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La “generation Y” en a assez des “pourquoi ?”

Publié le 07 juin 2009 par Guy Deridet
Un article publié sur www.owni.fr. Papy boomer à la retraite je ne suis pas d'accord avec tout ce qui est dit dans ce billet mais il a le mérite de nous éclairer sur ce que pense vraiment la génération actuelle des trentenaires. Très instructif ! La “generation Y” en a assez des “pourquoi ?” C’est une tarte à la crème, un cliché à la vie dure, mais la génération Y, ou génération numérique, ou génération digitale, ou encore génération du pouce (SMS & consoles de jeux) est là, et bien là.

Socialement présente, active, et… mal accueillie. Dressons un rapide panorama de ce qui nous chiffonne, et surtout en premier lieu l’incompréhension et la surdité. Comme quoi si nous écoutons sans doute le baladeur trop fort, certains devraient peut-être passer chez Audika…

On ne veut plus des “pourquoi vous n’êtes pas politisés ?” : c’est une contre-vérité car nous votons et débattons, la jeune génération est en revanche très méfiante vis-à-vis des appareils politiques. Toute machine broie l’individu pour créer du collectif, or nous sommes plus individualistes car les utopies collectives sont en grande partie mortes au XXème siècle. Les grandes institutions ont failli : les partis ont magouillé, l’Armée a disparue, la famille se délite, l’Education Nationale se contente d’instruire et n’éduque plus. Il reste d’autres idéologies plus vivantes mais elles sont décentralisées et davantage empiriques que théoriques : altermondialisme, décroissance, éco-responsabilité. Il est plus difficile de gérer et fédérer autour d’une figure emblématique ceux qui ont appris à penser par eux-mêmes. Au reste, regardons ce qui reste de la fureur et de la fougue des révolutionnaires bon teint d’hier : des petits bourgeois bien installés ou des aigris cramponnés à leurs vieilles illusions.

On ne veut plus des “pourquoi vous n’engagez pas la lutte sociale ?” : heu… le CPE, les stagiaires anonymes, le chômage des jeunes si élevé, l’insertion sociale impossible, la banque qui se fait pénible dès le début de la vie indépendante, un État criblé de dettes pour le maintien du niveau de prestations d’une génération qui aura tout conquis et tout croqué, ça vous dit quelque chose ? Nous sommes moins optimistes que vous au même âge, car nous savons que nous aurons moins que vous, qu’il n’y a pas à conquérir. Nous savons que nous entamons la longue liste des matches en trop sur un front purement économique. L’avenir est sombre et en plus vous vieillissez en refusant de mourir assez tôt. Allez, on vous aime bien, on vous garde quand même… Mais ne nous forcez pas à sourire ! En revanche sur les droits civils nous sommes là et bien là : droits des homosexuels, représentation, discriminations, parité, immigration et intégration, vote local… autant de débats largement entamés. Sans vous, la plupart du temps.

On ne veut plus des “pourquoi vous ne vous engagez pas dans l’entreprise ?” : on a commencé comme stagiaire, on a été trop diplômé pour le poste, ou manquant d’expérience, on nous embauche pour remplacer certaines fonctions sans en recevoir le salaire, alors donner aveuglément notre loyauté, il ne faut pas rêver non plus. Nous sommes la génération du chômage de masse, des plans sociaux et des conflits où il y a un peu à préserver, rien à gagner. Arrêtons les discours faussement paternalistes sur l’accomplissement de soi en entreprise : une société fait du business pas de la philanthropie. Nous venons travailler pour chercher à manger et un peu plus si possible. Si en plus on s’épanouit dans notre travail c’est formidable mais pas indispensable. Et d’ailleurs nous donne-t-on du champ pour cela ? Nous fait-on confiance ? Prend-on des risques en nous confiant certaines missions, certaines responsabilités ? Nous n’en avons pas l’impression. L’époque des bons petits soldats obéissants est révolue, il va falloir faire avec une génération moins niaise mais qui a d’autres richesses et valeurs à partager.

La voiture et les avions ça nous fait moins rêver, les pétroliers et les banques aussi. Le consulting et les présentations pipeau jusqu’à pas d’heure avec notes de frais invraisemblables également. Parlez-nous engagement en faveur du handicap, de la diversité, gestes éco-responsables, économie locale, commerce équitable, formation. Nous n’avons simplement pas les mêmes aspirations, nous savons que nos carrières seront plus chaotiques, nous ne serons pas dans une courbe globalement croissante durant notre carrière. Les métiers que nous exercerons dans 10 ans n’existent probablement pas encore aujourd’hui. Mais nous sommes davantage prêts à nous adapter, à rebondir, à changer. Saurez-vous en prendre le meilleur parti ? Au pire, nous entreprendrons, sans vous. Nous le faisons déjà.

