Magazine Livres

La boutique de lingerie

Par Chroniqueur
La boutique de lingerie
Ce couple dans la boutique de lingerie. Visiblement mal à l'aise, il lui lance, pendant qu'elle regarde les différents sous-vêtements: 
- «Alors, je dois faire quoi moi? Dire oui ou non?»
Et sa compagne de lui faire cette réponse en apparence toute simple, mais lumineuse:
- «Pas du tout. Il s'agit juste de découvrir...»
Découvrir... Quel bonheur! Tâtonner. Se donner le temps de voir ce qui s'accordera le mieux ensemble. S'amuser d'une erreur ou s'étonner d'une bouture particulièrement harmonieuse. Partir en quête de la pièce-lierre qui enserrera au mieux le corps, qui assurera une rebondissante emprise ou qui se coulera fauvement le long d'une courbe. Celle qui saura le mieux raconter une histoire qu'on prolongera avec plaisir. Trouver la couleur qui, par contraste, signalera un recoin obscur en attente d'aventurier. La lingerie est une ligne astucieuse du plaisir, à mi-chemin entre le souffle et le corps.
Seulement, voilà: l'homme, lui, prend peur face à tout ce flou, de cette indétermination. Et on le comprend. Il la veut clé en main, toute option, velours à tous les étages. Il demande à être séduit et il ne veut pas devoir à choisir. Tandis qu'elle, elle l'invite à abolir le temps, privilégiant la recherche sur le résultat. Le bonhomme, lui, quoi qu'il en dise, a des désirs nettement plus courts et, soi-disant, plus directs. Il serait la ligne droite et elle une arabesque qu'il ne tient pas à déchiffrer. Autant dire qu'ils ont peu de chances de se rencontrer (ils ont peu de chances de se rencontrer). Impatient, il l'est surtout vis-à-vis de cet autre sexe qui se distingue bien plus par sa manière que par son physique, ce dernier ne faisant que signaler l'écart. 
- «Alors, je dois faire quoi moi? Dire oui ou non?»
Cette phrase illustre bien la mâle assurance qui se sent le besoin de cacher son malaise en mettant en avant son droit à disposer d'elle. Car c'est un fait: la femme ne se déguise en paquet de bonbons que pour son bon plaisir. Mais s'il se met à sonder un tant soit peu ce possessif, «son», il pourrait venir à douter qu'il en soit pleinement le propriétaire. S'il n'était qu'une toute petite partie de ce «tout pour toi» qu'elle lui a susurré à l'oreille? Sa baronnie voit ses contours débordés comme sur un dessin colorié par un tout petit enfant. Sa belle se fait belle, mais ce pourrait ne pas être uniquement pour lui sans être forcément pour un autre. Oui, il n'avait pas envisagé l'éventualité qu'elle trouve aussi du plaisir à se faire plaisir nonchalant de son avis. De celui qui devait choisir, il devient celui qui est choisi, ce qui est flatteur, mais relativement inconfortable dans la mesure où il pourrait ne plus être choisi. 
- «Alors, je dois faire quoi moi?»
Il a quelque peu rompu le charme, non verbal, qui lui permettait de se retrouver dans cette intimité toute féminine sans avoir eu à faire ses preuves. Découvrir... Cet Indiana Jones de la dentelle sera-t-il à la hauteur de l'épreuve qui lui est offerte? Suite à sa question, la règle du jeu a été précisée comme une évidence qu'il n'avait apparemment pas saisie. Né à une autre époque, il n'a eu la chance de voir une exposition qui-dit-tout-comment-les filles-elles-fonctionnent comme le Zizi sexuel. Zep et Hélène - pas du tout de Troie - n'étaient pas encore passés par là. Lui, il a dû se contenter des films pornos de papa qui, convenons-en, ne faisaient pas une large place à l'intimité féminine et sa mère, trop occupée à folâtrer n'était pas là pour lui fournir une marche à suivre. Ce qui le laisse très seul dans cette savane de petites lianes-bretelles. Sa position de décideur ne lui sert à rien vu qu'il s'agit, précisément, de ne pas trancher. La poésie qu'il raillait comme étant de la «lecture pour homos» ne lui a pas permis d'apprendre par coeur ces vers de Rimbaud qui auraient pu l'aider...
«Puis tu te sentiras la joue égratignée...
Un petit baiser, comme une folle araignée,Te courra par le cou...
Et tu me diras: "Cherche!" en inclinant la tête,- Et nous prendrons du temps à trouver cette bête- Qui voyage beaucoup...»
La Muse de Brancusi qu'il avait prise pour l'oeuf en or d'une poule ne lui a pas permis de pousser plus loin sa connaissance de l'ovale. 
Pour le coup, il se trouvait face à une béance énorme: la sienne.
- «Il s'agit de découvrir...»
A travers les mailles de la dentelle, ce n'était pas moins de deux visions du monde qui se dévoilaient.
Bien que plus âgé et apparemment assez fier, le regard du poilu de Cro-Magnon chercha le mien, afin d'avoir un complice masculin, de ne plus se sentir abandonné dans cette moelleuse douceur colorée qui commençait à l'écoeurer et de pouvoir amenuiser cette écrasante supériorité féminine. Style «On se comprend!». Mais je ne lui en fournis pas l'occasion, n'ayant pas envie, à mon tour, de révéler que j'étais tout aussi benêt que lui avec mon bonnet... d'âne.
Image: Toulouse Lautrec, "Femme mettant son corset".

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Chroniqueur 55 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazine