaginaire (c'est à dire ce qui sort de son propre vécu, de ses propres fantasmes). Comme si la notion même de "non ennui" devenait un enjeu d'éducation ! Alors que c'est le contraire ! Comment ne pas comprendre que (même si des facteurs extérieurs jouent sûrement) l'hyperactivité croissante des enfant est plus liée à une sur-stimulation constante qu'autre chose ? Aucun arrêt, un être perpétuellement stimulé (cela commence parfois au niveau foetal avec les cours de langue via des casques audio et cela continue avec les activités extra-scolaires qui transforment les enfants en ministre : cours de judo, de musique, de langue, de religion, etc... En une semaine, l'enfant n'est jamais à l'arrêt !). L'humanité globale est niée au profit d'une déshumanité du mouvement permanent.

Et cela continue à l'âge adulte. Le travail répétitif, puis les transports (souvent en voiture avec la radio), puis la télévision (et son cortège de publicités) et enfin le sommeil (souvent artificiel, médicamenteux). A aucun moment nous ne prenons le temps de nous poser (un banc, un livre (ou pas), observer les gens, les paysages et le monde). Non, nous courrons en permanence, à la recherche d'un bonheur jamais atteint et innatégniable, car inconnu ! Au point aujourd'hui de mettre un écran devant tous les yeux, même en voiture pour les passagers. A croire que les équipes de Pixar avaient raison quand ils donnaient une vision technologique de l'avenir dans Wall-E et ses sièges à porteur munis d'écrans allumés en permanence.

Car la vie sans vide est tout sauf la vie. Cela revient à courir en permanence un marathon sans fin. La société nous impose ,en fait ,de ne pas prendre le temps du recul (contrôle social ? Sûrement). Comme si pouvoir se demander ce que nous sommes et où nous allons étaient les deux questions interdites.

Prendre le temps de la lenteur, de l'ennui, de ne rien faire est un acte bien plus important qu'il n'y paraît. C'est le moment où, comme si cela n'allait pas de soi, nous arrivions enfin à faire le point sur nos vies, à nous intéroger vraiment sur l'essentiel et le superflu. Comprendre ce que nous aimons vraiment par rapport à ce que l'on nous impose d'aimer, via la publicité par exemple.

Prendre le temps de soi, d'être, devient un acte plus militant que ce que nous envisagions, et nous met hors normes de la société du spectacle permanent dans laquelle nous "vivons". Retrouver la lucidité du monde est aujourd'hui primordial.

Prenons le temps du temps, prenons le temps de vivre.


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