On ne dira jamais assez combien les deux mythologies de la guerre de civilisation, celle des
néoconservateurs et des islamistes, sont inextricablement liées par un jeu de miroir nécessaire. On ne dira jamais assez combien le bushisme a précipité l’isolement international des
Etats-Unis par ses actions criminelles et – c’est bien plus grave – contre-productives, a déchaîné l’islamisme en soulevant la haine de foules
récupérées par les multinationales terroristes, a libéré des forces obscurantistes jusqu’alors cornaquées qui n’attendaient que ce signal pour enfin pouvoir recruter en masse, a
exacerbé des conflits
ethniques, religieux ou tribaux ; tout ça en vendant parallèlement aux indécrottables naïfs une
argumentation de résistance victorieuse à la Terreur et de lutte contre la barbarie ! Pour que le « Mal » s’épanouisse pleinement, il a besoin d’un autre « Mal » qui lui
fasse écho, dans les actes ou les paroles duquel il puisse puiser sa propre propagande. Le bushisme et l’islamisme ont, en ce sens, donné la meilleure illustration possible à la prophétie
auto-réalisatrice qui veut que deux potentialités rhétoriques alimentées par des récits de propagande en apparence antagonistes trouvent une matérialisation concrète par des discours et des
actions conjoints. Pourtant Ahmadinejad l’illuminé reste populaire dans l’Iran
profond conservateur, comme George W. Bush demeurait populaire dans l’Amérique profonde des rednecks. Mais aujourd’hui que George W. Bush a été renvoyé dans les poubelles de l’Histoire sous les huées de
son peuple, on se prend à rêver que son alter ego iranien, son double au discours si
complémentaire, rejoigne également les limbes où folâtrent les dirigeants incapables, précisément pour les mêmes raisons que celles qui ont porté Barack Obama au pouvoir : une révolution de
la jeunesse assoiffée de changement et de libéralisation, accusant sans ambages l’immobilisme du président ; et la conscience de la vanité et de la vacuité d’une rhétorique de communication
martiale et de déclarations provocatrices ne concourant qu’à l’isolement international.
Face à ce constat accablant, les néoconservateurs en
déroute fourbissent leurs
armes. Ils ont trouvé le bouc émissaire idéal sur lequel faire porter la responsabilité de leurs échecs politiques et stratégiques, passés et à venir : le dangereux, le dhimmi, le fourbe, le perfide Barack Obama ! Il faut lire les articles publiés par leurs scribouillards sur le discours du Caire de Barack Obama : on hésite
entre le tordant et le pathétique… C’est bien simple : Obama sauverait une octogénaire de la noyade qu’il serait accusé d’avoir préalablement voulu la noyer… La partition, la musique, les
paroles ont un air bien connu : avec Obama au pouvoir, c’est le « déclin de l’Occident », le règne du « relativisme culturel et de la repentance », la « haine de
soi », la « soumission aux islamistes auxquels on envoie des signes de faiblesse », le « piétinement des valeurs », « l’affaiblissement de la nation » et
blablabla et blablabla. Bref, toutes les rengaines réactionnaires sur lesquelles pleurnichent les crétins séniles depuis deux siècles et que leurs rejetons
contemporains, l’inénarrable Guy Millière et le navrant Miguel Garroté
en tête, s’éreintent à propager de manière hystérique et obsessionnelle avec la foi toute maladive du prophète
éclairé convaincu d’avoir été touché par la Vérité. En un mot, ce qui les hante c’est : la DÉCADENCE !Dans son dictionnaire mal-pensant, Jean-François Kahn apporte un éclairage intéressant sur cette incantation rituelle de la décadence, que les idiots utiles du Weekly Standard seraient bien inspirés de lire, si toutefois le verrouillage de leur pensée par l’idéologie n’est pas trop avancé : « la décadence est la dégringolade générale d’une nation, dont l’annonce et la désignation obsessionnelles caractérisent précisément les esprits les plus décadents. Pour le décadent, par définition, tout le monde qui l’entoure l’est. Le nazisme, décadentisme absolu, se nourrit de toute une philosophie qui annonçait l’irrémédiable décadence de l’Occident, et vitupère « l’art dégénéré », symbole de la décadence allemande ! Gabriel d’Annunzio, le chef de file italien du courant décadent, en appelle à Mussolini pour sortir l’Italie de sa décadence ! Ce en quoi l’Italie et l’Allemagne, avec deux guides rompant avec la décadence, ont été plus décadentes que jamais dans leur histoire ! Cette mouvance idéologico-rhétorique faisait déjà florès à Rome sept siècles avant que l’Empire, effectivement, se dissolve dans sa décadence. Jamais on n’écrivit en France autant d’ouvrages qui touillaient la thématique de la décadence que durant la période 1875-1914, où non seulement le développement économique fut considérable, où la science fit des pas de géant, mais où la musique, la peinture, la littérature furent illustrées par Fauré, Ravel, Debussy, Cézanne, Van Gogh, Monet, Zola, Anatole France, Proust… L’idée sous-jacente du discours contemporain sur la décadence est que tout ce qui dérive de la philosophie des Lumières, des utopies de 1789, de la pensée 68, en est la cause ! Ce sentiment porta au pouvoir George W. Bush et, en cela, précipita effectivement l’Amérique dans une grande décadence ». Bref, cet onanisme intellectuel permanent sur la décadence est encore une illustration de la prophétie auto-réalisatrice ! À force de crier au loup, le loup finira bien, un jour, par pointer le bout de sa truffe, et tant pis si c’est cent ans plus tard, il se trouvera toujours un survivant ou un descendant pour clamer : voyez, j’avais raison, le loup est là !
