Magazine

Le carrosse et les laquais

Publié le 24 juin 2009 par Mtislav
  Le carrosse et les laquaisPour Didier Goux, "la nomination de Frédéric Mitterrand est une bonne nouvelle, en dépit de ses palinodies télévisuelles d'antan, car il est sauvé (à mes yeux...) par un tempérament aristocratique et élitiste (indispensable dès lors que l'on parle de culture) du meilleur aloi."
"Du reste, à titre personnel, je propose la suppression pure et simple du ministère de la Culture et son remplacement par un ministère du Patrimoine."
(lu dans les commentaires du billet de PMA)
Je n'ai pas recopié une partie du commentaire où il était question de la piètre qualité des films de Bertrand Tavernier et des sommes dilapidées pour soutenir des groupes de rap. Ceux-ci rapportent davantage à l'Etat qu'ils ne lui coûtent et leur survie économique ne doit pas grand chose à la manne ministérielle. Ce qui n'empêche que certains groupes peuvent opportunément bénéficier d'une aide tandis que le propos tenu par d'autres devrait leur interdire d'y prétendre. Il semble en particulier que ce sont les danseurs (hip hop) plutôt que les musiciens qui bénéficient de ces aides. Les équipements publics ont joué un faible rôle dans le développement de ces courants culturels ancrés dans des territoires plutôt défavorisés. Ce n'est pas absurde qu'un peu d'argent y soit consacré. C'est intéressant de lire les propos d'un sociologue (L. Lafargue De Grangeneuve) qui a étudié cette question.
"Il y a une spécificité de la culture hip-hop par rapport à d’autres formes de culture plus savantes ou plus classiques : c’est son ancrage spatial et territorial affiché. En France, une tradition de « grande culture » tente de faire correspondre art et universel. Il suffit de penser à ce que disait Malraux, avec la politique de démocratisation de la culture et l’idée d’oeuvre d’art à vocation universelle : c’est cette idée-là qui fonde la politique culturelle française, non seulement dans les ministères mais aussi chez les artistes. Pour les artistes, la reconnaissance passe par le fait de gommer l’ancrage spatial, les références au territoire – en tout cas, ce fut longtemps le cas. De ce point de vue-là, la culture hip-hop a une spécificité : elle affiche son ancrage territorial.

L’exemple le plus frappant est celui des rappeurs qui parlent sans cesse de la ville, du département, du quartier, voire de la cité d’où ils sont issus. Le nom des groupes est souvent une adresse ou un code postal. Or, dans l’art contemporain, on ne trouve pas ça. C’est donc assez unique dans l’art moderne. Rapidement, on peut l’analyser comme une sorte d’inversion du stigmate : ce sont des artistes de milieu populaire, souvent d’origine immigrée, donc, en France, souvent d’origine maghrébine ou africaine, et qui sont stigmatisés depuis de longues décennies. Par conséquent, revendiquer son appartenance territoriale est contrer ces images stigmatisantes."

L'acharnement contre ce type de musique est révélateur. Alors que ces musiques sortent du ghetto, faudrait-il, de manière purement symbolique, les y rejeter ? Alors que des sommes bien plus importantes sont consacrées aux bâtiments et à des formes d'expression musicales qui ont beaucoup de qualités mais qui n'ont pas l'ancrage populaire du rap ou du hip hop ?
Pour ce qui est de Tavernier, qui a beaucoup fait pour la préservation du patrimoine cinématographique, dont les films qu'on le veuille ou non, font partie de notre cinématographie, l'insulte le concernant est nulle et non avenue. De plus, on sait que les aides à la production cinématographique font partie de l'équilibre de la plupart des films produits. Sans l'avance sur recette, pas de film. Pourquoi un tel devrait se trouver exclu, fût-ce Bertrand Tavernier ?
Pour revenir à la question centrale, un ministère de la culture large ou restreint à la protection du patrimoine, la tradition française a toujours fait sienne la première conception. Si Louis XIV, Napoléon, de Gaulle ou Mitterrand avaient privilégié la seconde sur la première, on ne connaîtrait pas la Comédie française, Versailles, le pont des Arts, le Jardin des Plantes, le plafond de l'Opéra de Paris, l'avance sur recette et tout un pan du cinéma français actuel n'auraient pas vu le jour, la Criée de Marseille, Arte, le Grand Louvre... Je vois mal comment on peut revendiquer un patrimoine et remettre en question le mécanisme qui l'a produit. Et la tradition française ! Les réactionnaires sont de dangereux révolutionnaires...
Quant à Frédéric Mitterrand, au tempérament aristocratique et élitiste, il ne faut pas confondre le carrosse et les laquais.
photo : devant les chutes de Niagara, photo appartenant au patrimoine culturel de la famille Walsh.  

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Mtislav 79 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte