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Habib raconte "son" 10 Juillet 1978

Publié le 06 juin 2009 par Bababe

Relire un certain 10 juillet écrit par  Habib Ould Mahfoudh  en attendant le prochain billet.

"Le dix juillet est toujours (toujours) une journée à commémorer. Ce dix juillet 1978, je m'en souviens comme si c'était demain soir. Je dormais - exactement comme je dormais le jour du fameux 12/12/84, comme quoi après les 400 coups, faut toujours prévoir le 401 ème, qui est souvent UN COUP D'ETAT -"

Le dix juillet est toujours (toujours) une journée à commémorer. Ce dix juillet 1978, je m'en souviens comme si c'était demain soir. Je dormais - exactement comme je dormais le jour du fameux 12/12/84, comme quoi après les 400 coups, faut toujours prévoir le 401 ème, qui est souvent un coup d'Etat - je dormais comme dorment les dormeurs conscients de leur dormition (à ce stade ce n'est plus le sommeil, c'est plus, disons , philosophique...), lorsqu'un vieux marabout me réveilla.

Il avait un gros poste radio JVC qui braillait une marche militaire assez quelconque et à en croire le vieux marabout, c'était grave. Pour il n'y avait absolument rien de grave, tant que le prof ne m'a pas collé un zéro. Pour lui c'était clair : on vient de renverser le ministre de l'intérieur Ahmed Ould Mohamed salah, ce qui s'appelle un coup d'Etat, étant entendu qu'il était hors de question que Mokhtar puisse être renversé dans son entendement. Coup d'état ou pas coup d'état, ma matinée maigrelette était bel et bien fichue. La musique militaire s'arrêta et une voix appliquée dans son emphase, à l'articulation laborieuse (celle de Ould Deh, l'actuel, passé et futur directeur du port de Nouakchott ), répandit sur le pays ce qui passa à la postérité sous le nom de "communiqué N°1" et couvre ces fortes paroles : " Mauritaniens, Mauritaniennes, peuples de héros, le régime de corruption anti-nationale et anti-populaire a pris fin. Les forces armées, dépositaires en dernier recours de légitimité nationale, ont pris le pouvoir..." et ainsi de suite.
C'était donc assez sérieux pour que je consente à lâcher mon cousin. La première question que je me posais a eu seulement -à ce moment-là et que je me pose encore- est de savoir comment doit se comporter le citoyen d'un pays gouverné par les militaires, que doit faire un "putsché". Ma première conclusion fut la suivante : il faut éviter comme la peste tout ce qui rappelle de près ou de loin, le régime "de la corruption anti et anti", à savoir le méchoui, le Sahara et sa guerre et sa paix, les bureaux (politiques et autres), les secrétaires fédéraux, les peuples et leurs partis, la limonade, les discours de plus de deux heures, le terme "camarade ", Abdallahi Salem Ould Ahmedoua, les festivals, les voyages à l'étranger, les avocats, le mot "ministre" et un tas d'autres choses relevant du champ sémantique Daddahien.
Il fallait par contre, d'après mes conclusions, s'appliquer à faire des fautes d'orthographe, sentir l'harmattan, d'efforts inutiles et le fromage de chaussettes, piller régulièrement les boutiques de Guerra, arriver à l'heure, dire "ouay" et "no", traquer les gazelles "beaucoup moins dangereuses que les guerilleros du Polisario en 4X4, raconter des histoires qui commencent toujours par "l'autre heure à Tichla" ou "l'autre, nous, à Aweynat Imijij, nous n'étions pas au courant jusqu'à ce qu'un obus dise Kar entre nous... Je dis à mes amis : Ils se sont assis avec nous, les dénaturés".
Il faut dire que jusqu'à la guerre du Sahara, l'image des militaires que j'avais, bien que fils de gendarme très "jugulaire-jugulaire", se réduisait à une sorte de comptine que nous répétions dans les cours de récré : "voiture 4X4, numéro 4 4 4 4, ici le sergent G'naybira, c'est à dire moi-même, envoyer un cable, et un hable, et un Frigidaire africain". De là, nous passions à cette belle déclaration d'amour militaire : "quand je suis à côté de toi, mon cœur il est Frigidaire, quand je suis loin de toi il est Butagaz". Le rapport n'est pas évident, je sais, mais un mot rime rarement avec logique, beaucoup moins souvent en tout cas qu'avec certaines marques déposées.
N'allaient à l'armée, pour nous que les cancres et les têtes brûlées. C'était insultant jusqu'à un certain point mais parfaitement défendable au-delà. De faute d'orthographe en faute de syntaxe nos valeureux militaires confirmèrent avec la guerre du Sahara puis de façon plus nette après leur accession au pouvoir, ce que Boris Vian savait déjà : Que "le propre du militaire était la sale du civil".
Pour en revenir à mon premier 10 juillet, je puis vous certifier, sur l'honneur, que j'étais vraiment, vraiment désemparé. Je sus beaucoup plus tard que je n'étais pas le seul à l'être.
