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HADOPI : Pas de sanction sans juge (CC n°2009-580 DC du 10 juin 2009) par Véronique CHAMPEIL-DESPLATS

Publié le 15 juin 2009 par Combatsdh

Le Conseil constitutionnel a le 10 juin 2009 censuré une partie du pouvoir de sanction conféré à la “Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet” (HADOPI) par la loi soumise à son examen. Cette nouvelle autorité administrative indépendante (AAI) avait notamment reçu le pouvoir de suspendre l’accès à internet de toute personne qui aurait procédé à des téléchargements illégaux, et plus largement aurait méconnu les droits de la propriété intellectuelle.

En précisant que « le principe de la séparation des pouvoirs, non plus qu’aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle, ne fait obstacle à ce qu’une autorité administrative, agissant dans le cadre de prérogatives de puissance publique, puisse exercer un pouvoir de sanction dans la mesure nécessaire à l’accomplissement de sa mission dès lors que l’exercice de ce pouvoir est assorti par la loi de mesures destinées à assurer la protection des droits et libertés constitutionnellement garantis », le Conseil constitutionnel n’entend pas déclarer l’inconstitutionnalité de tout pouvoir de sanction conféré aux AAI. Il exige seulement que le législateur définisse de tels pouvoirs dans le respect des principes constitutionnels.

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Décision n° 2009-580 DC du 10 juin 2009 Loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet

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Actualité Droits-libertés du 11 juin 2009 par Véronique CHAMPEIL-DESPLATS

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Ainsi, les sanctions prévues en cas de violation d’un droit ou à une liberté constitutionnellement garanti, en l’occurrence le droit de propriété (art. 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789), ne doivent pas porter une atteinte disproportionnée à d’autres droits et libertés constitutionnellement garanti - ici la liberté de communication des pensées et des opinions (art. 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789)-, et doivent également respecter le principe de la légalité des délits et des peines, la présomption d’innocence ainsi que les droits de la défense. Le Conseil précise que ces principes sont « applicables à toute sanction ayant le caractère d’une punition, même si le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non juridictionnel ».

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En l’espèce, le Conseil constitutionnel, se faisant observateur des évolutions technologiques et sociales, estime « qu’eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu’à l’importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l’expression des idées et des opinions, ce droit implique la liberté d’accéder à ces services ». Si le législateur peut « édicter des règles de nature à concilier la poursuite de l’objectif de lutte contre les pratiques de contrefaçon sur internet avec l’exercice du droit de libre communication et de la liberté de parler, écrire et imprimer », l’étendue des pouvoirs de sanction conférés en l’espèce par la loi à l’HADOPI, « qui n’est pas une juridiction », conduit à une atteinte disproportionnée à « l’exercice, par toute personne, de son droit de s’exprimer et de communiquer librement, notamment depuis son domicile ». Le législateur ne pouvait donc confier « à une autorité administrative », « quelles que soient les garanties encadrant le prononcé des sanctions », le pouvoir de restreindre ou d’« empêcher l’accès à internet de titulaires d’abonnement ainsi que des personnes qu’ils en font bénéficier », d’autant plus que ce pouvoir avait été conféré à l’égard non pas seulement d’« une catégorie particulière de personnes mais » de « la totalité de la population ». Seule une autorité juridictionnelle peut être compétente pour la mise en œuvre de tels pouvoirs.

La conséquence de cette déclaration d’inconstitutionnalité est que l’HADOPI n’accomplit dorénavant en matière de sanction qu’«un rôle préalable à une procédure judiciaire ». Le Conseil ajoute alors au moyen d’une réserve d’interprétation que, lorsque dans ce cadre, l’HADOPI traitera de données à caractère personnelle, elle devra se soumettre aux exigences de la loi du 6 janvier 1978 et donc au contrôle de la CNIL.

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Décision n° 2009-580 DC du 10 juin 2009 Loi favorisant la diffusion et la protection
de la création sur internet

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 Sur le site du CC:

  • Communiqué de presse
  • Dossier complet sur le site de l’Assemblée nationale
  • Dossier complet sur le site du Sénat
  • Projet de loi adopté le 13 mai 2009 (T.A. n° 81)
  • Saisine par 60 députés
  • Observations du gouvernement
  • Dossier documentaire
  • Législation consolidée avant décision
  • Commentaire aux cahiers
  • Références doctrinales
  • Version PDF de la décision
  • Décision n° 2009-580 DC du 10 juin 2009

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Réactions:

 Sur les blogs:

(….) Traduction : la CPD existera bel et bien mais sera cantonnée à un travail d’avertissement sans frais (les mises en garde par courrier existent toujours, tout comme l’obligation de surveillance de sa ligne, mais elles ne peuvent aboutir à des sanctions), de filtrage et de préparation des dossiers pour l’autorité judiciaire, dans le but, et c’est là qu’on voit que le Conseil constitutionnel a le sens de l’humour, de limiter le nombre d’infractions dont l’autorité judiciaire sera saisie. Bref la machine à punir 10.000 pirates par jour devient la machine à s’assurer qu’on ne poursuive pas trop de pirates, emporté par l’enthousiasme au mépris de la charge de travail des tribunaux au budget insuffisant.

