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Fort Bragg, creuset des forces spéciales américaines

Publié le 27 juin 2009 par Theatrum Belli @TheatrumBelli

Les bérets verts et autres rangers ont pris une place dominante dans les opérations de l'US Army, grâce à une adaptation constante aux nouveaux conflits.

C'est la plus grande base d'entraînement de commandos au monde. Avec 63.000 habitants dont 10.000 civils, elle est si vaste qu'une autoroute à six voies a été construite pour la desservir. Elle n'a pourtant pas encore atteint sa taille définitive. Alors qu'en France, une cure de rigueur a été imposée à l'armée, sommée de réduire ses troupes et de fermer des casernes, Fort Bragg continue à se développer, au fur et à mesure que grossissent les opérations militaires américaines à l'étranger.


Bientôt, la base de Caroline du Nord comptera 73.000 militaires. 86.000 habitants avec les civils et les familles. Autant que la ville d'Avignon... Mais le changement n'est pas que quantitatif. Depuis l'arrivée de Barack Obama à la Maison-Blanche et la nomination du général Petraeus à la tête du CentCom, le commandement central, qui gère les guerres d'Irak et d'Afghanistan, les forces spéciales américaines ont aussi amorcé un changement dans leurs méthodes et leur stratégie.

Avant d'arriver à Fort Bragg, on s'imagine volontiers une horde d'Indiens à cheval attaquant une division du gouvernement fédéral. Si cet ancien camp d'entraînement militaire, construit en 1918, n'a jamais connu ni les Apaches ni les Comanches, son nom garde une connotation mythique pour les Américains. Tom Wolfe y a puisé l'inspiration de l'un de ses romans, Embuscade à Fort Bragg. C'est là qu'on trouve, entre autres, «les meilleurs pilotes du monde» et l'élite des forces spéciales de l'armée de terre. 27.000 hommes, soit 50% des forces spéciales américaines, habitent et s'entraînent quotidiennement à Fort Bragg. Notamment les fameux bérets verts, qui opèrent discrètement en petits groupes de 12 derrière les lignes ennemies, les rangers, unité d'infanterie légère ultra-entraînée et spécialisée dans le combat de nuit, ou encore la mystérieuse force Delta, qui réunit le gratin des forces commandos, mais qui, officiellement, n'existe pas.

Multiplication des «zones d'instabilité»

Devant le gigantesque bâtiment carré, sorte de blockhaus marron, qui abrite le commandement national des opérations spéciales de l'armée de terre, une statue de bronze exalte, sous la plume de l'ancien président John F. Kennedy, le «courage» des bérets verts, «symbole d'excellence» de l'Amérique, qui se sont si souvent distingués au «combat pour la liberté». Créés à la fin des années 1950, spécialisés dans les conflits non conventionnels, les commandos et les forces spéciales américaines ont été projetés dans la plupart des crises depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Pendant longtemps, il s'est agi, surtout, de lutter contre les guérillas communistes, en Amérique latine ou au Vietnam, où les forces spéciales américaines se sont parfois inspirées des techniques de contre-insurrection françaises mises en pratique pendant la bataille d'Alger.

Depuis le 11 septembre 2001, la guerre contre le terrorisme a pris le pas sur la lutte anticommuniste. «Les forces spéciales sont très demandées. Nous devons être capables de couvrir tout le spectre mondial. Mais aujourd'hui, l'Afghanistan accapare une grosse partie de nos effectifs, même ceux qui sont spécialisés sur l'Amérique latine ou sur l'Afrique», explique le général Maxwell, chef d'état-major des opérations spéciales. La multiplication des «zones d'instabilité» dans le monde et le succès des bérets verts en Afghanistan, qui avaient réussi, en 2001, à chasser les talibans de Kaboul en deux mois en aidant l'Alliance du Nord du commandant Massoud, ont propulsé les forces spéciales sur le devant de la scène.

Beaucoup estiment qu'étant plus adaptées aux guerres «irrégulières», elles doivent servir d'exemple pour l'évolution future des armées occidentales. Les bérets verts ont pris une place énorme dans les opérations militaires contemporaines. En 2008, il y avait 5.500 hommes des commandos en Irak et 3 000 en Afghanistan, où Obama a nommé à la tête des troupes américaines et de l'Otan un ancien patron des forces spéciales, le général McChrystal. À titre de comparaison, la France a envoyé 200 hommes des forces spéciales à Spin Boldak, au sud-est de l'Afghanistan, entre 2003 et 2006... Et pourtant, il y a toujours plus de missions que de bérets verts disponibles pour gérer les crises mondiales. C'est pour diminuer cette tension que George W. Bush, à la fin de son mandat, a décidé de gonfler les effectifs des forces spéciales, pour les porter à 65 000. Depuis, Fort Bragg recrute à tour de bras.

