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Paris-Métropole vu de Clichy-sous-bois

Publié le 10 juin 2009 par Jean-Paul Chapon

clichy-1.1244656132.jpgIl est beau mon immeuble, hein, c’est ça il est beau !” cri de colère, quand je prends en photo la petite affiche qui indique le chemin vers l’Espace 93 Victor Hugo de Clichy-sous-bois, lieu du baptême de Paris-Métropole avec l’élection de son président. Le cri ne vient pas d’un jeune, d’un “encagoulé” ou d’une “racaille”, comme ou pourrait s’y attendre à la lecture des journaux. Non, c’est une dame retraitée, élégante qui se rend avec ses amies dans un foyer pour le déjeuner. Je lève le malentendu, non je ne prends pas en photo son immeuble mais la petite pancarte Paris-Métropole, et j’essaie de faire un micro-trottoir à Clichy-sous-bois à propos de Paris-Métropole. Paris-Métropole, vous savez ce que c’est ? Et vous savez ce qui se passe aujourd’hui à Clichy ? Je lui montre l’affiche. Ah oui, c’est la seule qui est au courant, elle l’a noté sur son agenda avec un point d’interrogation, parce qu’on lui en a parlé, mais elle ne sait pas du tout ce que c’est. La discussion s’engage. Le problème ici c’est qu’on voudrait être tranquille, chez nous. Mais il y a  ”des sagouins. Des sagouins, pas des racailles… ils crachent dans les ascenseurs, ils dégradent tout, regardez le parc est beau, mais ça ne va pas durer, ils jettent leurs papiers“, un groupe d’adolescentes passe en riant fort. « Quand ils ont 4 ans, ils nous disent bonjour, après c’est fini. Je ne sais pas pourquoi ». Des problèmes ? il y en a encore, là haut côté Montfermeil, et puis il y a aussi des cages d’escaliers qui brûlent, mais il ne faut pas en parler, pour ne pas tout relancer. Elle continue, « Monsieur le maire (Claude Dilain) a un cœur d’or, il est très généreux », et de préciser que bien sûr, la ville est pauvre, mais que ce n’est pas de cette générosité là qu’elle veut parler. Elle a lu le livre du maire, « Chronique d’une proche banlieue », et aussi celui de Bromberger, qui est venu chez elle pour lui poser des questions sur Clichy. Mais finalement, ce sont les transports le problème, le tram, quand va-t-il arriver ? Il y a bien les bus, mais le tram ça serait mieux, si l’autre maire le laisse passer.

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Le micro-trottoir se fera sans vidéo, les gens me parlent mais ne veulent pas être filmés, tant mieux, ça évitera les clichés sur les couleurs et origines. J’ai rencontré des blancs, des noirs, d’origine française et étrangère, métropole et Antilles, turcs, portugais, etc ; sauf cas particulier, je ne le mentionnerai pas,. Tout de même pour mieux comprendre ce Clichy-sous-bois, tant symbolique à une quinzaine de kilomètres de Paris : dans la galerie commerciale il y a le Parisien au marchand de journaux, mais pas Libération, et à côté du présentoir du Parisien, il y a deux quotidiens turcs. Dans la boulangerie de la galerie, il y a des croissants, au café, tenus par des turcs, il n’y a pas de croissant, pour manger, le garçon me propose de la soupe de lentille.

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Dans la galerie je rencontre un jeune, peut-être 25 ans, étudiant. Il m’explique qu’il est là depuis 10 ans, Paris-Métropole il n’a pas entendu parler. Le Grand-Paris ? pourquoi pas, mais pour ici ce qui manque d’abord, c’est la police de proximité. Les jeunes qui font des problèmes, c’est surtout une question d’éducation, des parents qui ne remplissent par leur rôle. “Ils sont surtout occupés au problème des revenus, avoir de l’argent, et le soir, ils font manger les enfants mais n’ont pas le temps de s’occuper des devoirs, ou de vérifier si les enfants vont bien à l’école. C’est dommage“. Dans son pays, tout le monde est plus ou moins parent, alors dans la rue, on peut dire à un enfant d’arrêter les bêtises, et de retourner à l’école. Mais lorsque je lui demande pourquoi les parents ne pensent qu’à trouver de l’argent, il me dit que c’est difficile pour eux, “c’est la détresse“, et alors c’est normal que ça occupe toute leur attention. Le cercle vicieux.

Vous habitez Clichy, “non, j’habite Sevran, mais je travaille ici à Clichy, à la poste“. Paris-Métropole ? pas entendu parler. Comme d’autres, elle a bien vu qu’il y avait beaucoup de voitures garées entre la mairie et l’Espace 93, mais elle ne sait pas pourquoi. Je lui explique Paris-Métropole, le Grand-Paris et lui demande comment elle se définit. « ”Sevrannaise” », pas parisienne, Paris elle n’y va pas souvent, c’est loin. Elle vient de Sevran à Clichy en voiture, parce que les transports elle n’aime pas, c’est compliqué, il faut changer.

