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Histoire et géologie

Publié le 14 juin 2009 par Snorri
Voici un bref commentaire sur des articles déjà un peu anciens, mais qui nous donnent l'occasion de nous éloigner des sources textuelles sacro-saintes (cf. billet précédent)... toujours pour faire de l'histoire, mais, c'est là que c'est intéressant, non pas de l'histoire du climat, mais de l'histoire bien politique, à l'ancienne.
Le point de départ en est un petit article sur le site de la BBC : « La mousson et la chute des dynasties » [en] rapportant une recheche établissant un lien entre la chute des dynasties en Chine et les précipitations. Pour résumer, les stalagmites (vous savez, ceux qui montent) dans une caverne ont permis de déterminer, via les strates de sédimentation qui les composent, l'abondance des précipitations grâce à des variations dans les isotopes d'oxygène contenus dans lesdites strates, qui permettent de mesurer les variations et de dater les strates avec une précision de plus ou moins deux ans et demi en moyenne (!). Cette « archive naturelle » (expression reprise de l'article, et fort intéressante) est ensuite confrontée à l'archive textuelle - les chroniques qui parlent de la chute des dynasties, et les datent. Le résultat observé est que sur cinq dynasties, trois (Tang, Yuan, Ming) sont tombées après plusieurs décennies de moussons faibles (donc de conditions plus sèches - ce qui aurait pu perturber la culture du riz, dépendante de la mousson, et donc causer des troubles).
Loin de la Chine mais toujours en rapport avec des dynasties, suit un article sur un blog américain : « Comment les types de sol ont déterminé les résultats de l'élection de 2008 dans le Sud profond » [en]. Là je vous invite vraiment à aller voir l'article, car comme ce dernier le dit, « c'est une histoire qui se raconte avec des cartes ». Mais voici le résumé du raisonnement : sols riches = lieux de plantation du coton ; plantations de coton = concentrations de populations «afro-américaines » ; afro-américains = voix pour Obama. Il y a mieux encore : les sols plus pauvres sont caractérisés par de l'argile rouge ; et ces endroits correspondent à des zones où l'on a voté républicain (et la couleur du parti républicain est... le rouge ; cf. cet autre article [en]).
Évidemment, avant de faire un hymne au déterminisme[1] ressuscité et de dire que l'on peut lire le destin politique du monde entier dans les tendances climatiques et la nature des sols, il faut rappeller ce que rappelle d'ailleurs le blog cité plus haut : « c'est l'histoire de la relation entre la science du sol et la science politique, via le hasard historique ». En effet, cette correspondance entre « sols riches » et « voix pour Obama » ne se comprend que par des éléments qui eux n'ont pas grand'chose de géologique - la culture du coton au XVIIIè s., l'abolition de l'esclavage, enfin le passage des « afro-américains » du vote républicain au vote démocrate dans les années 1960 et ensuite.
Néanmoins voilà un exemple assez fascinant d'entrelacement entre l'histoire et des sciences « dures » (bien dures : c'est de la pierre...). Entrelacement institutionnel d'une part : l'entreprise de recherche dont parle l'article de la BBC a été faite par une équipe constituée d'historiens et de géologues, et avait pour but non seulement d'exploiter l'archive naturelle pour l'histoire de la Chine, mais aussi d'observer les émissions de gaz à effet de serre à travers l'histoire et l'influence humaine sur lesdites émissions, sujets plus « scientifiques ».
Mais le blog cité ensuite donne un exemple d'un entrelacement tout à fait différent, et tout aussi fascinant : là nous sommes loin de l'équipe de chercheurs spécialistes, disposant de moyens tels qu'ils peuvent analyser des isotopes d'oxygène dans un stalagmite. Il s'agit de simples « citoyens éclairés », qui ont œuvré à partir de Google Earth (images satellites) et autres données accessibles sur internet, confrontées à des connaissances de base en histoire, pour élaborer un
raisonnement que l'on peut peut-être taxer d'être simpliste, mais qui est, ne serait-ce que du point de vue de la méthode, assez remarquable à mon avis dans sa capacité à transgresser ce qui serait peut-être, pour un spécialiste, une frontière disciplinaire et méthodologique infranchissable... Le grand mérite étant également de pointer une idée que ce blog prétend et prétendra défendre : tout le monde peut faire œuvre d'historien.
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[1] « Principe scientifique d'après lequel tout phénomène est régi par une (ou plusieurs) loi(s) nécessaire(s) telle(s) que les mêmes causes entraînent dans les mêmes conditions ou circonstances, les mêmes effets. » (source : TLFi)

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