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Le lundi, c'est HADOPI

Publié le 15 juin 2009 par Sid

Christine is watching you

Ç

a y est. La version amputée d'HADOPI est entrée en vigueur. Le moins qu'on puisse dire, c'est que cette loi en aura remué des octets. Mais très peu ici, bien que je trouve cette loi d'une débilité sans fond et que je ne travaille pas pour TF1.

C'est que ce débat sur HADOPI s'est à mon sens enfermé dès le début dans une voie qui ne pouvait que l'amener dans le mur. Car il ne faudrait pas que la décision du Conseil Constitutionnel nous fasse perdre de vue que nous avons perdu une bataille médiatique en ne parvenant pas à convaincre nos semblables du bien fondé de notre opposition...

Par exemple, si le discours des "modernes qui savent" contre les "vieux ringards qui n'ont rien compris" marque des points chez les adeptes de l'informatique connectée, il laisse froid l'internaute lambda et parvient même à rebuter ceux qui n'y entendent rien. Gens auprès desquelles une Christine Albanelle, affichant sa méconnaissance crasse de la question, mais tout de même décidée à défendre ce qu'elle affiche comme une position juste, aurait même fini par devenir sympathique. D'ailleurs, de manière générale, on en a un peu plein le cul que des "gens qui savent" nous expliquent à longueur de temps ce qui est bien. Réaction que je rapproche typiquement du syndrome du technocrate européen, qui ne suscite qu'indifférence et rejet.

En outre, cette prise de position laisse de côté une réalité bien plus brutale. Non, cette loi n'a pas été poussée par des ignards qui vivent dans le passé. Ceux qui sont derrière HADOPI ont au contraire fort bien compris de quoi il s'agissait. Et ils ont appris à utiliser cette compréhension souvent bien mieux que ceux qui se dressent en face d'eux. Et c'est petit à petit, loi après loi, amendement après amendement, qu'ils testent le système pour conserver leur part du gros steack de la diffusion de contenu. Certains y voient même la mise en place des pièces d'un puzzle de bien plus grande ampleur, hypothèse largement défendue par l'extrême collusion entre certains acteurs du secteur et nos politiques préférés.

Comprendre ça, toucher du doigt ce que ça implique, est essentiel. Un jour, j'ai assisté à un cours au titre pipo : "Change management". Comprendre un truc sur la conduite du changement. Malgré les apparences, j'ai été bien inspiré de ne pas le sécher, car c'était extrêmement intéressant. J'ai retenu en particulier un enseignement très cher à l'intervenant. À savoir que les gens ne sont pas cons. Les gens ne prennent pas certaines positions parce qu'ils sont bêtes. Ils les prennent parce qu'ils y voient, à tort ou à raison d'ailleurs, leur intérêt. Et forcément, on ne les convainc pas en leur expliquant qu'ils n'ont rien compris. On les fait changer d'avis en leur montrant comment ses propres positions prend en compte leur intérêt. Ce qui, ramené au débat qui nous occuper, doit nous faire comprendre qu'à prêter à Madame le Ministre de la Culture et ses acolytes toutes les tares de l'espèce humaine, qu'à ignorer les relations qui les lient, leurs interactions les différents acteurs du problème, on joue tout simplement leur jeu.

Autre argument proposé, cette loi ne serait que l'expression d'un archaïsme voué à la disparition. Je me demande s'il y avait dans cette histoire argument plus démobilisant que ce genre d'affirmation. Car si c'est le sens de l'Histoire, si ce texte est inutile, inapplicable et mort dans l'œuf, pourquoi se battre ? C'est que rien n'est moins sûr que ce nettoyage par le temps, et rien ne nous dit que les lobbies qui s'expriment derrière HADOPI ne parviendront pas à prendre pied sur cet Internet et lui imposer leur manière de voir les choses. Ou encore ce pied de nez de Réseau des Pirates qui véhicule un message plus que brouilleux à destination de ceux qui, encore une fois, ne sont pas assez familiers de la question pour faire la différence entre la copie illégale, le domaine public, le libre et le gratuit.

Enfin, la grande victoire du gouvernement dans cette bataille médiatique a été de parvenir à incrire le débat le débat dans une dichitomie on ne peut plus manichéenne, avec les pauvres artistes spoilés d'un côté et les méchants pirates qui veulent tout gratuit de l'autre[1]. Et ce discours a indéniablement fait mouche, comme le montre typiquement la réaction de Arditi, Piccoli et compagnie[2]. Nous savons bien que ce n'est pas l'objet du débat. Nous savons bien que les artistes sont en train de se faire enfumer dans les grandes largueurs. Mais le message n'est pas passé. Je me souviens par exemple d'une interview de Jérémie Zimmermann, porte parole des gus dans leur garage, sur France Info pendant laquelle la journaliste n'a pas arrêté de revenir sur ces histoires de gratuit vs. payant. Le problème n'est certes pas là, mais nous avons les plus grandes difficultés à l'expliquer simplement pour faire avancer le débat.

