Une semaine après le scrutin, le politologue Peter BURSENS fait trois constatations, qui pointent toutes vers la continuité et la stabilité.
Les premiers jours qui suivent les élections voient pleuvoir les commentaires et les analyses quant aux causes des gains et des pertes, aux nouveaux rapports de forces et aux effets sur le contenu des politiques. Cette fois-ci également, l’on se focalise surtout sur le niveau flamand. A tort, parce que le niveau de pouvoir européen détermine chaque jour davantage les marges entre lesquelles les décideurs flamands doivent travailler.
Je l’admets : vouloir tirer, une semaine après les élections, des conclusions approfondies, est un exercice encore plus difficile pour le Parlement européen (PE) que pour un parlement national ou régional. A titre d’exemple, il faudra encore attendre quelques mois pour établir des données fiables sur les motivations de vote. Il vaut mieux dès lors s’abstenir (pour le moment) de grandes déclarations sur l’hypothèse selon laquelle les électeurs auraient rejeté massivement la stratégie anti-crise de la gauche et recherché un havre de sécurité auprès des démocrates-chrétiens. Par ailleurs, les rapports de forces réels au sein du PE sont largement fonction de la formation des groupes politiques et les danses nuptiales peuvent encore se prolonger quelque temps. C’est pourquoi l’impact sur les choix politiques du PE et donc de l’Union européenne (UE) dans son ensemble n’est pas encore tout à fait clair. Cependant, que pouvons-nous donc déjà constater une semaine après le scrutin ? En tout état de cause, trois éléments, qui pointent tous vers la continuité et la stabilité.
● Une fois de plus, les élections européennes ont été des élections nationales. Il n’est dès lors pas opportun de parler de grandes tendances européennes. Les gains et les pertes des partis nationaux vont en fait dans tous les sens. Même en l’absence de données sur les motivations de vote, l’on peut en conclure que le contexte national a joué un grand rôle. Même l’explication classique selon laquelle les partis au pouvoir perdent et les partis d’opposition gagnent se vérifie dans certains cas (Royaume-Uni, Espagne et Belgique francophone), et pas dans d’autres (France, Allemagne, en partie aussi Belgique flamande).
Il est vrai que les partis du centre-gauche perdent plus d’adeptes que les partis du centre-droit et certains partis conservateurs au pouvoir. Les partis eurosceptiques enregistrent dans certains pays des gains substantiels (Royaume-Uni, Pays-Bas), mais le mouvement Libertas, en revanche, ne décolle pas, même pas en Irlande, sa terre d’origine. Les partis verts marquent quelquefois des avancées fortes (France), mais ne réussissent toujours pas à s’implanter dans les « nouveaux » Etats membres. L’image des partis libéraux est tout aussi contrastée.
Bref, nous pouvons à juste titre nous demander si nous pouvons dès lors parler d’élections « européennes » et, par conséquent, de tendances européennes. En outre, les glissements de voix nationales ne se traduisent en glissements sensibles des nombres de sièges que dans les grands pays. En Belgique, par exemple, ces déplacements de voix sont importants, comme, par exemple, ceux du N-VA, du Vlaams Belang, d’Ecolo, mais cela ne se reflète pas dans les proportions respectives du nombre d’eurodéputés. En France, les différences en pourcentages représentent une diminution de moitié du nombre de parlementaires pour la gauche (de 28 à 14) et un doublement pour la droite (de 17 à 30).
● Quelle que soient les colorations nationale, voire régionale des élections européennes, un nouveau PE est constitué. La plupart des commentaires de la semaine écoulée indiquent que les démocrates-chrétiens entament la nouvelle législature en position renforcée et que le centre–gauche se retrouve dans les cordes. Mais est-ce bien le cas ? Il est incontestable que le groupe du centre-droit du PPE reste le plus important, même lorsque les conservateurs britanniques auront quitté le groupe. Selon la composition (provisoire) actuelle, le PPE comptera 36% des sièges contre 25% pour les sociaux-démocrates (en partant de l’hypothèse que les démocrates italiens se joignent au groupe). Ces proportions ne modifient toutefois en rien celles de 2004. Après les élections de 2004, le rapport était de 36 à 25.
Les autres groupes présentent à leur tour une remarquable stabilité : les libéraux perdent 1%, les verts gagnent 2% et la gauche radicale maintient le statu quo. Seul le nombre d’eurodéputés qui n’a pas encore opté pour un groupe est provisoirement nettement supérieur. Lorsque, dans les semaines qui viennent, ils auront choisi leur groupe, les rapports de forces pourront encore bouger légèrement. Toutefois, le fait qu’il s’agit surtout de parlementaires eurosceptiques n’aura guère d’incidence sur les proportions respectives des grands groupes.
La principale conclusion à tirer est que le centre-droit, tout comme au cours des cinq dernières années, est condamné à collaborer avec le centre-gauche. Il s’agit en l’occurrence de la seule majorité stable (447 sièges sur 736) qui puisse être formée. Cette situation ne diffère en rien de celle de la précédente législature. Les conséquences pour le contenu des politiques sont dès lors minimales. La position du PE se traduira, au cours de la prochaine législature, presque toujours par un compromis entre le PPE et le PSE, avec une légère inclinaison vers le centre-droit.
● La stabilité du PE induit la stabilité du système européen dans son ensemble. La position renforcée du centre – droit portera à nouveau Barroso à la tête de la Commission européenne. Il est probable que la Commission comptera au total une majorité de commissaires du centre-droit. Cela traduit aussi les rapports de forces au sein du Parlement. En outre, le Conseil des ministres est également peuplé en majorité de représentants de partis et de gouvernements de centre-droit.
On ne doit pas davantage s’attendre à des glissements spectaculaires au sein du Conseil, parce que cette institution, plus encore que le PE, constitue une addition des rapports de forces nationaux.
En d’autres mots, si le PE est très stable, cela vaut aussi pour les autres institutions. On ne doit donc pas s’attendre à des changements profonds dans les domaines politiques qui relèvent de la compétence de l’UE. A l’instar des cinq dernières années, la Commission prônera, sur le plan socio-économique, la poursuite de la libéralisation. Le PE arrondira les angles et fera en fin de compte des compromis avec le Conseil qui situeront les politiques à nouveau aux alentours du centre.
Les élections européennes ont-elles donc été un coup pour rien ? Certainement pas. La légitimité
démocratique de l’UE est déterminée dans une large mesure par les élections directes pour le PE. Leur importance est donc cruciale. Il est tout aussi vrai que le caractère national des élections
et l’architecture institutionnelle complexe de l’UE n’entraînent qu’un impact limité des élections sur le contenu des politiques. La continuité et la stabilité sont en quelque sorte inhérents à
la nature du système européen. Cela n’est peut-être pas une bonne nouvelle pour tous ceux qui ne se situent pas au centre du spectre politique. Seul
un glissement substantiel et simultané dans la même direction dans un grand nombre de pays pourra faire changer de cours le lourd navire européen.
Jusqu’à nouvel ordre, ce sont les familles politiques classiques, en particulier les démocrates-chrétiens, qui portent le sceptre dans l’enceinte du PE et, par voie de conséquence, dans
l’ensemble du système politique de l’UE.
Peter
BURSENS