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Un article sensé,Homme ,animal?

Publié le 15 juin 2009 par Maaxtal

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L'Entrevue - Un animal surdoué de raison

Après avoir beaucoup réfléchi sur l'art, la fiction et la culture, le philosophe Jean-Marie Schaeffer rejette la thèse de l'exception humaine

Au fond, qu'est-ce qu'un être humain? Quel est le fondement de l'exception humaine? Est-elle tout entière concentrée dans la capacité de créer, de vivre dans ce monde imaginaire dont les rêves, la fiction et les arts sont faits

«Guernica de Picasso ne peut pas être peint par un grand singe ou un oiseau, mais ce que fait un oiseau ou un singe peut aussi difficilement être fait par un humain, répond le philosophe Jean-Marie Schaeffer. Dire qu'il n'y a pas d'exception humaine ne veut pas dire qu'il n'y a pas de spécificité de part et d'autre des espèces. Ce qui est en cause, c'est la croyance que ces particularités permettent de couper tout lien entre les différentes formes de vie. Évidemment, l'homme se particularise par sa capacité exponentielle d'accumulation culturelle rendue possible par le langage. De même, certaines espèces savent voler, mais pas la nôtre. On peut penser la différence sans la penser comme une exception ontologique.»
 

Luxembourgeois d'origine, Jean-Marie Schaeffer a été un homme-pont dès le berceau, un lien tout naturel entre deux grandes traditions culturelles, l'allemande et la française. Il fait carrière à Paris depuis plusieurs décennies, à l'École des hautes études en sciences sociales et au Centre national de recherche scientifique.
Pense-à-tout, esprit éclectique hyperactif, Jean-Marie Schaeffer demeure un des rares intellectuels francophones à pouvoir prétendre proposer sinon une sorte de grand theory unificatrice, comme disent les anglos, du moins une production ratissant très large, du naturel au culturel. Le plus étonnant, le plus sympathique aussi, c'est qu'il est arrivé à ces auteurs en multipliant les études autour de sujets sur la philosophie esthétique, l'histoire de l'art, la fiction, la photographie et les sciences du langage.
«Je ne sais pas si j'ai une ambition aussi grande, corrige le professeur, rencontré au moment de son passage au Québec comme invité de l'UQTR. Ma production diversifiée me semble plutôt la conséquence d'une curiosité qui a de la difficulté à se cantonner dans un seul secteur. Les faits, quand on les examine par une petite lucarne, on n'en voit qu'un petit bout. Moi, depuis le début, je suis intéressé par le fait de replacer les phénomènes étudiés dans l'unité des faits humains, sociaux et culturels. Dans cette perspective, la grand theory devient une conséquence d'une visée plus empiriste que théorique. En plus, pour moi, les éléments théoriques ne constituent que des hypothèses qui doivent être confrontées au concret. En elle-même, la théorie n'offre qu'une grille, un outil pour mieux comprendre et pénétrer les modes.»
La fonction de l'art
La conjonction des différentes perspectives finit par produire un plan d'ensemble autour de la spécificité humaine, et rien de moins. Un de ses derniers livres s'intitule La Fin de l'exception humaine (Gallimard), mais ce sujet lui-même traverse toute la production du professeur Schaeffer.
«Au départ, je m'intéressais à l'art et, en réfléchissant sur l'art et la littérature et aux manières de nous représenter, peu à peu, j'en suis venu à développer cette question de la spécificité humaine. En même temps, on pourrait observer que je reprends ainsi une vieille question de la métaphysique concernant le statut de la culture humaine. Je me suis concentré sur les arts parce que c'est traditionnellement ce qui apparaît comme le domaine culturel par excellence. Dès le début, j'ai remis en question le rôle que l'on faisait jouer aux arts par rapport à l'idée que l'on se faisait de l'humanité, de ses possibilités. C'est cette idée que l'art nous élève au-dessus du quotidien, de la finitude, de tout ce qui semble manqué par rapport aux idéaux. J'ai voulu comprendre ce qui nous pousse à accorder de l'importance à certaines valeurs, et maintenant aux valeurs esthétiques.»
