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Éternelle, fascinante Égypte

Publié le 16 janvier 2006 par Marc Chartier

Il y a mille et une raisons de s’intéresser à l’Égypte. Et donc de partir à la découverte de cette destination touristique qui n’en finit pas de jouer les premiers rôles contre les vents et marées de l’appréhension épisodiquement suscitée par les trublions de la sécurité à l’échelle de la planète.
Quelle que soit la motivation justifiant notre intérêt pour ce pays à nul autre pareil, l’Égypte se suffit à elle-même. Par-delà le temps et nos frêles histoires passagères, elle s’impose à nous comme la "Mère du Monde".

Pour quelle raison l'Égypte exerce-t-elle un tel pouvoir de séduction sur tous ceux qui l'approchent?
Bien sûr, nul ne peut rester insensible aux charmes de ce pays dont on ne saurait trop vanter l'incommensurable richesse architecturale et culturelle. Tout circuit touristique empruntant la vallée du Nil englobe immanquablement – excusez du peu! - les Pyramides et le Sphinx du plateau de Guizeh, la pyramide à degrés de Saqqarah, Louxor et Karnak, la Vallée des Rois et la Vallée des Reines, Assouan, le site d'Abou Simbel dont les temples, construits par Ramsès II, ont été découpés en blocs et remontés à soixante-quatre mètres au-dessus de leur emplacement initial pour ne pas disparaître dans les eaux du lac Nasser.
«Entendre la voix des ancêtres»
Cette rencontre représente, pour qui a eu le bonheur de la vivre, un moment inoubliable. Comment être blasé de contempler la pureté des lignes de Khéops, Khephren et Mykérinos ? Ou encore le subtil raffinement des traits et couleurs auxquels les artistes des dynasties pharaoniques eurent recours pour graver sur la pierre les événements majeurs de leur histoire ?
La réalité dépasse, ici plus qu’ailleurs, l’imaginaire. Les plus ou moins vagues souvenirs d’un acquis scolaire, le déjà-vu-quelque-part et la connaissance livresque se taisent pour faire place à l’émotion discrète qui, soudainement, vous étreint. «Il me faut un silence absolu, affirmait Champollion, afin d'entendre la voix des ancêtres!»Parée de tous ses atours qui contribuent à sa renommée et à son rôle unique dans le concert des civilisations, l’Égypte, aujourd’hui comme hier, s’identifie au mystère, à l’image des trésors archéologiques qu’elle recèle dans le sol aride de son désert.
Nous pensions la connaître déjà, et voici qu’elle se dérobe à nos souvenirs, à nos clichés, aux schémas dans lesquels nous tentions de nous réfugier. Son passé fait partie de notre histoire, voire de nos fibres les plus personnelles, mais nous le redécouvrons plus dense que jamais, plus étrange également, tel un perpétuel défi lancé au temps.
Les plus éminents spécialistes en égyptologie ont écrit des montagnes d’ouvrages, tous plus savants les uns que les autres. Cela n’empêche pas de nouvelles vagues d’archéologues sans frontières de continuer à inventorier, avec une infinie patience et une non moins grande compétence, les entrailles d’une terre qui n’a pas encore révélé tous ses secrets. Avis aux amateurs ! D’autres Champollion ont encore de beaux jours devant eux.
L' Égypte familière qui s'offre à nous, à nos regards, dépasse l'image que nous nous en faisions. Elle n'est en rien assimilable aux contours réducteurs d'une carte postale ou même de notre enthousiasme passager. L'essentiel est de se laisser emporter dans un pèlerinage au-delà du temps. L' Égypte n'a besoin d'interprète qu'elle-même. Elle ne se laisse assimiler à aucun souvenir, à aucun discours. Elle se donne à qui sait l'écouter, à qui sait vibrer au rythme de son âme.
On peut se préparer à affronter le "choc des pyramides". Mais quand on se retrouve au pied de ce que les bâtisseurs ont inventé de plus parfait, les mots tout à coup sont infirmes pour traduire ce que l’on ressent. La beauté ne se raconte pas, ne s’argumente pas. À la limite, elle ne se décrit pas. Elle se cueille dans la spontanéité du regard. «Tout le monde tient le beau pour le beau, affirmait Lao-tseu, c’est en cela que réside sa laideur.»Aux portes de l'Orient
Aussi riche et glorieux que soit son passé pharaonique, ou encore celui des cultures successives qu'elle a accueillies en inscrivant leurs traces dans la pierre et les monuments, l' Égypte souhaite également réserver à ses hôtes un autre visage: celui de la contemporanéité? Que nous ayons tendance à confondre Aménophis IV et Ramsès II, ou encore que nous mêlions les attributs d'Osiris et ceux d'Horus, personne ne nous en tiendra réellement rigueur. Par contre, une autre certitude s'impose: l' Égypte offre d'autres attraits "touristiques" dans le sourire inaltérable de ses habitants, la chaleureuse atmosphère de ses rues et de ses multiples commerces, la qualité et le professionnalisme de ses structures hôtelières, bref! son authentique sens de l'hospitalité.
