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Chronique de l'innocent lecteur

Publié le 15 juin 2009 par Sammy Fisher Jr
Cette chronique sera un appel au secours. J'ai besoin d'aide. J'ai lu le bref roman "Cité de verre" de Paul Auster, et je crois bien que je n'ai pas tout compris. Je suis très désappointé. Alors, plutôt que de faire des recherches sur l'internet pour savoir ce qu'il faut penser, je vais partager mon désarroi avec vous, amis lecteurs. Qui sait ? Sans doute quelqu'un me donnera t-il la lumineuse explication qui me fera sentir l'étendue de mon ignorance tout en me permettant, je suis optimiste, de me coucher, un soir prochain, un peu moins sot.
Il me faut reconnaitre en guise de préambule que j'avais probablement placé trop d'attente dans ce livre, avant même de l'avoir ouvert. Juste en regardant la couverture. Voilà un roman sur New-York, une trilogie vaguement mythique, avec l'image du "grand auteur américain" en prime.
Vancouver, la cité de verre

Un narrateur raconte, à la troisième personne (je ne sais pas pourquoi mais je sens que c'est important), une histoire dont Quinn est le héros. C'est du moins ce qui est donné à voir à l'innocent lecteur. C'est moi, l'innocent lecteur. Quinn est un écrivain. On comprend très vite que sa vie s'est arrêtée lors de la mort de sa femme et de son fils ; il survit en évitant de penser, et en pratiquant à haute dose la production de polar et la déambulation new-yorkaise.
Tout commence avec un appel téléphonique, une erreur vraisemblablement : un inconnu demande à parler à un certain Paul Auster, le soi-disant célèbre détective. Après avoir commencé par démentir vigoureusement, Quinn saura saisir sa chance au deuxième appel de l'inconnu : il se fera passer pour Paul Auster, et jouera les détectives privés. Plutôt que d'écrire un polar, il va essayer de se glisser dans la peau du héros de ses livres.
L'histoire parait d'ailleurs relativement simple : il s'agit de surveiller le père, qui doit sortir de prison dans quelques jours, d'un malheureux jeune homme. Il s'était convaincu qu'une expérience de privation sensorielle permettrait à son rejeton de parler la langue de dieu. Il va sans dire que le résultat n'a pas été à la hauteur de ses espérances et, si l'ex-enfant du placard parle désormais un langage pour le moins particulier, il est peu probable que ce soit celui du créateur du ciel, de la terre et de tout le toutim.
Quinn, armé de son cahier rouge tout neuf, va donc surveiller le sombre illuminé dès sa descente de train - ah non, pardon : il va se mettre à suivre l'un des deux, car ce sont deux vieillards quasiment jumeaux qui vont arriver par le train annoncé, s'engager dans le métro, et bifurquer chacun dans un couloir opposé. Le peu de compréhension que j'ai de cette histoire m'incite à penser que c'est à ce moment là que l'on tombe dans une folie... Mais laquelle, et pourquoi ?
Dans les premiers temps, on reste à peu près sur les rails d'une réalité plausible : le vieux déambule de son hôtel à son hôtel, décrivant entre le départ et l'arrivée une promenade dont la seule caractéristique est de s'inscrire dans une aire géographique strictement délimitée. Quinn finira par s'apercevoir, ou s'imaginer, que le relevé de ses parcours quotidiens sur le plan du quartier forme chaque jour une lettre différente, puis au fil des jours, un mot, puis une phrase...
Le temps d'un bref passage chez le "vrai" Paul Auster, qui n'est pas plus détective que lui, et qui rédige un essai sur Don Quichotte, archétype de l'homme à la poursuite d'une illusion, et Quinn se décide à aborder son homme d'une manière qu'il pense subtile, ce qui donne lieu à une conversation intéressante où le loufoque explique à l'apprenti détective que le langage humain, depuis l'épisode de la tour de Babel, est bien pauvre : pourquoi est-ce qu'un parapluie cassé, sans toile, ou sans manche, bref, un objet qui ne peut plus servir à s'abriter de la pluie, continue t-il à s'appeler un parapluie ? Sa quête n'a pas variée depuis sa première expérience : il veut retrouver ce langage perdu, quitte à le réécrire lui-même, en nommant un à un les objets cassés qu'il ramasse dans la rue.
Peu après, tout s'emballe pour le héros et tout devient flou pour le lecteur : le vieux toqué disparait (on ne sait pas trop si il est mort ou si il a changé d'hôtel), Quinn en tire la conclusion, évidente pour lui seul, qu'il va donc bientôt passer à l'action, et décide donc de monter la garde devant le domicile de la victime potentielle. Jour et nuit. Au sens littéral. Il ne mange plus, ne dort plus, devient au fil des mois une loque coincée entre les poubelles et le paillasson. Quand il estime que tout danger est écarté, il s'en va, cahin caha, annoncer la bonne nouvelle à son employeur. Il ne trouvera qu'un appartement vide. Rentrant chez lui, ce sera pour constater le phénomène inverse : le sien est occupé. Pendant son trip-paillasson, le monde ne l'a pas attendu.
Les dernières pages du roman m'ont définitivement plongées dans la perplexité : Quinn s'installe dans l'appartement de son client disparu. Quand je dis qu'il s'installe, c'est une périphrase trompeuse : il commence par se mettre tout nu en jetant ses vêtements dans le vide-ordure, puis se roule en boule dans le placard à balai, d'où il ne sort que pour écrire dans son cahier rouge. De moins en moins longtemps chaque jour, car la lumière disparait progressivement. A la toute fin, il disparait lui aussi. C'est alors que le narrateur, accompagné de Paul Auster, pénètre dans l'appartement, trouve le cahier, et engueule Paul Auster de s'être montré aussi négligent envers Quinn.
Pauvre Paul Auster. Je suis sûr qu'il a aussi peu compris ce qui lui arrivait que le malheureux lecteur.
C'est moi le malheureux lecteur. Vous n'allez pas me laisser comme ça ?

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