La fonction de l'art change selon les sociétés, les groupes, les individus. Ce que montre Esthétique du romantisme (1983) ou L'Art de l'âge moderne (1992), c'est que cette façon de voir les choses, qui nous semble normale et naturelle, s'avère en fait une vision historique et même une création assez récente. En réaction aux Lumières, la pensée occidentale à travers les philosophes (de Kant à Heidegger), les poètes (Novalis ou Hölderlin) et les artistes eux-mêmes (de Gauguin à Malevitch) affirme que l'art est un savoir extatique révélant des vérités transcendantes.
L'art est même carrément sacralisé. On n'a qu'à se rappeler l'autoglorification des artistes québécois au moment de la crise des compressions budgétaires fédérales en culture pour prouver la persistance et la force de cette tradition percevant l'artiste comme le plus humain des humains. «Nous sommes l'âme de la nation», ont alors répété en choeur les plus choyés de l'Union...
La tradition cartésienne
L'art est un absolu de substitution, selon une plus jolie formule. Ce qui n'en fait pas pour autant une sorte de religion des modernes, sécularisés, affranchis de la religion. Pour Schaeffer, l'art n'est pas une excroissance pervertie du sacré, même dans une ère postchrétienne. «Le christianisme insiste sur l'idée que l'homme est un être à part dans la création. Il est à l'image de Dieu, tout en étant voué à la finitude. Seulement, il ne faut pas négliger nos sources grecques ni oublier que le dualisme ontologique, la séparation entre le corps et l'esprit, le matériel et le spirituel, est quasiment universel. Il n'y a rien de typiquement chrétien là-dedans.»
Par contre, l'Occident se démarque en posant que ce dualisme ne vaut que pour l'être humain. La tradition cartésienne fait des animaux des instruments de chair, des corps d'os et de muscles. Ici, la vache est encore, et même de plus en plus, une usine à produire du lait, du veau et de la viande. En Inde, elle est sacrée.
«Descartes est le père de l'idée que l'homme est un individu absolument autonome et que tous les êtres vivants ne sont que machines. Il rompt avec la pensée chrétienne, plus différenciée, capable en même temps de célébrer l'ensemble de la création. La rupture épistémologique a eu un effet très bénéfique sur les sciences naturelles. Elle a aussi laissé un lourd héritage quand ces mêmes sciences ont investi l'être humain, par la biologie ou la neurologie par exemple: le dualisme cartésien a bloqué la possibilité de bien comprendre la continuité liant l'homme à l'animal, et finalement au monde.»
La pensée environnementaliste
La pensée et l'idéologie environnementalistes proposent une nouvelle rupture en rapprochant à nouveau l'humain de l'ensemble de la création. Les écrits de Jean-Marie Schaeffer, en phase avec cet esprit du temps, proposent-ils finalement une sorte de caution philosophique aux positions écologiques?
«Effectivement, on ne pense jamais tout seul, répond le philosophe en s'amusant du rapprochement. Je m'inscris sans doute dans un cadre plus vaste. Par contre, je ne m'intéresse pas à une certaine idéologie. Je me concentre maintenant sur les rapports entre les savoirs biologiques, ceux des sciences sociales, et au rôle que peut jouer la philosophie pour comprendre ces liens. Cet aspect théorique est indépendant des aspects politiques.»
Vraiment? La biologie pense bien l'humain dans une longue évolution et sur un continuum naturel. Le philosophe réplique que l'on peut admettre une continuité entre l'homme et les autres êtres vivants et tout de même décréter une guerre de tous contre tous. Et le comptoir des viandes de l'épicerie rappelle bien qui triomphe.
«Je suis traditionnel de ce point de vue. Pour moi, il n'y a pas de lien nécessaire entre le savoir et les valeurs. Les visions scientifiques n'ont pas pour but de guider la vie humaine. C'est ce qui rend la vie difficile...»


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