Dès la première page, l’auteur déclare qu’un homme de qualité ne devrait pas se répandre en public sur les moyens qu’il utilise pour se maintenir en forme.« J’éprouve quelque scrupule à écrire ce livre mais cet ouvrage a pour sujet la course, pas du tout la santé. Ce que j’ai voulu faire, c’est exposer mes pensées sur le sens que revêt pour moi, en tant qu’être humain, le fait de courir. Tout simplement m’interroger, chercher les réponses. »
Pourquoi un écrivain célèbre comme Haruki Murakami, l’auteur de récits aussi intéressants et inspirés que : « Au sud de la frontière, à l’ouest du soleil », « Kafka sur le rivage »,« Saules aveugles, femme endormie », pourquoi ressent-il un jour le besoin de raconter et d’expliquer une de ses plus chères habitudes, cette nécessité de courir une dizaine de kilomètres chaque jour, six jours par semaine ? Il l’affirme dès le début : « Ecrire franchement sur le fait de courir, c’est, je crois, également écrire franchement sur moi-même en tant qu’homme. Voilà ce dont j’ai pris conscience en cours de route. C’est pourquoi il ne me semble pas faux de lire cet ouvrage comme une sorte de « mémoire », dont le pivot est l’acte même de courir. C’est moi seul que je présente ici. La course est l’élément majeur de ma vie quotidienne. »
Le livre se lit agréablement mais comme je ne suis pas une adepte de la course à pied, le chapitre qui, de loin, m’a le plus intéressée est le quatrième, consacré à la journée du 19 septembre 2005 à Tokyo et dont le sous-titre est « Une grande partie de mes techniques de romancier provient de ce que j’ai appris en courant chaque matin. »
Murakami entreprend alors de démontrer que, pour lui, écrire un roman et courir un marathon sont deux activités qui se ressemblent.
A la question rituelle concernant les qualités nécessaires pour devenir un grand écrivain, il répond qu’il en voit trois : le talent dont on n’est pas maître, la concentration et la persévérancequi, elles, dépendent de la volonté de chacun. Il donne comme exemple le cas de Raymond Chandler, l’auteur de romans noirs qui, même s’il n’écrivait rien, s’obligeait à s’asseoir à sa table chaque jour sans exception, un certain nombre d’heures et à demeurer là, seul, la conscience en éveil. Par cet exercice quotidien, il renforçait sa volonté.
Murakami affirme aussi que, pour lui, écrire un roman est fondamentalement un travail physique qui nécessite de mettre en œuvre toute son énergie et d’aller jusqu’à se surmener.
« Pour moi, courir est à la fois un exercice et une métaphore. En courant jour après jour, en accumulant les courses, je dépasse les obstacles petit à petit et, lorsque j’ai réussi à franchir un niveau supérieur, je me grandis moi-même. Durant les courses de fond, le seul adversaire que l’on doit vaincre, c’est soi, le soi qui traîne tout son pas".
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J’ai recueilli quelques autres citations qui me permettent de mieux connaître cet auteur que j’aime tant lire, où il avoue son amour de la solitude, son impression de n’être pas très aimé, et son épitaphe possible.
« J’ai toujours eu cette inclination depuis ma jeunesse : lorsque j’avais le choix, je préférais invariablement lire des livres seul ou bien me concentrer à écouter de la musique plutôt que d’être en compagnie de quelqu’un d’autre. »
« Je ne pense pas que beaucoup aiment ma personnalité. Très rares sont ceux qui aiment quelqu’un comme moi, quelqu’un qui ne fait aucun compromis, et qui, au contraire, lorsqu’un problème surgit, va s’enfermer tout seul dans son bureau. »
« Mon temps, le rang que j’obtiens, mon apparence, les critiques des autres, tout cela est secondaire. Pour un coureur comme moi, ce qui est vraiment important est d’atteindre le but que j’ai assigné à mes jambes. »
« De chaque échec, de chaque bonheur, j’essaie de tirer une leçon concrète (qu’importe qu’elle soit minuscule si elle est concrète). »
« Un jour, si je possède une tombe et que je suis libre de choisir ce qui sera gravé dessus voilà ce que j’aimerais y lire :
« Ecrivain (et coureur) au moins jusqu’au bout il n’aura pas marché. »
Un livre qui parle autant de l’écrivain que du coureur de fond. J’ai aimé.
Autoportrait de l’auteur en coureur de fond deHaruki Murakami
(Belfond, 2009, 181 pages, traduit du japonais par Hélène Morita)