On ne veut plus des “pourquoi tu ne te maries pas ?” et des “pourquoi tu ne fais pas d’enfants ?” : nous sommes la génération des parents de divorcés, nous avons eu sous les yeux des familles qui se déchirent, il ne faut pas non plus trop en demander tout de suite. Cela ne veut pas dire que le couple ou les enfants font peur. On se PACSe, on vit ensemble, on se sépare, on fait des enfants hors mariage, on recompose les ménages, on assume son homosexualité sans faire de mariage de façade. Les femmes sont plus libres et libérées, elles veulent une carrière, elles sont devenues plus exigeantes (à raison) et ne s’engagent pas à la légère. Nous sommes la génération du SIDA, pour laquelle le sexe et la relation à l’autre n’est pas émancipateur mais est un danger potentiel. Nous sommes la génération de la xénophobie et du racisme au quotidien, la génération du FN à plus de 10%. Comprenez nos angoisses et nos doutes. Et pour ce qui est de faire des enfants, on s’entraîne, on s’entraîne… (NDLA : il existe une version plus trash de cette dernière réponse mais chez owni on est polis, on enlève les doigts de son nez et on dit bonjour à la dame).

On ne veut plus des “pourquoi tu as besoin de Facebook, Twitter, Skype, ton blog, LinkedIn et MSN au bureau : tu ne bosses jamais ?” parce que nous sommes une génération connectée. Nous entretenons des relations plus informelles avec différents cercles de connaissances, nous outrepassons les hiérarchies parce que nous recherchons l’efficacité plutôt que l’esprit maison. Nous formalisons nos pensées, nous réfléchissons collectivement, parce que nous veillons et pas seulement au coin du feu avec une guitare. Nous aimons travailler en musique, faire des blagues potaches, réagir rapidement, en résumé : vivre ! Nous ne sommes pas des no-life mais au contraire des more-life. Nous avons de multiples dimensions. Il y a une vie, sur le lieu de travail comme ailleurs. Ce monde n’est pas aseptisé, décrit par un organigramme. Il y a des rapports humains. Vous acceptez bien que l’on emporte du travail à la maison, alors pourquoi pas un peu de vie privée au travail ?

On ne veut plus des “pourquoi vous ne comprenez pas que tout ne peut pas être gratuit ?” parce que vous vous cramponnez à une époque pré-numérique où la fabrication et la copie nécessitaient des moyens matériels et impliquaient une privation de l’un pour donner à l’autre. Aujourd’hui les choses ont changé et les business models de l’industrie vidéo et de la musique devraient changer. La vente des supports est une activité marchande annexe, pas l’activité artistique en elle même. Elle est parasite parce qu’elle capte l’essentiel des revenus sans produire quelque chose d’utile.
Les frères Coen et Dardenne font des films. Ils ne bourrent pas les salles ni les rayons DVD des commerçants. Dionysos fait de la musique, et donc des albums et de la scène. Ses membres ne gravent pas les disques personnellement et s’en fichent pas mal. Arditi joue des pièces et des films, il en assure éventuellement la promotion dans les médias mais c’est simplement… le jeu. Le jeu d’une industrie. Ce n’est pas là son talent artistique ni ce pourquoi on l’engage.

Qui plus est, penser que nous croyons que tout est gratuit c’est nous infantiliser et nous prendre pour de sombres crétins. L’image de la jeunesse insouciante et en rébellion c’est bien gentil mais ce n’est drôle que dans les séries TV et les publicités ironiques. Nous payons nos impôts, nous avons un salaire, nous achetons ce que nous aimons pour nos loisirs. Les gros téléchargeurs sont aussi des gens passionnés, et donc la plus part du temps les plus gros acheteurs, les plus fervents prescripteurs (oui oui ! Ils font même du marketing pour vos produits ! Et gratuitement en plus !) et parfois même… sont artistes eux-mêmes.

Vous pensiez que le monde avait beaucoup changé entre celui de vos parents (nos grands-parents) et le votre ? C’est vrai. Il a également beaucoup changé en une génération, juste après. Ces questions sont légitimes mais les réponses datent déjà et n’ont toujours pas été entendues par une génération qui s’agrippe aux pouvoirs. Peut-être ne fait-on que reporter l’éternelle querelle des anciens et des nouveaux, qui a dû faire jaser à d’autres époques charnières. Seulement, l’histoire et la technique, la société et la géopolitique, l’économie et les nouveaux enjeux de la planète, tout cela s’accélère.

Au lieu de nous prendre pour des mômes, pourquoi ne compteriez-vous pas un peu sur nous ?

PS : le titre est resté sans accents pour generation, car en anglais, Y se dit “why”, comme pourquoi.

b[Article rédigé par Enikao sur www.owni.fr
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