D’eurostar à BHV les campagnes de pub de l’Agence Leg jouent la carte de l’éclectisme, ludique et impertinent. Propos bruts de son dirigeant Gabriel Gaultier, recueilli dans les locaux parisiens.
ÉH : La question de l’attitude, Leg jouerait de l’impertinence quand la tendance est au cynisme.

Ce qui peut être délibéré, c’est plutôt de se dire, essayons d’avoir un dialogue intelligent avec les gens. Je pense que c’est ça le constat que l’on peut faire sur la pub aujour’hui. On est plus dans une logique de compromis entre une agence qui a peur de perdre le client et un client qui a des exigences et des objectifs qui n’en sont pas. De l’ordre du “j’aime — j’aime pas” et de l’ordre du mou. L’essentiel de la pub est une pub de compromis plus que de cynisme. Une espèce de mollesse pas très intelligente qui fait que les gens se hérissent contre ça. Au lieu de se poser la question “Pourquoi ça va être bien pour vous et comment on va l’exprimer en liaison avec votre vie quotidienne”, on va se contenter de peu. On ne sort pas du schéma ”C’est bon mangez-en” avec la variante métaphysique des grandes marques : “Pour que le monde soit meilleur”, “vous donner l’énergie de ceci…” qui peut laisser l’impression du cynisme mais qui est plutôt l’expression de la veulerie et de la lâcheté des 2 parts : agences et annonceurs qui disent ”Faisons un truc qui ne fasse pas de vague, avec des bons sentiments.” Sauf qu’une fois affichés, les bons sentiments apparaissent pour du cynisme.
ÉH : dans l’exemple de la campagne Leclerc sur les lois Galland, il y a une appropriation de valeurs “adverses”, même si ça ne heurte que les graphistes.

Je n’y vois même pas un boulot de récupération, qui, dans ce cas là ne me choquerait pas. Les images sont à tout le monde. Après c’est aux gens de réagir. Si on trouve ça dégueulasse, tant mieux. Je n’y vois même pas un bon travail pour Leclerc. Leclerc c’est un distributeur. Qu’il se démerde pour que ses prix soient moins chers, qu’il mette sa tronche qui dise Je trouve que la loi Gallant n’est pas bonne pour vous.” Mais aller chercher 68 ! Quel rapport ? Un combat pour l’émancipation sociale et un combat sur les prix, ce n’est pas la même chose. J’y vois plus de la bêtise que de la récupération. Sans compter que ce n’est pas très beau. J’aurais été moins choqué de voir par exemple un CRS avec un salami et de lire “Ne vous laissez pas assommer par le prix du salami, chez Leclerc il est à tel prix” Tu te dis, ah oui, c’est drôle. Ils prennent une image quasi mythique et ils la radicalisent. Tu peux faire la même chose avec des images religieuses. Après, ça fait scandale, ça fait pas scandale… au moins, le message est clair, ça dit juste “chez nous le salami il est moins cher.” Et, d’un distributeur, c’est exactement ce que tu attends. Qu’on te donne des leçons de comportement consumériste alors que, de fait, tu as le monopole de la distrib, que tu as étranglé tous les petits commerçants de centre ville… ça colle pas. Comme lorsque Carrefour dit “Mieux consommer c’est urgent”. Vends moins cher, c’est ton pouvoir ! et arrête de nous gonfler.
ÉH :La publicité semble devenir un lieu de discours qui ne serait plus promotionnel. Qui apparaît déplacé ?

Je pense que les gens globalement s’en désintéressent, personne ne se souvient du slogan de Carrefour. Aujourd’hui en France, il n’y a que les publicitaires passionnés et les antipubs qui s’excitent sur la pub. Malheureusement ! Quelque part on se rejoint, les extrêmes se rejoignent. Entre les deux, il y a une masse d’agences qui n’ont plus rien à faire de leur métier et s’en désintéresse, des annonceurs qui sont juste là pour que ça ne fasse pas de vague et qui le lendemain iront dans une autre agence et la masse du public qui de toute façon prend le métro avec un walkman et remarque à peine les affiches sauf effectivement quand elles sont bonnes ou que l’image est différente ou a un contenu imaginaire riche.
ÉH : Le “Tout peu faire vendre ?”
GG :Sauf que ça ne marche pas. Carrefour par exemple a eu des résultats catastrophiques.
ÉH : Si le public ne regarde pas la pub, on pourrait se contenter d’en faire le minima ?

ÉH : Quelles sont les raisons pour lesquelles Leg agirait différemment.

Nous avons aussi une responsabilité d’émetteurs de messages qui est la même pour des gens de TV ou de média. Nous avons quand même une responsabilité éthique au delà de l’esthétique. Une belle affiche avec une belle mise en page fait progresser le paysage visuel des gens. En Angleterre si la pub est meilleure c’est aussi parce que les gens baignent là-dedans. Ils voient passer un camion, le logo sera beau et bien placé dans une boutique les prix seront bien écrits et les plaques de rue ont de vraies vis. Il y a un soin du détail qui fait qu’une chose moche ne serait pas supportable. C’est comme la musique, quelqu’un qui vit à Londres entend de bonnes choses depuis qu’il est en âge d’écouter la radio. Il y a des chances qu’à 12 ans s’il a une guitare dans les main, il sache déjà ce qu’il faut faire.
ÉH : Est-il possible de préciser cette éthique. Déjà la qualité de l’image ?

J’ai toujours été fasciné par les pochettes de disques et la façon dont, dans un carré, il est possible d’envoyer des messages à la fois précis et confus juste avec une typo, une image. Nous avons tous dans notre image des pochettes qui sont le prolongement d’une musique. C’est ce que j’ai toujours aimé recréer dans la pub et ailleurs.
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