INTERVIEW - Thierry Coville est spécialiste de l'Iran, chercheur à l'Institut de recherches internationales et stratégiques. Il revient sur la situation politique confuse après la réélection contestée du président Ahmadinejad...
Quelle relation entretient le guide suprême, l'ayatollah Ali Khamenei, avec Mahmoud Ahmadinejad ?
C'est la grande question. On sait qu'ils sont proches, mais en même temps, on sait que Hossein Moussavi (l'adversaire d'Ahmadinejad, ndlr) a longtemps conseillé Ali Khamenei. L'ayatollah apprécie, dans une certaine mesure, la modération dont fait preuve Moussavi dans sa politique. Mais sur le plan des tendances, il est plus proche d'Ahmadinejad et il le soutient depuis toujours.
Mais pourquoi le guide suprême soutient-il autant Ahmadinejad, alors qu'il a donné son accord pour la candidature de Moussavi ?
Il est difficile de connaître les véritables raisons d'un tel revirement de situation. On peut imaginer plusieurs raisons. Premièrement, il peut y avoir la crainte d'un changement de ton dans les négociations avec les Etats-Unis, notamment sur le nucléaire, si Moussavi passe au pouvoir. Or, le guide veut continuer à pouvoir les contrôler. Deuxièmement, s'il y avait eu un second tour lors du scrutin, Ahmadinejad n'aurait peut-être pas été réélu. En se déclarant immédiatement vainqueur, il ne prenait pas le risque de se faire évincer. Enfin, le guide suprême a peut-être eu envie d'écarter Moussavi après une polémique déclenchée lors d'un débat télévisé. Le président Ahmadinejad avait lié Moussavi à Rafsandjani (président de 1989 à 1997, ndlr), accusé de corruption.
Les manifestations sont très violentes et la mobilisation très importante. Le guide suprême a décidé de donner son accord pour un recomptage des voix. A-t-il senti qu'il avait fait une erreur en tentant un passage en force ?
Oui, c'est clairement une erreur politique. On n'a jamais vu un tel taux de participation à une élection présidentielle en Iran. Les Iraniens ont accordé massivement leur confiance au régime en se rendant aux urnes. C'est pour cela que la mobilisation est si importante aujourd'hui. Mais le guide ne s'attendait pas à de telles manifestations. Et c'est pour cela qu'il a fait marche arrière en acceptant le recomptage des voix. Le guide suprême qui se remet en question, c'est du jamais vu. Il a donc senti qu’il ne prenait pas la bonne direction. Maintenant, tout va se décider lors des tractations auxquelles nous n'avons pas accès. La tête du pays va se jouer sur un rapport de force politique. Si les ultraconservateurs voient que les manifestations continuent, alors ils finiront peut-être par céder.
Moussavi est présenté comme un modéré par les médias, mais il a pourtant été Premier ministre quand le régime iranien était le plus dur. S'il finit par être élu, qu'est ce que cela va changer ?
Moussavi a en effet un passé politique lié à un régime dur mais il a beaucoup changé. Sur plan interne, s'il finit par être au pouvoir, je pense que cela aura des impacts sur la société iranienne. Moussavi prône par exemple l'égalité homme-femme. Il a d'ailleurs fait campagne avec son épouse. C'est un signe de modernité pour le pays. Pour ce qui est des relations internationales, personne ne peut encore se prononcer. Il faut laisser l'Iran régler cette crise en interne. Ensuite, nous pourrons envisager les futures relations avec les Etats-Unis notamment.