On n’avait pas vu un tel succès législatif depuis la promulgation-abrogation du Contrat Première Embauche en 2006.

  • Eolas, “Ça y est, elle est arrivée “, Journal d’un avocat, 14 juin 2009 à 12:29

La loi HADOPI est publiée au JO. Son nom officiel est donc la loi n°2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, publiée au JO n°0135 du 13 juin 2009 page 9666[pdf] (il fallait bien que le chiffre de la Bête figurât à son état-civil…), texte n° 2, juste après la proclamation officielle des résultats aux européennes.

Ses dispositions relatives au statut des entreprises de presse en ligne entrent en vigueur aujourd’hui à zéro heure. Les dispositions relatives à la HADŒPI et à la Commission de Protection des Droits châtrée par le Conseil constitutionnel (au passage, j’adore le nom de Commission de Protection des Droits pour une entité violant deux des droits de l’homme parmi les plus importants. Avec une telle protection, nos droits ont-ils besoin d’un ennemi ?) entreront en vigueur à la date de la première réunion de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (donc pas avant que les décrets ne soient pris) et au plus tard le 1er novembre 2009, ce qui est un vœu pieux si les décrets ne sont pas pris d’ici là : je ne vois pas comment les dispositions relatives à la CPD pourraient entrer en vigueur si la CPD n’est pas constituée, et vu l’état de la loi, je ne pense pas que le gouvernement soit très empressé à prendre ces décrets. Mais le Gouvernement a montré dans cette affaire que le ridicule ne lui a jamais fait peur. Le président a tenu parole : tout est devenu possible. (…)

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  • Paul Cassia, “La torpille socialiste a (heureusement) coulé HADOPI !” , La règle courbe, 10 juin 2009.

 Il est goûteux de lire en parallèle la décision du Conseil constitutionnel du 10 juin 2009 censurant partiellement la loi HADOPI et la tribune publiée par le président du groupe UMP à l’Assemblée nationale le mois précédent dénonçant la « torpille socialiste » présentée par les parlementaires européens sur les modalités de la suspension de l’accès à internet suite à un téléchargement illégal (le fameux « amendement 138 »). (…)

Dans la presse:

Le Conseil constitutionnel a censuré, mercredi 10 juin, la partie sanction de la loi Hadopi - la “riposte graduée” - sur le téléchargement illégal. Considérant qu’”Internet est une composante de la liberté d’expression et de consommation” [sic : communication]

(…)Loin de renoncer, Christine Albanel, ministre de la culture, explique dans un communiqué qu’elle veut “compléter rapidement la loi Création et Internet pour confier au juge le dernier stade de la ‘réponse graduée’”. Pour amender la loi dans ce sens, le gouvernement devra toutefois repasser devant le Parlement. Par ailleurs, la ministre assure que “la mise en place de la Haute Autorité (…), exclusivement chargée du volet préventif de la lutte contre le piratage, se fera selon le calendrier prévu” et que “les premiers messages d’avertissement seront adressés dès l’automne aux abonnés à Internet”.

Cette décision n’en reste pas moins un revers pour la ministre, qui avait affirmé qu’Internet ne pouvait pas “être considéré comme un droit fondamental” lors de l’examen du projet de loi Hadopi. Sur ce point, le Conseil constitutionnel a rejoint les eurodéputés qui avaient voté le 6 mai un amendement au “paquet télécom” ; celui-ci visait ainsi à imposer la décision d’une autorité judiciaire pour suspendre une connexion, et non pas d’une seule autorité administrative.

Les députés socialistes avaient déposé le 19 mai ce recours contre le projet de loi qui prévoyait de sanctionner le téléchargement illégal par une suspension de l’accès Internet, après deux mises en garde. La sanction devait être prononcée par une nouvelle Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet. “J’exulte”, s’est exclamé Patrick Bloche, député PS de Paris et fervent opposant au projet de loi, contacté par Le Monde.fr. “Cette décision correspond exactement à notre position qui est de dire qu’Internet est un droit fondamental.”

  • “La partie non censurée de la loi Hadopi a été promulguée et publiée”, LEMONDE.FR avec AFP | 13.06.09 | 11h49.
  • “Loi Hadopi : Albanel n’exclut pas la création de juridictions spécialisées “, LEMONDE.FR avec AFP | 12.06.09 | 16h03.
  • Guaino : la censure d’Hadopi créée une “jurisprudence étonnante”, NOUVELOBS.COM | 14.06.2009 | 13:58.
  • “Censure de la loi Hadopi: Copé veut “continuer le combat” , AFP, 14 juin.

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