Bien entendu, débarquant au Caire ou dans n'importe quelle ville de Moyenne ou Haute-Égypte, on entre de plain-pied dans la civilisation du bakchich (pourboire), du marchandage, de la débrouillardise, de l'inflation du verbe. Mais toutes ces moeurs, parfois hautes en couleurs, font partie du savoir-vivre local. Un service demandé ne reste jamais sans réponse, quand bien même déboucherait-il sur un Bokra in châ Allâh! («Demain, si Dieu le veut!»), voire sur un Bokra fî l-mechmech! ( «Demain dans l'abricotier», autrement dit: «Quand les poules auront des dents!»).
Cette Égypte au quotidien ne se réduit pas, elle non plus, à des formules toutes faites, ni aux «conseils pratiques» des guides touristiques qui répondent par anticipation à toutes les questions... sauf peut-être à celles que vous vous posez effectivement. Et c'est bien ainsi.
Pour qui aborde l'Égypte pour la première fois, la surprise peut être immédiate. Il se rend compte d'emblée qu'il vient de pénétrer dans un autre univers, une autre sphère culturelle où les repères habituels n'ont plus aucune consistance. Langue, rythme de vie, climat, tout concourt à vous rappeler que vous n'êtes plus en Occident, mais que déjà vous avez franchi le seuil du Machreq, de cette contrée du monde où le soleil se lève.
Les embarras du Caire
Tout circuit touristique de découverte de l'Égypte s'attarde évidemment sur la plupart des sites archéologiques majeurs, sans oublier au passage quelques jours de béatitude complète à bord de l'un de ces luxueux bateaux qui descendent ou remontent le Nil. Un détour du côté du barrage d'Assouan permet, en complément, une courte incursion dans l'Égypte contemporaine, les commentaires des guides locaux portant inévitablement sur la situation économique du pays (besoins en énergie, irrigation des terres, effets secondaires de la régulation des eaux du Nil, etc.).
L'itinéraire touristique au coeur de l'Égypte inclut également et fort heureusement un séjour plus ou moins prolongé dans la capitale du pays. Au programme: non seulement la visite du célèbre musée des Antiquités égyptiennes et de quelques mosquées (Ibn Touloun, Méhémet-Ali...), mais aussi et surtout une première plongée dans les rues et ruelles du Caire. Une telle expédition, aussi chaotique soit-elle, n'a rien d'un exploit à la portée des seuls initiés. Bien entendu, il faut respecter la règle du jeu, surtout dans les quartiers particulièrement touristiques comme Khan Khalîlî (souks). Toute personne ressemblant de près ou de loin à un touriste de passage est en effet un acheteur potentiel. D'où les sollicitations multiples et les incessants «Welcome!» auxquels il serait malséant de ne pas répondre. Au bout du compte, on se retrouve délesté de quelques livres égyptiennes et le bagage rempli d'objets et babioles en tous genres que l'on sera, malgré tout, heureux de déballer de retour au pays.
Que ce soit par ces voies obligées ou d'autres ruelles moins connues des touristes, il est bon de se laisser imprégner, autant que faire se peut, par la vie qui s'y exprime de mille et une manières auxquelles nous sommes vraisemblablement peu accoutumés.
Immédiatement, dès que l'on sort des zones résidentielles plus huppées, on se rend compte que la circulation au Caire tient plus du slalom permanent que de la paisible flânerie. Les rues y sont le reflet même de la vie à l'égyptienne: on y déambule, on y mange, on y marchande, on y joue, on y prie... on essaie aussi d'y frayer son chemin. Mais quel fatras inextricable de piétons, de véhicules de tous gabarits, de vélos, de taxis, de charrettes tirées par des ânes poussifs mais toujours aussi généreux, de gamins courant après leur ballon, d'autobus aux portes desquels sont souvent accrochés des grappes humaines!
Le nouveau métro a certes amélioré la situation. Mais la mégapole cairote souffre réellement d'asphyxie, ses infrastructures ayant été prévues pour... disons trois fois moins de population.