Pour ma part, je pense que la plupart des gens qui téléchargent ne le font pas nécessairement parce c'est gratuit, même s'il ne faut pas se cacher qu'il s'agit d'un facteur incitatif. Ils téléchargent parce qu'il n'y a pas d'offre concurrente légale attractive, c'est à dire proposant du contenu avec une qualité et un prix acceptables. Des exemples ? Je pense d'abord au succès d'offres de VoD par abonnement, typiquement le Free home Vidéo, là où d'autres offres à la séance ou de téléchargement n'arrivent pas à décoller. Pourquoi ? Sur FHV, vous avez un accès illimité à des séries et des films qui datent un peu, donc certains sont diffusés en HD, pour un abonnement qui commence à 8EUR/mois. En face, vous avez des services qui proposent des titres récents, certes, mais à des prix exhorbitants, avec des prix à la séance qui dépassent parfois celui de la location d'un DVD à la journée. Autre exemple avec le téléchargement. TF1 Vision propose 10000BC pour la modique somme de 15,99EUR, alors que vous pouvez acheter le DVD à 10EUR à la FNAC. Et certains se demandent encore pourquoi ça ne décolle pas...

Vous avez aussi des gens qui paient pour accéder à des services de téléchargement fournissant essentiellement, ne nous voilons pas la face, de la copie illégale. Qu'il s'agisse de serveurs NNTP spécialisés qui vous offrent un débit plus que confortable pour une dizaines d'euros mensuels, de tracker privés servant du contenu de qualité à un cercle d'abonnés, des hébergeurs qui trouvent aujourd'hui un véritable marché avec le hosting de seebox ou de systèmes anonymisants, je ne pense pas m'avancer[3] en affirmant que nombre d'entre eux pourraient mettre cet argent dans une offre légale décente si elle existait. Durant les discussions autour de DADVSI, la licence globale avait fait une entrée fracassante. Licence globale dont on nous expliqué en long, en large et en travers par les tenants de DADVSI et aujourd'hui de HADOPI que son principe est inapplicable en pratique. Ce qui n'a pas l'air d'être l'opinion de la SACEM qui milite depuis quelques temps pour nous la resservir sous forme de taxe sur les FAI. C'est une vieille ficelle qui fonctionne : quand ça s'appelle taxe, ça marche mieux, c'est bien connu...

Alors au final, le Conseil Constitutionnel a tranché dans le vif. Et on l'en remercie. Pour autant, ce n'est que que partie remise. HADOPI 2 se prépare pour bricoler une prothèse de dernière minute, et il est clair qu'il va falloir se préparer sous peine de se faire rouler dans la farine.

Et puisqu'on a beaucoup parlé de mouchards et autres "logiciels de sécurisation" à installer sur nos machines dans le cadre de cette loi, j'aimerais qu'on réfléchisse à une publication tombée la semaine dernière. Vous avez certainement appris qu'à partir du 1er juillet prochain, la Chine imposera l'installation sur tout les PC vendus sous Windows dans le pays d'un logiciel de filtrage de contenu[4], avec en particulier un accord avec Lenovo. Cet add-on, appelé Green Dam, surveille les connexions effectuées par le poste de travail et bloque les contenus indésirables, voire les signalent aux autorités. Là où ça devient intéressant, c'est que ce logiciel présentent des failles de sécurité dont certaines sont exploitables à distance. Ainsi milw0rm publiait vendredi le code pour exploiter pour un buffer overflow dans Green Dam 3 qui s'appuie sur le support .Net dans Internet Explorer. Ou comment la loi vous donne les moyens de pwner l'intégralité des utilisateurs d'Internet Explorer à l'échelle d'un pays.

Vous voyez bien où je veux en venir. À l'instar de ce qu'on connait à l'encontre des antivirus, les logiciels de filtrage, de "protection" et plus largement tout ce qui s'assimile à un mouchard participent activement à étendre la surface d'attaque de nos systèmes. Je sais bien qu'il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain, mais l'expérience montre qu'il n'y a aucune raison pour qu'il en soit autrement en France. Avec à la clé une part considérable de l'Internet français qui va se retrouver équipée de logiciels considérablement uniformes et potentiellement vulnérables, largement exposés aux contenus malicieux.

En gros, ça risque fort de finir en fête du botnet, sans avoir pour autant résolu le problème du téléchargement illégal...



Vous avez certainement noté que l'illustration associée à ce billet est tirée des fameuses affiches "Christine is watching you" de Geoffrey Dorne.

Sinon, une bonne partie des actes du SSTIC est désormais en ligne. J'ai inclus les liens dans le billet que j'ai consacré à la conférence.

Notes

[1] Et je ne parle même pas du sacro-saint clivage gauche-droite...

[2] Encore des i...

[3] Mon côté bisounours, certainement.

[4] Au moins, eux, il le fournissent gratuitement...


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