Postés au bord d'un champ sur lequel manœuvrent des tanks, au milieu du bruit assourdissant des tirs d'artillerie, trois rangers, Adam, Mike et Kevin, s'entraînent pour devenir bérets verts. Armement, contre-insurrection, batailles fictives contre des talibans sur un terrain reproduisant le plus fidèlement possible l'environnement afghan, ses montagnes et ses vallées encaissées : six mois d'entraînement intensif avant la difficile sélection finale. Avec à la clé, sans doute, l'Afghanistan. Chaque jour, les candidats prennent des cours de pachtoun, d'ourdou ou de farsi et suivent des stages de culture afghane. On leur explique qu'ils devront boire le thé avec les responsables tribaux, être aimables avec les villageois dont il faudra «gagner le cœur et les esprits» et ne pas avoir la gâchette trop sensible.

Ben Laden au second plan

Car les forces spéciales américaines changent. C'est l'une des grandes forces de l'Amérique : savoir reconnaître ses erreurs pour mieux les corriger. En Irak, puis en Afghanistan, l'utilisation trop systématique de la puissance de feu, les dégâts collatéraux provoqués par les bombardements aériens et les erreurs stratégiques ont créé un profond fossé entre les troupes américaines et les populations locales. En Irak, le général Petraeus a réussi, en faisant appel aux techniques de lutte anti-insurrectionnelle, à inverser la situation. Nommé, depuis, patron du commandement central à Tampa, en Floride, il se fait fort d'obtenir les mêmes résultats en Afghanistan.

À Fort Bragg, les forces spéciales appliquent donc à la lettre, dès l'entraînement, la méthode Petraeus. «L'un des principes de la contre-insurrection consiste à sécuriser le terrain humain. Avant, nous étions très focalisés sur les cibles. Aujourd'hui, nous consacrons beaucoup d'énergie à former les forces de sécurité nationales, et notamment l'ANA, l'armée afghane. Si nous ne comblons pas le vide de sécurité avec des forces alliées, si nous ne réussissons pas à protéger les populations, nous ne gagnerons pas contre les talibans», prévient le colonel James Kraft, qui commande le 7e groupe des forces spéciales. Priorité des militaires américains pendant longtemps, la poursuite de Ben Laden est passée au second plan. «Attraper les responsables du 11 Septembre n'est qu'une des facettes de notre job, ce n'est plus notre principal effort. La victoire contre les talibans n'est pas une question d'hommes ou de leader. Car si nous attrapons Ben Laden, il sera, de toute façon, remplacé», poursuit le colonel.

Signe que les temps ont vraiment changé aux États-Unis, un nouveau département, dédié aux affaires civiles, a été créé à Fort Bragg : 1.000 hommes dispatchés dans 23 pays dont ils sont censés maîtriser la langue et la culture, dont l'Afghanistan. «Nous travaillons à réduire les frontières entre le militaire et le civil. Notre but est d'agir en amont pour éviter le déclenchement des crises et des conflits, d'assister la population pour gagner en influence et en légitimité. C'est un travail de prévention, qui exige une présence à long terme et ne portera ses fruits que dans plusieurs années», explique le commandant des affaires civiles, Mike Warmack. Il ajoute : «De nombreux pays représentent une menace potentielle à la sécurité nationale américaine. Avant, nos militaires s'en prenaient directement aux fauteurs de trouble. Aujourd'hui, nous voulons comprendre les causes de l'instabilité. Le développement, la diplomatie et le soft power sont désormais reconnus comme des modèles. Cela correspond à la nouvelle stratégie de défense du Pentagone .»

Reste à savoir si, sur place, les hommes des forces spéciales sauront joindre le geste à la parole. Et surtout, s'il n'est pas déjà trop tard. Les militaires français estiment ainsi avoir gagné la guerre d'Algérie grâce aux méthodes de contre-insurrection. Mais le pouvoir politique français, disent-ils, avait déjà lâché...

Isabelle LASSERRE

Source du texte : FIGARO.FR



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