Grâce aux progrès de la scolarisation et de la course aux diplômes, la quasi-totalité des jeunes ne veulent pas retourner au balad (campagne). Ils préfèrent s'incruster dans la ville, augmentant considérablement les effectifs (et l'immobilisme!) de la bureaucratie, pour eux la seule issue possible, à moins qu'ils n'émigrent pour de bon vers l'Europe ou les pays du Golfe.
De très nombreux "cerveaux" ont ainsi quitté la mère patrie, temporairement ou de manière définitive. Mais comment en serait-il autrement dans un pays où le décollage économique apparaît encore actuellement comme une chimère, compromis qu'il est par une surpopulation qu'aucune mesure ne semble pourvoir endiguer, ainsi que par des troubles politiques récurrents, malheureusement dissuasifs pour les touristes de tous pays?
Dignité et humour
Que l'on ne s'y méprenne pas toutefois! Si les embarras du Caire engendrent fréquemment des situations inconfortables, voire des scènes à la limite du supportable (que seuls les malades du déclic photographique ont l'impudence de filmer), ils ne sont en rien synonymes d'une impitoyable lutte pour la vie. Dans la pauvreté, l'Égyptien reste digne, non défaitiste, solidaire. Il garde de surcroît, au tréfonds de lui-même, ce légendaire sens de l'humour qui récupère tous les événements personnels, familiaux, nationaux. La nokta (bonne histoire) fait intimement partie de l'âme égyptienne, comme un pied de nez aux aléas et ingratitudes de l'existence.
Oui, décidément, l'Égypte n'a pas fini de nous surprendre. Cette philosophie naturelle et spontanée, qui remet les vraies valeurs à leur juste place, est ingénieuse au point de trouver aux antagonismes les plus divers un terrain de conciliation. Nous ne battons pas seulement ici le rappel de toutes les civilisations qui, au fil des siècles, ont façonné l'Égypte: ère pharaonique, époque perse, influence romaine, judaïsme, christianisme, retour des Perses, arrivée de l'Islam, Mamelouks, Turcs, etc., pour aboutir à l'époque contemporaine. L'Égypte a l'extraordinaire faculté de tout assimiler, en restant elle-même, à l'image du Caire où se juxtaposent tradition et modernisme, luxe et extrême pauvreté, passé et présent, vie et mort.
En réalité, c'est surtout l'aptitude qu'a l'Égypte de rassembler les extrêmes qui peut confondre l'observateur étranger.
Dans sa géographie même – résultat de quel hasard? -, le pays est un étrange amalgame de désert et de verdure, de sécheresse et de végétation luxuriante. Creusant sa voie dans un sol désertique qui ne peut engendrer que la mort et la désolation, le Nil crée la vie jusque dans le moindre de ses méandres. Au terme de son périple, avant de rejoindre, comme à regret, les eaux méditerranéennes, il prend le temps de ralentir son cours pour s'agripper à cette terre qu'il a fécondée, formant le Delta de la Basse-Égypte.
Un peuple, plusieurs cultures
Sur le plan de la pensée, le paradoxe n'est bien entendu pas assimilable à cette symbolique de la vie et de la mort. Il n'empêche que les opinions les plus contrastées trouvent en Égypte, notamment au Caire, un terrain favorable à leur expression. Al-Azhar, par exemple, la plus célèbre université islamique , est un creuset des sciences de l'Islam. Elle accueille des cheikhs enturbannés provenant de toutes les contrées du monde. Dans le même temps, de nombreux intellectuels se forment à l'occidentale et s'éloignent du fondamentalisme islamique tout en se réclamant de la même religion musulmane.
Traversons la rue... et nous y trouvons un exemple encore plus éloquent sans doute: les Chrétiens, en tout premier orthodoxes, sont en Égypte très minoritaires, mais ils existent. Ils existent d'autant plus qu'une filiation directe relie leur nom à celui de leur pays: «Copte» (en arabe: qibtî) vient du grec Aiguptos, c'est-à-dire «Égyptien».
Les statistiques, leur interprétation surtout, varient très sensiblement que l'on se situe du point de vue officiel (l'Égypte est, selon les termes de sa Constitution, un État musulman) ou de celui des intéressés eux-mêmes. Mais quel que soit le chiffre retenu, les Coptes ont, en Égypte, pignon sur rue.
Passons sur les divergences doctrinales ou éthiques, tant musulmanes que chrétiennes, qui n'ont pas manqué de voir le jour. L'Égypte n'échappe pas à la logique orientale qui, sous bien des rapports, est un terrain propice aux querelles plus ou moins byzantines, à l'émergence des sectes ou même des schismes, à la confrontation en somme de toutes sortes d'hégémonies autochtones ou importées de l'extérieur.
