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Iran : la question

Publié le 22 juin 2009 par Argoul

Je ne connais pas l’Iran ; contrairement à maints pays, je n’y suis jamais allé. Mais je sais, pour avoir côtoyé nombre d’Iraniens exilés en France depuis la révolution cléricale islamiste de 1979, que ce pays est plus subtil et plus avancé qu’on ne le croit. D’où l’effarement qui me saisit face à ce qui s’y passe aujourd’hui. Nous assistons à des élections ; elles ne vont pas dans le sens que nous espérons ; l’opposition crie à la manipulation ; des manifestations monstres se déroulent, elles sont réprimées, les milices tuent ; le recours au Guide suprême, un temps balancé en faveur du recomptage des voix, est balayé par les radicaux : dans la crise il faut choisir son camp et l’ayatollah Kamenei déclare carrément « mon point de vue sur la politique intérieure et étrangère est naturellement plus proche de celui d’Ahmadinejad » (Le Monde 21 juin, p.6). Sommes-nous face à un coup d’état ? Comment l’analyser ? Comment le juger ? Comment militer contre, et pour nos valeurs ?

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D’abord, il s’agit de VOIR ; ensuite de tenter de COMPRENDRE ; puis de JUGER ; enfin de MILITER. Il ne faut pas tout confondre, ce qu’on croit voir n’est pas forcément ce qu’on voit et ce pour quoi on milite n’est peut-être pas contre ce qui s’est passé réellement…

1/ VOIR : il s’agit d’information. Celle-ci est partielle, tronquée volontairement par le pouvoir en place et utilisée par l’opposition, sans que l’on puisse distinguer le vrai du faux. Les journalistes extérieurs au pays ont été priés d’aller voir ailleurs, les media d’Etat censurent toute information défavorable au pouvoir réélu officiellement – comment savoir ? Il en est qui se précipitent pour afficher leurs préjugés et se poser en moralistes - ce n’est pas notre cas. Nous ne pouvons que soupçonner : M. Moussavi aurait été largement battu dans sa propre ville ? - peu probable. M. Ahmadinejad l’aurait emporté avec une très confortable majorité de 63% des voix ? – peu probable. Entre les deux, chacun se fera sa religion. Car il s’agit bien de « croyance » - rien ne nous permet d’établir des faits et M. Khamenei est aussi fondé à déclarer que « les mécanismes de notre pays ne permettent pas de tricher avec une marge de 11 millions de voix » que l’opposition avec ses 646 recours pour fraude. « On dit » que M. Ahmadimejad ne serait arrivé qu’en 3ème position avec 5,7 millions de voix, que M. Moussavi l’aurait réellement emporté avec 19 millions de voix. La seule chose dont nous soyons certains est que nous ne savons pas.

2/ COMPRENDRE : il s’agit d’analyse. L’Iran n’est pas l’Occident et les élections ne sont pas libres. Le Guide suprême joue le rôle d’un pape, le Conseil des Gardiens celui d’un Saint-Office et d’une Cour constitutionnelle à la fois : seul Dieu (Allah) est grand et Juge ; seuls Ses interprètes autorisés ont autorité pour désigner les candidats « honorables » et les résultats « probants ». Où est « la liberté » dans tout ça ? Où est la volonté du peuple ? Le peuple en pays d’islam n’existe pas, seul Dieu le crée à Son image… Imaginons, dit Yves Michaud à France Culture (l’Esprit public) que cela se passe chez nous : le pape, aux dernières élections, permet à M. Bayrou – bon chrétien – de se présenter, mais l’interdit absolument à M. Cohn-Bendit - qui sent le souffre. Est-on sûr que MM. Harlem Désir et Mélanchon auraient passé victorieusement le test ? Tout ce qui est à gauche de François Bayrou aurait probablement été interdit car non-conformes aux canons de la foi… Telle est la « démocratie » à l’iranienne : les candidats autorisés ne représentent qu’un spectre très étroit de la palette des opinions. Ne faisons donc pas du vainqueur officiel le Méchant, ni des opposants battus les Bons ! Quant au « peuple », il ne veut rien dire : il comprend des partisans de la ligne dure (Ahmadinejad) et des partisans de la ligne souple (Moussavi et autres). Mais tout ceux qui s’expriment pour les candidats autorisés sont dans la même ligne : celle du chiisme triomphant et de la théocratie ambiante.

