C’était un de ces matins magiques que le hasard sait glisser au fil des voyages. La veille au soir, nous avions planté la tente dans un verger pour découvrir des oiseaux rares aux noms très distingués : la fauvette de Ménétries, l’hypolaïs d’Upcher, le roselin de Lichtenstein. Nous fûmes tôt réveillés par un fermier. Notre intrusion au milieu de ses amandiers pouvait l’avoir importuné mais son large sourire blanc et or nous rassura aussitôt. Il nous apportait un panier rempli de fromages et de fruits. Et déjà derrière lui accourait une ribambelle de gamins malicieux (nous apprîmes plus tard qu’ils étaient tous ses enfants). Le fermier nous invita à partager un moment d’amitié chez lui où il nous présenta à ses femmes, ses filles et sa mère. Et malgré la barrière de la langue, nous avions tous une joie immense à échanger n’étaient-ce que des gestes et des sourires. Il suffit de si peu pour être heureux tous ensemble, quelles que soient nos différences et aussi grâce à elles. Les routes d’après n’ont cessé de nous le dire.
Un ami est retourné trois ans plus tard à Isikli. La vieille dame était partie l'hiver suivant à cause d'une mauvaise grippe. Tous les autres allaient bien, les petits avaient grandi, d’autres bébés étaient arrivés. J’ai un peu perdu le fil de l’actualité là-bas. Je sais juste que les autorités turques s’en prennent toujours aux Kurdes et que de nombreux barrages hydroélectriques ont déjà noyé ces fantastiques collines.Isikli, Anatolie orientale, août 1997