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La pseudo-science est-elle plus performante en matière de communication?

Publié le 27 septembre 2007 par Timothée Poisot

La multiplication des supports de diffusion de l’information (blogs, flux RSS, et wikis en tête) et l’intertextualité rend toute information beaucoup plus accessible. A tel point que les cas de redondance sont de plus en plus nombreux. Il est donc légitime de chercher a trier, dans la masse, les informations pertinentes, qui méritent qu’on s’y arrêtent, et surtout sur lesquelles on peut s’appuyer, parce qu’on sait qu’elles ont peut de chances d’être erronées. Cette quête de l’”information juste” possède aussi ses dangers: il est possible de faire passer une information comme étant exacte en lui donnant toutes les apparences d’une vérité scientifique.

La plupart des informations se propagent sur le web via de nouveaux outils de communication: blogs, flux RSS, et autres. Les possibilités de s’échanger les contenus (licence creative commons, indexation, sites type Wikio, NetVibes, plate-forme grégarus comme celle utilisée par le c@fé des sciences, widgets pour lire les flux RSS, et autres) sont nombreuses, et on assiste effectivement a une duplication de l’information.

On assiste a une uniformisation des contenus assez effarante. Sur les sites de News (Digg, Fuzz, Wikio, et autres), il n’est pas rare de trouver la même information (le même contenu, souvent au mot près) reprise 5 à 10 fois. Le nombre d’informations (en tant que “faits”) disponible pour un lecteur est donc, finalement, assez réduit.

Cette uniformisation du contenu disponible peut finir par donner l’impression d’un consensus sur certains faits. Si la pédagogie est une question de répétition (ce que je ne crois pas, soit dit en passant), alors nous finissons par “apprendre” ces faits qui nous sont rebattus. L’effet pervers de ces répétitions est évident: si une information est reprise dix fois, elle est très visible, et acquiert plus de légitimité qu’une information n’apparaissant qu’une seule fois. Rien n’est officiel tant que CNN ne l’a pas annoncé, en quelque sorte.

De fait, on assiste progressivement a une érosion de la quantité totale d’informations disponibles pour le lecteur. Si en terme de masse, le “nombre de lignes” à lire ne varie pas beaucoup, la diversité diminue dangereusement. A tel point que cette situation finit par sembler normale aux lecteurs. Et plus encore, une information qui se retrouve isolée semble tout de suite plus suspecte qu’une information à large diffusion. D’où, finalement, une nécessité de “valider” l’information, d’asseoir sa crédibilité aux yeux du lectorat.

La question principale qu’il convient de se poser face à une information nouvelle est, bien évidemment, “de qui provient-elle?”. La multiplication des possibilités de s’exprimer sur internet (ce que je trouve absolument bénéfique, mais non sans dangers) conduit tout le monde à pouvoir exprimer ses opinions et sa vision des choses. Et concernant l’information scientifique, Bug girl’s se posait l’autre jour une question fondamentale : Internet va-t-il causer notre perte à tous?

Effectivement, chacun est maintenant en mesure de devenir une source d’information, sans avoir à fournir un effort trop important, puisque l’aspect “technique” de la publication sur internet est grandement facilité (un blog chez WordPress demande au maximum 10 minutes pour être pleinement opérationnel). Comme ce qui était annoncé sur Affordance, le RSS contribue à l’établissement d’une logique de noeuds, ou celui qui distribue l’information possède le pouvoir. Puisque son statut d’informateur lui confère une certaine autorité.

Il est donc logique de voir émerger un mouvement de défiance de la part du public, qui sous la masse d’informations qui lui est proposé, va chercher à faire le tri. Or, pour faire le tri, si tout le monde a la même possibilité de diffuser l’information, il va falloir se tourner vers ceux “qui savent”, les “experts” du domaine. Et de fait, de plus en plus de blogs mettent en avant leurs rédacteurs et leur parcours (euh… moi le premier). Il y a cependant quelque chose de beaucoup plus important, d’après mes observations, que la personne qui communique l’information: la manière dont cette information est présentée.

Au cours des dernières semaines, j’ai demandé à des personnes plus ou moins proches de moi de se prêter à un petit jeu très rapide. J’avais préparé deux textes “scientifiques” à leur faire lire (environ deux paragraphes chacun). Le premier était un extrait de la conclusion d’un de mes anciens compte-rendu de TP, auquel j’ai rapidement rajouté quelques références (pas forcément pertinentes, mais globalement en rapport avec le sujet). Le deuxième était un extrait d’une comparaison de deux articles que j’avais rendu l’année dernière, sur la formation d’agrégats, qui au contraire ne contenait pas une seul référence. J’ai apporté quelques modifications aux deux textes.

J’ai largement complexifié le style du premier, utilisé des phrases complexes, et plus important encore, introduit une erreur factuelle importante. Dans le second, qui était “exact”, j’avais au contraire simplifié au maximum la syntaxe. La question que j’ai posé est la suivante: lequel de ces deux textes semble le plus digne de confiance? Mon échantillon n’est pas forcément représentatif (une vingt-cinquaine de personnes), j’aurais pu augmenter le N (OMG geekness!), mais à deux exceptions près, c’est mon texte “bien présenté” qui a obtenu le meilleur accueil.

Il y a probablement une leçon a tirer de tout ça. Dans la masse d’informations qui circulent, si l’une d’entre elles possède les signes “distinctifs” de la “vérité scientifique”, elle risque fort de recueillir un accueil favorable du public. Oui mais voilà, il reste des cas ou ça ressemble à de la science, mais ce n’est pas de la science du tout.

Après la description du phénomène, une approche du mécanisme? A mon avis, la plupart des lecteurs confrontés a une information “scientifique” pensent qu’ils ne sont pas nécessairement aptes à juger de son exactitude, et vont donc chercher des points de repère. La qualité du rédacteur, mais aussi les références, l’ancrage de ce résultat dans un contexte plus vaste. Pour que la communication scientifique soit bien reçue, il semble donc important de ne pas “isoler” ce que l’on présente, mais bien de s’appuyer au maximum sur d’autres faits (ce qui est une norme dans l’écriture scientifique va t’il devenir une norme dans la vulgarisation?).

On peut, au passage, saluer des initiatives louables d’explication d’une méthode de lecture des articles scientifiques à l’usage de personnes qui n’ont pas forcément de background en sciences. Combiné au mouvement d’open access, ce genre d’initiative est louable.

Oui mais voilà, ce dont je parle ici, d’autres l’ont compris depuis bien longtemps, et l’utilisent pour faire passer leur vision du monde. Ce qu’ils font n’est pas de la science, n’a ni légitimité ni valeur aux yeux de la plupart des scientifiques, mais en lui donnant les aspects de la science, ça finit par passer. Vous voyez de qui je veux parler, bien évidemment. Je précise tout de suite que je ne tape pas sur les partisans du Dessein Intelligent par pur plaisir (quoique, à la longue…), mais bien parce qu’ils me semblent être ceux qui incarnent le mieux l’utilisation de la pseudo-science.

Une analyse de leurs agissements a été faite par Enro, je vous conseille de vous y reporter. On peut notamment signaler la création d’une Graduate School au sein de l’Institute for Creation Research, et les activités de publication du Discovery Institute. Tout ce que j’ai pu lire sur leurs sites, ou sur les blogs (notamment celui du couple terrible Dembski / O’Leary) me rappelle cette sortie du biologiste soviétique Sisakahn en 1954, à propos des travaux de Tomas Hunt Morgan : Il ne peut empêcher que son seul objectif, en jonglant avec les mots, soit de camoufler l’essence idéaliste de sa doctrine et de couvrir un idéalisme cru d’une sauce scientifique.

Car jongler avec les mots, les pseudo-scientifiques savent le faire. En mêlant au débat sur les faits des concepts pas forcément liés, mais qui impressionnent, ils se donnent un aura de culture, de spiritualité, qui assied encore leur autorité. Même quand ces concepts sont finalement éculés: l’idéologie matérialiste de Dembski (à mon avis à opposer au spiritualisme) qui est responsable de la corruption de l’étude des sciences biologiques ne résonne t’elle pas avec le matérialisme dialectique de Lyssenko, qu’il utilisa en son temps pour s’opposer… au néo-Darwinisme et aux théories sur l’hérédité? Le Dessein Intelligent est un exemple de ce qu’on appelle un Lyssenkisme (et ce concept reste son seul apport à la science): une théorie scientifique qui ne s’appuie que sur une idéologie.

Le débat permanent entre évolutionnistes et partisans du Dessein Intelligent et autres créationnistes de tout poil (on pourra arguer que le Dessein Intelligent, et Denyse O’Leary le dit elle-même, n’est pas un créationnisme –Le correcteur de mon Mac propose “crétinisme” en remplacement–; il faut tout de même signaler que dans les think-tank ID gravitent un certain nombre de chantres de théories étranges, la terre aurait 4000 ans, et ce genre de joyeusetés) est finalement de même nature que celui qui a opposé “les scientifiques soviétiques” (exception faite de quelques personnes comme notamment Vailov) au “reste du monde” dans les années 30 à 60, sur des sujets comme l’hérédité ou l’origine du vivant: le combat d’une idéologie contre une science, rendu possible parce que l’idéologie a utilisé les armes de la science, et s’est donné son apparence.

Il semble donc que, pour répondre aux partisans de théories de ce type, il faille nous remettre à faire de la science même quand il s’agit de vulgariser. Mais plus encore qu’une communication efficace (c’est la “réponse” au premier problème, celui de l’information noyée dans la masse), il faut prendre une position plus active, et répondre, répondre, répondre encore aux théories qui nous font dresser les cheveux sur la tête. Si l’espace médiatique est un espace fini, il n’y a pas de raison de laisser les tenants de la pseudo-science se l’approprier tout entier.


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