Qu'il nous suffise ici de constater que les différentes cultures qui composent l'Égypte contemporaine se rassemblent dans un seul peuple. Le moment venu, ce peuple sait taire ses antagonismes pour se regrouper sous une même identité et une unique bannière. Il sait vibrer aux mêmes émotions, dans la joie comme dans la douleur, dans le rêve comme dans la vie, dans la routine comme dans l'événement national.
L'éternité traduite au présent
La Cité des Morts, au Caire, n'a pas droit aux circuits touristiques officiels. Heureusement, puisqu'il y aurait pour le moins quelque indécence à visiter un lieu faisant l'objet de tant de vénération, notamment le vendredi, jour saint de l'Islam.
Cette véritable ville dans la ville, dominée par la colline du Muqattam et la Citadelle, n'en est pas moins très révélatrice de l'Égypte profonde. Ce qui, ailleurs, ne serait qu'un simple cimetière devient ici un point de convergence (et même d'habitation), un lieu où se nouent et se dénouent certains événements importants de la vie quotidienne. Le célèbre romancier Naguib Mahfouz, Prix Nobel de littérature, s'en est admirablement fait l'écho.
L'Égyptien associe les morts à sa vie. Il vit avec la mort. Il la dramatise au besoin, la célèbre parfois. Mais toujours, cette rupture apparente ouvre sur le sanctuaire de l'au-delà.
Les Pharaons de jadis faisaient coïncider leur mort avec leur triomphe ultime, en édifiant des tombeaux destinés à défier les limites du temps. Sans faire appel à des raccourcis faciles, il nous semble que les fils du Nil vivent encore aujourd'hui, parfois de manière très explicite, de la même inspiration.
L'Égypte a traversé les siècles. Celle qui fut la «Mère du Monde» a dû affronter tant et tant de bouleversements au rythme des soubresauts de l'histoire. Toujours, elle a su rester elle-même. Al-sabr gamîl, al-sabr mouftah al-farag disent les proverbes égyptiens: «la patience est belle», «la patience est la clé du succès». Le temps qui passe, ce minuscule instant que l'on supporte ou que l'on sait attendre, a toujours pour l'Égyptien une saveur d'éternité. En définitive, rien n'a changé. Ou si peu...
Quoi de plus simple en vérité que les pyramides du plateau de Guizeh ? Mais quoi aussi de plus imposant que cette perfection géométrique sur fond de désert ?
Il se passe immanquablement "quelque chose" sur ce site unique au monde, un je ne sais quoi qui vous prend aux tripes et vous inonde du bonheur d’être là. Tout simplement là. Cette sensation connaîtra d’autres modulations au cours d’un périple le long du Nil, notamment à Karnak, Louxor et Abou Simbel. Mais au pied des majestueuses pyramides qui se moquent superbement des mercantiles à-côtés du tourisme, tout est différent.
L’Égypte, cette patrie du grandiose et de la démesure qui a conclu un pacte avec l’éternité, vivrait-elle non seulement dans les replis de notre grande histoire, mais aussi et d’abord en chacun de nous, au cœur de notre patrimoine intérieur ? Lors d’un voyage de découverte menant du Caire aux frontières de la Nubie, nul ne peut échapper à cet inventaire intime.
Contemplant l’énigmatique face du Sphinx qui, tourné vers le soleil levant, préside inlassablement aux destinées des fils du Nil, nous nous surprenons à redonner vie à des souvenirs ancrés dans un passé plus ou moins lointain. Puis, consciemment ou non, notre découverte de l’Égypte prend des airs de retrouvailles avec une civilisation connue et familière.
Mystère et simplicité, tels sont sans doute les deux mots-clés de ce pays qui nous accueille, amical et généreux, mais sans se livrer totalement lui-même.
Touristes d'une semaine ou plus, nous restons toujours les invités de l'Égypte. Elle ne se laisse réellement approcher qu'avec le coeur. Qu'elle s'offre à nous dans le faste de ses décors pharaoniques, dans l'atmosphère apaisante, presque irréelle, d'une croisière sur le Nil ou au travers de tant et tant de regards croisés dans les rues animées du Caire, elle ne peut laisser indifférent. On l'aborde en curieux peut-être, on ne la quitte pas indemne.
Au terme du voyage, il reste sans doute quelques souvenirs gravés dans la mémoire ou une belle collection de photos. Mais l'essentiel est ailleurs, dans cette part de nous-mêmes à laquelle nous donnons maintenant un nom, un visage peut-être...
Qalbî alâ Misr: nous partons de l'Égypte en l'emportant dans notre coeur. Nous y reviendrons, car elle nous manque déjà...

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