Le patron d’Apple, Steve Jobs, serait-il devenu people ? Probablement pas : la presse ne fait pas encore ses choux gras de ses éventuelles frasques personnelles. Mais une étape, dans ce sens, a été franchie. Le phénomène n’est pas complètement nouveau : au mois de décembre dernier, en particulier, l’état de santé de Steve Jobs a fait couler beaucoup d’encre, et bien au-delà de la seule presse « Mac ».
Steve Jobs, lors de la présentation de l'iPhone, en ouverture de Macworld Expo, en janvier 2007
Le week-end dernier, j’ai l’impression que le phénomène a encore gagné en ampleur. Toute la presse (ou presque) s’est jetée sur la moindre rumeur – Steve Jobs aurait été vu sur le campus de Cupertino ; il a subit une greffe du foie ; il va bien ; le pronostic est bon… Même Reuters s’est senti obligé de couvrir le sujet comme si le patron d’Apple – une boîte californienne qui fabrique des ordinateurs personnels mais sans réussir à entrer dans le Top 5 des vendeurs mondiaux – était un chef d’état.
Certes, cette petite entreprise commercialise le baladeur multimédia dominant sur son marché, l’iPod. Et aussi le Smartphone qui fait trembler ses concurrents, l’iPhone. Cette entreprise a aussi des actionnaires qui peuvent être intéressés à connaître l’état de santé d’un PDG aussi charismatique que Steve Jobs. Lui-même est une icône de la Silicon Valley. Mais, tout de même, l’équipe dirigeante de la firme à la pomme, hors Jobs, et Tim Cook en tête, est-elle donc à ce point quantité négligeable ? A mon sens, non.
Laissé un peu perplexe par toute cette agitation médiatique, j’ai interrogé Ed Maguire, ancien directeur de Merrill Lynch Technology Investment Banking et fondateur de MAGNet Strategies, une société de conseil en investissement technologique, ainsi que l’équipe de production du documentaire Welcome to Macintosh. Pour le premier, “Steve Jobs est une exception car il joue un rôle critique dans la stratégie d’Apple. Contrairement à d’autres dirigeants, son départ ou son absence serait très préjudiciable à l’entreprise.” Même son de cloche du côté du Rob Raca et de Josh Rizzo, réalisateurs de Welcome to Macintosh : Steve Jobs est “un porte-parole, un dirigeant et l’icône d’une entreprise, pas seulement d’une génération.” Du coup, les commentaires d’un Warren Buffet semblent justifiés. Pour Ed Maguire, “Apple et Jobs ont dû réaliser que la diffusion de ces informations était nécessaire pour éviter les rumeurs et les risques de poursuites engagées par des actionnaires.” Une diffusion finalement assez bien contrôlée : “l’intervention a eu lieu il y a deux mois. Je pense qu’ils ont attendu d’en voir les suites et que la décision de communiquer a été prise par Steve.”
Mais tout le battage médiatique autour de cette greffe de foie n’est peut-être pas tout aussi justifié : “le PDG d’une autre entreprise n’aurait pas une couverture nationale [et internationale, NDLA] de cette ampleur”, expliquent Rob et Josh, relevant une ampleur qui “nous a tout de même un peu surpris”. Mais voilà, Steve Jobs serait tout simplement devenu “un PDG rockstar.” Et le droit à la vie privée, dans tout cela ? Pour Rob et Josh, “c’est allé trop loin. Ce type, en fin de compte, est un citoyen comme un autre et pas un serviteur du public comme peut l’être un responsable de gouvernement [...] Il a droit à la vie privée, comme n’importe qui d’autre.” En fait, tous deux s’avèrent plus critiques qu’Ed envers des propos comme ceux de Warren Buffet : “les investisseurs ne devraient plus être préoccupés par la santé de Steve Jobs.”
Et pour quelle raison ? ”Apple peut fonctionner sans Steve Jobs [...] Jobs a construit une équipe talentueuse qui comprend sa vision de l’innovation ainsi que le niveau d’attention, de qualité et d’ingénierie nécessaires pour permettre à Apple de se distinguer de ce que fait le reste de l’industrie.” D’ailleurs, pour Ed, Steve Jobs “s’est probablement concentré sur sa succession [au cours des dernières années].”
Une succession à laquelle l’équipe dirigeante d’Apple semble d’ailleurs s’attacher à donner une réalité opérationnelle et une visibilité plus forte, à chaque intervention publique, depuis la fin de l’été dernier.
Références externes
- reference #1
http://edmaguire.wordpress.com/ - reference #2
http://www.cnbc.com/id/31526815/