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Dans le bus à Buenos Aires

Publié le 31 mai 2009 par Notretour

Une histoire urbaine, racontée par Fanny Morère.

Buenos Aires est une ville qui part dans tous les sens. Avant de se lancer en colectivo (bus collectif), chacun doit d’abord potasser le Guia T pour comprendre comment circuler dans cette citée tentaculaire de 13 millions d’habitants. En fidèle compagnon de vadrouille urbaine vendu dans tout kiosko en format poche, le Guia T ne doit jamais vous quitter. Ces quelques 100 pages découpent la ville en carrés et y associe les lignes de bus au départ et à l’arrivée. Le jeu étant de trouver les bonnescorrespondances. Pensez bataille navale!

Nous prenons souvent le colectivo. Depuis leur arrivée, Nathalie et Rémi sont d’ailleurs devenus chasseurs de petite monnaie, une denrée très (très) rare et pourtant si nécessaire. C’est le seul moyen de payer son ticket de bus à Buenos Aires. Ils ont appris à user de stratagèmes savants pour conserver les pièces, les accumuler, les chouchouter dans leur porte monnaie. Pour 1,20 peso, le colectivo nous emmène à l’autre bout de la ville.

L’autre jour, nous traversons Buenos Aires en 152 ; un véhicule Merdeces vétuste rouge et bleu bruyant et extrêmement polluant nous conduit de Palermo Viejo jusqu’au Centro. C’est lors de ce trajet que j’ai rencontré Joël. Il m’a fait une place à côté de son cartable dodu. Joël a 6 ans. Il rentrait chez lui pour déjeuner en famille. J’engage la conversation quand je le vois interloqué par nos discussions qui semblaient lui paraître totalement incompréhensibles: “Holá, que idioma pensás que hablemos?” (Quelle langue penses-tu que nous parlons?). Joël a un regard malicieux. Il me répond: “Pienso que hablan guarani” (Je pense que vous parlez guarani). Le français ressemblerait-il au guarani, la langue partagée par les Indiens Guaranis du Paraguay, du Brésil, de Bolivie et ceux de la région de Misiones en Argentine. Je me dis à cet instant précis que ce petit garçon-là a beaucoup de choses à me raconter. Nous commençons notre discussion alors que le bus ne désemplit pas au fil des (multiples) arrêts, chacun ponctué par un gros nuage d’épaisse fumée. Nous parlons mathématiques, anglais et sciences naturelles, ces matières préférées. Il me raconte que sa maman cuisine des chipas pour les vendre dans la rue et que son papa construit des maisons. Il me montre son cahier de devoirs. Joël me demande: “Cuanto pensás que mi Mama gastó para comprarme todo para ir a la escuela?” (D’après toi, combien penses-tu que ma Maman a dépensé pour m’acheter mes fournitures scolaires?). Je ne savais trop que répondre de peur d’être maladroite. Alors, on a joué à chaud/froid pour arriver finalement à un total de 60 pesos, ce qui fait à peu près 12€, pour une trousse Spiderman usée et tous les feutres (moins quelques uns) qui vont dedans, un bas de survet bleu marine (avec un petit trou au genoux qui me laisse penser que Joël est peut être le futur Diego), un tee- shirt Superman, une blouse blanche, un sac à dos à soufflets, trois classeurs et un cahier. Je lui ai dit: “Tu Mama es una hada” (Ta maman est une fée). Il me répond fièrement: “No solo una hada sino mi heroína tambien“(Elle n’est pas qu’une fée, elle est aussi mon héroïne).

Arrive l’heure de notre arrêt, juste avant de traverser la 9 de Julio. Nous ne sommes plus très surs de la rue ou nous devons descendre. Je demande conseil à Joël qui semblait connaître cette ligne de bus par coeur. Il tente de sortir le petit plan de la ville qu’il avait dans son cahier. Je dois sauter du bus. Les adieux sont rapides. Je lui souris. Il me fait signe par la fenêtre. Je crois, qu’il a compris qu’il ne m’avait pas laissé indifférente.

A peine arrivé du Paraguay, Joël se rendait dans son nouveau chez-lui, dans la Villa 31, un bidon ville à 5 minutes du quartier chic de Recoleta, avec son Four Seasons et son Park Hyatt.

Histoire urbaine.


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