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Au CNRS, le linge sale se lave en famille

Publié le 12 juin 2009 par Timothée Poisot

En lisant la description d’un des nouveaux projets du CNRS (je vais être obligé de mordre la main qui me nourrit…) pour devenir jeune cool fun branché Web2.0, à savoir la création d’un wiki encyclopédique, je suis tombé sur la petite perle suivante :

Le texte, au coeur de l’encyclopédie, n’est pas présenté seul, mais en regard de deux forums, l’un scientifique – qui relaie différents points de vue disciplinaires de la science sur le même sujet – l’autre public, ouvert.

Quelques mots sur le projet, pour commencer. Le CNRS a l’ambition de lancer un Wiki (WikiCNRS, si jamais vous avez du temps à perdre – et si vous voulez prendre la mesure de l’échec, lisez la feuille de route), dont les articles seraient écrits à deux mains : un chercheur et un « profane » (comprendre : non chercheur). Ce Wiki se veut encyclopédique. Je passe sur le lancement assez désastreux (contact du C@fé des Sciences pour l’animer au début, puis projet laissé à l’abandon, et enfin quasi-rejet de l’échec sur ceux qui se sont investi, rien de bien anormal jusque la) de ce projet. Il semblerait que finalement, quelque contenu se soit frayé un chemin jusque dans les pages du wiki. Et la, alors que je me dit qu’on peut encore le récupérer, je me prend cette petite phrase dans la tronche.

Ce qui est expliqué ici, c’est que tout le monde pourra lire les pages du Wiki, mais que les discussions se feront à deux vitesses : d’une part les scientifiques qui exposeront leurs points de vue dans leur forum à part, et d’autre part la plèbe qui se répandra en discussions de comptoir dans son propre forum. Ne mélangeons pas les torchons et les serviettes, ou pour prendre une image plus appropriée, nous blouses blanches et vos bleus de travail. C’est pas tout à fait dit comme ça, mais c’est le goût (amer) que ça me laisse. Et plusieurs constatations me  viennent.

D’une part, cette attitude révèle un parti pris dans la vulgarisation qui n’est pas le mien. Celui qui vulgarise n’est pas sur un piédestal, en train de jeter de la connaissance édulcorée au bas peuple. Si on veut poursuivre dans les métaphores à la vertical, je conçois le vulgarisateur comme celui qui sait descendre du-dit piédestal, et prendre ceux qui sont en bas par la main pour les y faire remonter avec lui. La notion de supérieur-inférieur que véhicule cette image me déplaît, mais au moins vous aurez compris le principe.

D’autre part, en isolant la discussion scientifique de la discussion publique, on maintient en respiration artificielle une idée sur laquelle on pratique l’acharnement thérapeutique depuis bien trop longtemps : la communauté scientifique existe. Or, un scientifique passe son temps à confronter des hypothèses, à chercher ce qui ne va pas dans une théorie pour la rendre meilleure, et surtout à cogner le plus fort possible sur la tête de ses confrères qui ont un point de vue différent. Vous pensez que les écologues sont de gentils hippies occupés à observer la nature, et à parler de paix et de communion fraternelle? Je vous invite à lire Santa Rosalia was a goat (qui date déjà de 1983, réf. en fin de billet), pour vous rendre compte du profond décalage entre cette image et la réalité.

Ce que fait le CNRS est grave. On est en train de présenter à la société une science « officielle », quasiment la science du parti que les contemporains de Lyssenko connaissaient bien. On veut nous faire croire qu’il n’existe pas de controverses, et que la science est réductible à une vérité officielle, estampillée CNRS, marquetée, brevetée. Rien de tout cela n’est vrai. La science bouge, on passe notre temps à montrer que ce qui a été fait avant n’est pas aussi vrai qu’on le pense, et c’est précisément pour cette raison que nous sommes des scientifiques! Une entreprise de vulgarisation scientifique qui prétend cacher aux yeux du public que des controverses existent, et plus encore, qui couvre ces controverses du voile pudique d’un forum privé, est à peu près aussi utile à la science qu’un forum de créationistes.

Certains pourraient me reprocher de sous-entendre que nos tutelles sont incapables de faire de la vulgarisation correcte. Ils auraient raison, c’est tout à fait ce que je pense. Il suffit de voir l’échec que représente le numéro spécial du journal du CNRS sur l’année Darwin. Le jour ou nos chères tutelles auront pris la mesure de leur incapacité à fournir un travail (parce que oui, c’est un travail) de vulgarisation correct, à la fois qualitativement et éthiquement (et le WikiCNRS est pour moi une gifle monumentale pour ceux qui pensent considèrent les aspects éthiques de la diffusion de connaissance, dans la mesure ou on cache des aspects essentiels à ceux qu’on prétend informer), peut-être commenceront-elles à se sortir les doigts d’où vous savez pour reconnaître la valeur académique du travail de vulgarisation, et à valoriser les initiatives individuelles. On peut toujours rêver.

Un peu de lecture :

Lewin, R. (1983). Santa Rosalia Was a Goat. Science, 221, 636-639. 

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