Les auteurs du coup d'état l'étaient encore plus que moi. Le jour du coup d'état, des personnalités d'horizons divers (en fait plutôt des horizons du côté où les horizons se lèvent) et des "notables en réserve de la République "furent convoqués à la Présidence de la République un peu après dix heures. Personne d'entre eux ne savait exactement ce dont il pourrait bien s'agir. Nous en étions à notre premier coup d'état et le système n'avait pas encore généré ces hommes à géométrie variable qui s'adapte et adhère à toutes les surfaces et dont la devise est la fidélité à la trahison. Les turbans rivalisaient de blancheur et les boubous empesés accentuaient la solennité du moment. L'ambiance sentait l'inquiétude devant l'inconnu et la lessive Omo .
Surgit Sid'Ahmed ould Bneijara. Soit même.
Celui qui le jour du 10 juillet 93, sera nommé Médiateur de la République. Ce jour-là, il pensait son heure de gloire arriver. Il faisait partie de "l'aile civile" du "mouvement du 10 juillet" ayant pris le train en marche en janvier, six mois plutôt, alors que la préparation du coup d'état entrait dans son troisième mois.
Ould Bneijara prit la paroles devant les vieux turbans : il annonçait la révolution, rien de moins.
Son discours annonçait le 17 octobre 1917, la nationalisation du Canal de Suez ; fleurait bon les œillets et les maquis boliviens ; un discours Faroukicide. L'apocalypse pour l'impérialisme et ses suppôts ; le chant des damnés de la terre. L'assemblée qui écoutait bouche bée eut brusquement très soif. Des fantômes de Robespierre tournoyèrent dans les airs et sortirent avec Ould Bneijara. Un moment après lui, ce fut autour de Ismael Ould amar (à l'époque directeur de la SNIM), membre lui aussi de l'aile civile du mouvement du 10 juillet, qu'il a rejoint moins de deux semaines plus tôt.
Ould Amar y alla de son petit boniment, d'un libéralisme forcené. Tout n'était que privatisations, libre concurrence, laisser-faire et laisser-laisser.
Le coup d'état de Ould Bneijara et de ould Amar n'était visiblement pas le même. L'un d'eux s'était trompé de "mouvement". Le troisième à parler était Cheikhna ould Mohamed Lagdhaf, l'un des pères du 10 juillet, étant le premier civil contacté par le "quarteron" des putchistes (Moustapha Ould Mohamed Saleck, Jiddou Ould Saleck, Ahmedou Ould Abdellah et Mohamed Khouna Ould Haïdalla) en octobre 1977. Mais Cheikhna avait lui aussi sa version du coup d'état : C'était la "revanche des laisser pour compte de l'Est du pays qui forment la majorité de ce peuple". Certains notables arrivèrent très vite à la conclusion qu'il n'y avait pas un seul coup d'état mais trois. Réellement il y'en avait quatre, de coups d'état.
On s'en aperçut quand Moustapha Ould Mohamed Saleck fit irruption dans la salle en rangers et tenue paras ("peut-être tombe-t-il du ciel", se dirent certains) et se mit à expliquer "le sens du mouvement du 10 juillet". Le problème pour lui était surtout d'ordre économique, le pays étant au bord du gouffre à cause de la guerre du Sahara.
Les personnalités présentes le crurent sur le champ : Il était en tenue militaire. Les autres n'étaient déjà plus "que" des civils. Ce terme de "civil" (siwil en hassania), il faut le reconnaître, avait une forte connotation péjorative (sans que le terme "militaire" _sandri_ soit toutefois valorisant). Mais personne n'avait jugé bon d'appeler le régime de Ould Daddah "régime siwil", avant le 10 juillet. Et même avec le 10 juillet on lui trouva une autre appellation : "le régime déchu" (le verbe "déchoir" connut d'ailleurs une fortune remarquable par la suite). Ce qui sauvait l'honneur, les militaires n'étant moins "siwil" que les civils.
L'aile civile et l'aile militaire (des ailes pour voler sans doute) du "mouvement du 10 juillet" eurent d'ailleurs tôt fait de s'affronter. Bref, en me réveillant ce 10 juillet 1978, j'étais aussi perdu que les autres Mauritaniens, les auteurs du coup d'état compris. Il faut dire que j'en suis toujours au même point. Seulement aujourd'hui seul Maaouya Ould Taya, assis en bout de table le jour du coup d'état, gouverne. Il est là depuis le 12 décembre 1984 et y restera très probablement jusqu'au 12 décembre 2004.
Quant à moi, comme dit Yedaly Hacen, il ne me reste plus qu'à vous souhaiter bonne nuit. Une nuit aussi longue, il faut faire avec. Le soleil ne se lèvera pas demain, croyez-moi. Une certitude : "ni temps passés ni les amours reviennent...".
Et si le temps passait et les amours n'étaient jamais partis ?



Habib Ould Mahfoudh
Le Calame N°0, du 14 Juillet 1993

© Le Calame - Juillet 1993


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