Mais les commentateurs néoconservateurs sont-ils seulement en mesure de le comprendre ? Sont-ils d’ailleurs en mesure de comprendre quoi ce soit, dès lors que l’on introduit un peu de complexité dans le bel ordonnancement simpliste dont ils se sont fait un cocon rassérénant, où leurs petites certitudes idéologiques peuvent être flattées à satiété ? À leur décharge, reconnaissons-leur des circonstances atténuantes : difficile de voir clair quand l’esprit critique est anémié par une pensée Fox News prémâchée, qu’ils régurgitent ensuite comme des automates. Et de vendre à la criée une panoplie de truismes et de vices de forme théoriques souvent bien trop patente pour valoir la peine d’une réfutation, et qui ferait passer la casuistique pour un modèle d’argumentation cohérente. Laissons donc à ces paresseux de l’esprit le loisir de se gaver comme des oies de lieux communs consensuels, de répéter comme des perroquets à longueur de colonnes les argumentaires clé en main que les industries de rhétorique politique ont prêt-à-pensé pour eux.
Quant à vous, fidèles lecteurs de Nouveau Monde Info, je vous propose en exclusivité en langue française le dernier article de Daniel Luban (collaborateur de Jim Lobe pour l’IPS – Inter Press Service) sur les prochaines élections en Iran. Pour ceux qui douteraient encore des pas de danse macabre que continuent d’esquisser les néoconservateurs avec leurs cavalières islamistes, tout en accusant Barack Hussein Obama d’être le cheval de Troie de l’islamisme…
« Neocons for Ahmadinejad »
Par Daniel Luban | 4 juin 2009
Article original publié sur LobeLog.com (ici)
© Traduction française : Anomalie pour Nouveau Monde Info
Lors de la conférence sur la paix au Proche-Orient organisée le 3 juin dernier par la très conservatrice Heritage Foundation, le président du Forum pour le Moyen-Orient, Daniel Pipes, s’est fendu
d’un commentaire inhabituellement honnête et très révélateur, à propos des prochaines élections présidentielles en Iran.
« Je me suis parfois demandé pour qui je voterais si j’avais le droit de vote à cette
élection, et je pense que, après une longue hésitation, je voterais pour Ahmadinejad », a déclaré Pipes. La raison en est simple, a-t-il continué : « je préfère avoir face à moi un ennemi clairement identifié, franc et direct, qui
réveille les gens avec ses déclarations bizarres ». Même s’il est assez remarquable de voir un néoconservateur l’admettre en public, il est clair que de nombreux faucons aux Etats-Unis et en
Israël espèrent également une victoire d’Ahmadinejad la semaine prochaine. Après tout, ces « déclarations bizarres » ont constitué une mine d’or pour la propagande belliciste de ceux
qui poussent à une action militaire contre Téhéran, propagande qui ne serait rien sans l’invocation rituelle de l’appel d’Ahmadinejad à « rayer Israël de la carte » (même
si, stricto sensu, ce n’est pas cela qu’il a dit, mais voilà : la traduction erronée est passée à la postérité).

Pendant la conférence de l’AIPAC le mois dernier, Ahmadinejad a été la star incontestée du show : chaque participant a reçu des jolies photos sur papier glacé du président iranien, en sarrau de laborantin, inspectant ses installations nucléaires, et le public largement gériatrique a été plongé dans un état de terreur permanent, matraqué de juxtapositions entre Hitler et Ahmadinejad, Auschwitz et Natanz. On pardonnerait aisément à un petit extra-terrestre qui aurait atterri sur le lieu de la conférence de penser qu’Ahmadinejad devait être le président d’Israël ou des États-Unis plutôt que de l’Iran, tant son visage était omniprésent et les discussions obsessionnellement tournées vers lui, bien plus que vers Benjamin Netanyahu, Avigdor Lieberman, ou Barack Obama…

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posté le 07 juillet à 23:54