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Elle a aussi remarqué les voitures, mais ne savait pas pourquoi. Paris-Métropole ? le Grand-Paris, pourquoi pas. “Si ça peut faire avancer les choses“. Lesquelles ? “les transports“. C’est le sujet qui vient en premier ou en second, lorsque le premier souci est la sécurité ou la police. Comme cet homme qui me dit qu’il a noté comme les gens sortent des gares des villes voisines en courant pour prendre les bus, de peur de ne pas avoir de place pour monter à Clichy. La ville, il y habite depuis longtemps, il aime bien, “c’est agréable“, surtout maintenant qu’il a changé de quartier. Avant, il était du côté de la galerie commerciale. Les immeubles sont trop grands, il y a toujours des problèmes, mais maintenant il est un peu plus bas, dans des immeubles plus petits, et c’est bien. De toute façon, Clichy, à part il y a deux ans, c’est calme. Il n’y a que là-haut, du côté de Montfermeil, “là-bas, c’est dur“. Paris-Métropole, il ne connaît pas non plus, le Grand-Paris, c’est peut-être trop grand pour être bien géré, mais en discutant, sur le projet de tram jusqu’à Clichy, il dit qu’effectivement, ce n’est pas Clichy tout seul qui va peser assez lourd pour qu’il arrive. Et quand je lui dit qu’il arrive bientôt, il éclate de rire, en disant que depuis qu’on l’attend, on n’est pas près de le voir à Clichy, qu’on a dépensé tout l’argent pour faire un tram qui passe dans les pavillons au lieu d’en faire un ici où il y a beaucoup de monde et pas de transports, mais que de toute façon, le maire de Livry-Gargan ne veut pas que le tram traverse sa ville pour aller à Clichy. Finalement, si le Grand-Paris peut aider là, c’est pas mal. De toute façon, il se sent parisien, il y va, y travaille, et quand il parle de là où il habite c’est Paris. Comme cette autre qui me dit que bien sûr elle est parisienne, même si elle habite Aulnay. Paris-Métropole, le Grand-Paris ? elle ne connaît pas. Mais quand elle est à Marseille, elle dit bien qu’elle habite Paris !

Elle, elle a longtemps habité Paris, dans le 17ème, c’était bien. Mais trop cher, trop petit. Ici elle a un F4 pour elle et ses deux filles. Elle a une alliance, j’imagine un mari aussi. Je ne l’ai pas demandé. Elle son problème à Clichy se sont les autres. Elle est la seule locataire dans son immeuble et la seule noire. Elle pense que c’est pour ça que les gens ne sont pas sympas avec elle, qu’il y en a même qui se dépêchent de fermer la porte quand elle arrive. Pourtant, à la Guadeloupe elle aussi elle est propriétaire, elle construit une petite maison. Alors elle voudrait aller ailleurs, déménager, pas à Paris forcément mais dans un endroit où les gens sont sympas. Paris métropole, non, elle ne sait pas ce qui se passe aujourd’hui à Clichy.

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Après ces rencontres, je me retourne à l’Espace 93 pour suivre la partie ouverte de la réunion et la conférence de presse. Léger décalage lorsque le maire de Nogent, Jacques JP Martin (UMP)déclare que « Paris-Métropole doit parler à tous les habitants au travers de leurs élus », il y a visiblement encore beaucoup de travail à faire. Mais pour être honnête, il y a aussi des habitants de Clichy-sous-bois dans la salle, qui eux savent désormais ce qu’est Paris-Métropole. Et aussi une belle déclaration de Claude Dilain, le maire PS de Clichy, qui souligne à quel point il est important d’un point de vue symbolique d’avoir tenu cette séance à Clichy, pour le lancement de Paris-Métropole, et témoigner ainsi que même des villes comme la sienne ne sont pas oubliées dans les travaux du nouveau syndicat. Il n’y a pas longtemps, j’avais dit que Neuilly sur Seine aurait aussi été très symbolique pour tenir cette première séance. Je n’étais pas si loin de la réalité, puisque l’on a appris que Claude Dilain, maire de Clichy-sous-bois et Jean-Christophe Fromantin, maire de Neuilly, se retrouvent en charge de la Commission Développement et Solidarité, plus qu’un symbole, ou peut parler de rupture.

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Beaucoup d’émotion et de remerciements pendant cette séance, hommage mérité à Pierre Mansat (PC) en particulier dont la ténacité est saluée, l’adjoint du maire de Paris, Bertrand Delanoë (PS) en charge des relations avec les collectivités, dont c’est un peu une consécration aujourd’hui. Amertume à peine voilée de Philippe Laurent le maire de Sceaux (NC), qui a retiré sa candidature à la présidence de Paris-Métropole au profit de celle d’Yves Le Bouillonnec (PS), maire de Cachan. Applaudissements du sénateur des Pavillons-sous-bois, Philippe Dallier (UMP) après la déclaration du maire de Sevran, Stéphane Gatignon (PC) lorsqu’il déclare qu’ “on ne peut pas en rester avec un syndicat mixte d’études basé sur le plus petit dénominateur commun” mais travailler à une structure politique démocratique.
Et puis tout de même étrange séance, après les élections européennes, et certaines phrases qui font bien sentir qu’on est vraiment déjà en campagne pour les régionales.

Bref à suivre dans une prochaine note, mais avant, un point amusant sur les médias et la banlieue. Je me mêle à une conversation de journalistes dans la salle, c’est leur première venue à Clichy, l’une est venue en transports en commun, maintenant elle sait dit-elle, l’autre en voiture par la N3. Ils découvrent Clichy. Au moins, ils sont venus, mais je me demande comment on peut écrire sur les problèmes de la métropole et du Grand-Paris sans faire « du tourisme en banlieue », comme je le leur explique.

à suivre…

Jean-Paul Chapon


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