Pascal fût contemporain de Descartes et comme lui, ses activités dépassèrent des sommets d’intelligence. La comparaison cependant s’arrête là. Contrairement à Descartes, Pascal se caractérise en tant que penseur isolé. Ses idées ne seront pas reprises par d’autres dans un courant de pensée, comparé au cartésianisme. Pascal occupe d’ailleurs une place particulière dans l’histoire de la philosophie. Il se distingue notamment dans la méthode qu’il emploie, se refusant à appliquer des principes généraux communément admis et considérés en conséquence comme des vérités élémentaires. Pascal à contrario affronte chaque problème qui se présente en laissant de côté tout présupposé scientifique, en ne partant de rien pour ensuite bâtir une loi comme cadre de résolution de chaque difficulté vaincue. Il revisite ainsi quelques chemins de la connaissance et en route il découvre des concepts qui complètent la démarche de ses prédécesseurs. L’exemple le plus illustre concerne la révision de tout ce qui participe chez l’homme à sa perception de la réalité. Sur ce sujet, il distingue trois ordres. Le premier est celui du corps, appréciable à l’œil nu car caractérisable selon des échelles de grandeur, quantifiable en tant que matière. Le second ordre est par contre immatériel, s’agissant de l’esprit. L’entendement, à la différence du monde physique, n’est abordable qu’avec les yeux de l’âme. Jusqu’ici rien de particulier dans cette distinction entre le corps et l’esprit, dont bon nombre de philosophes s’en sont faits les défenseurs par le passé. L’apport essentiel de Pascal est plutôt à chercher dans la définition d’un nouvel ordre, le troisième qui est celui du cœur et qui l’emporte sur les deux premiers. En effet, la réalité est différente selon que l’on se place sous la tutelle du corps ou de l’esprit car les moyens employés, la vision ou la raison, ne sont pas de même nature. Le cœur quant à lui permet d’aller au-delà de cette dichotomie en se positionnant comme grandeur suprême. Le cœur se dédie à la charité, à la compassion, et sa primauté est légitime s’il est converti tout entier au Christ. Pascal, que l’on présente aisément comme un homme de sciences aux talents exceptionnels, fût également un chrétien devenu fidèle par l’entremise d’une révélation à la teneur divine, une nuit de novembre 1654. L’expérience fût mystique et dès lors la foi chrétienne ne le quittera plus, l’accompagnant jusqu’à son retrait du monde dans la dernière partie de sa vie. Cette conscience religieuse sera le terreau de son œuvre majeure, les Pensées. Pascal s’attèle à convaincre les libertins et les athées sur la nécessité de croire en Dieu afin qu’ils puissent entrevoir le salut. Mais au lieu de tenir un discours moralisateur ou prosélyte, il use une fois encore de la contradiction. Les stoïciens par exemple, qui défendent la dignité humaine, ont tout autant raison que les septiques qui refusent d’accorder à l’homme une quelconque magnificence. Chacun est dépositaire d’une conception de la réalité tout à fait acceptable dans l’esprit ou sous l’angle de vue qu’il emprunte. Même si les idées s’opposent, elles contribuent chacune à la conquête de la condition humaine. L’opposition n’empêche pas la complétude. Pascal se joue également de son lecteur, en essayant de le dérouter en ponctuant son argumentaire d’incessants face à face où se confrontent le pour et le contre. L’objectif du philosophe est ainsi d’épuiser le scepticisme et de présenter la foi comme seule capable de triompher des impasses rationnelles. Au-delà du fait que la pensée pascalienne soit toute dévouée à Dieu, l’apport philosophique des Pensées est indéniable. Pascal démontre que les divergences de vue, loin de se neutraliser dans un cops antinomique, peuvent au contraire se concilier dans une démarche plus complexe pour l’exploration d’un champ de connaissances jusqu’à alors inconnu.