J’imagine parfois le spectacle de ma mort, spectacle flamboyant et majestueux. Il y aura des invités, vois-tu, par milliers, par
milliers, par millions, il y aura des invités, des curieux, des fous et des folles qui s’élanceront sur mon cadavre pas encore froid, pour le humer, le respirer, le téter, l’enchanter, le
dévorer. J’imagine parfois ma mort , spectacle et défouloir, venez donc gens de peu, venez donc riches bâtards, venez donc affamés du monde entier, venez peuples dont on a oublié les traces,
venez donc créateurs et créatures, venez donc êtres de la nuit et du jour, venez donc vous rassasier du spectacle, magnifique et grotesque, je vous offre mon corps nu, évidé, mon corps sera
dépotoir pour tous vos aléas, vos rêves avortés, vos rêves demi macérés, je veux que tu t’imprègnes de mon corps, de sa chaleur, de son verbe, de sa vitalité, que tu t’imprègnes de cette part de
toi-même qui induit chacune de mes cellules, vas y mange, dévore. Il y aura le jour de ma mort un soleil noir qui rapiécera les vendanges de la nuit, il y aura le jour de ma mort des chiens
affamés et faméliques, des vieux et des vieilles en guenilles, il y aura les habitants des faubourgs, des villes de mon enfance, il y aura tout et même plus, vous serez convié au spectacle d’un
corps qui n’a été qu’un prélude à la désintégration, vous verrez ce que le temps efface et détruit, vous verrez ce que l’amertume fait à un corps, vous verrez son écorce meurtri par les stigmates
et je t’ordonne, toi, l’unique splendeur, d’être le maître d’oeuvre de ce spectacle, d’ordonner la déchéance de ma chair, d’être le chef d’orchestre d’un corps voué aux vers et aux enfers et je
t’ordonne de perpétuer ma mémoire dans la mémoire ce ceux qui ont cru à la vie, de ceux qui ont cru à l’amour.
U.TIMOL
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