3/ JUGER : il s’agit de mesurer ce qui nous vient de l’Iran à l’aune de nos usages et valeurs. Bien sûr que nous déplorons ce qui (en apparence) s’y passe ! Bien sûr que nous n’accepterions pas que cette parodie électorale soit transposée chez nous ! Bien sûr qu’il ne s’agit pas d’un coup d’état de type bonapartiste (ou gaullien) dans lequel le « pays réel » s’élève contre le « pays légal ». Ce qui se passe en Iran (si les informations parcellaires sont vraies) est un coup d’état d’un type nouveau, du 21ème siècle : un coup d’état informatique. Peu de fraudes ont été relevées localement, mais un écart incroyable s’est (peut-être) révélé nationalement : le ministère de l’Intérieur a (croit-on) manipulé les chiffres à grande échelle. Mais comme nous n’en sommes pas sûrs, nos réactions diplomatiques ne sauraient être nettes. Nous ne sommes pas face aux généraux birmans, ni même face aux apparatchiks chinois, mais face à une classe politique subtile et évoluée – même si islamiste et chiite. Il s’agit, certes d’une régression de la démocratie en Iran, mais l’islam n’admet pas aisément la démocratie. Pour les plus archaïques, Dieu seul veut et les humains lui doivent complète obéissance. Reste à déterminer qui Dieu mandate pour se faire son interprète… et c’est là que la notion de « démocratie » peut intervenir en régime hanté par la religion (contrairement au relativisme démocratique défendu naguère par M. Chirac). Dans les pays communistes, on appelait ça « la ligne » - il s’agit bien de la même chose.

4/ MILITER : il s’agit de savoir ce que nous allons faire. Brailler, ça soulage – mais ça ne sert à rien – brailler en manif reste le degré zéro de la politique. Cela sert seulement à nous donner bonne conscience. Concrètement, que faire ? Mahmoud II est mal aimé, mal réélu, son coup d’état élimine tout contrepoids à ses décisions. Il est soutenu par tout ce qui compte de populistes nationalistes et d’autoritaires fondamentalistes sur la planète : Chavez, le PC chinois, Poutine et Medvedev, la Corée du nord, Cuba… Cela pose plusieurs questions :

· Nous sommes face à une dictature, dès lors, comment « négocier » ? Barack Obama voulait changer les choses, passer de la realpolitik à la Henry Kissinger (les Etats n’ont que des intérêts qu’ils favorisent cyniquement) à l’idéalisme démocrate (nous sommes tous sur la même planète, parlons ensemble pour régler au mieux les problèmes). Il est désormais au pied du mur : comment « négocie »-t-on avec les dictateurs ? Comme à Munich face à Hitler ? Comme au blocus de Berlin ou aux fusées de Cuba ? Va-t-on opérer un revirement en faveur des ultras israéliens prêts à bombarder les installations nucléaires en Iran ?
· Nous sommes face à un rejet explicite de l’Occident et de ses valeurs. Dès lors, comment les défendre, les justifier ? Devons-nous « tout » accepter au nom des « droits » de l’homme, en Iran comme à l’ONU ? Que sont de tels « droits » s’ils ne s’appliquent qu’à chacun selon sa culture ? ne faut-il pas remettre en cause notre bonne conscience droidelhomiste-occidentale pour regarder où est vraiment l’universel ? Ne devons-nous pas, justement, tout comme l’alcool ou se promener nu est strictement interdit en pays musulman, interdire strictement la burqa pour les femmes et autres comportements militant ostensible ? Ne devons-nous pas, au contraire, réaffirmer haut et clair la séparation des églises et de l’Etat, donc la neutralité laïque ? Allons-nous engager comme si de rien n’était l’adhésion à l’Union européenne d’un pays majoritairement islamique, mal développé et obscurantiste aux portes de l’Europe : la Turquie, si proche des moeurs iraniennes ? Ne faut-il pas à l’inverse réaffirmer qu’une telle adhésion ne saurait se faire avant de profondes réformes des institutions et des mœurs dans le pays demandeur – donc pas avant une ou deux générations au moins ?
· Nous sommes face à une caricature d’élections. Allons-nous conforter ce comportement parodique en nous moquant, chez nous, du processus d’expression, de campagne électorale, de vote et de tout ce qui constitue pour nous le débat politique ? N’est-ce pas, à l’opposé, la clarté des candidatures, le ton argumenté des campagnes, la baisse des abstentions et le contrôle rigoureux des votes qui font le plus pour afficher « notre » système démocratique aux yeux du monde ?

Au-delà de l’Iran et des élections probablement truquées qui viennent d’avoir lieu, ce sont toutes ces questions qui surgissent. Elles vont bien au-delà de la simple « réaction » épidermique tellement à la mode ou de l’ingérence dans les affaires intérieures d’un pays souverain. Elles nous mettent – nous, personnellement - en cause !


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