Comment, quand on n’a rien à dire, susciter l’intérêt des médias ? La recette est éprouvée. L’ingrédient de base est une grosse dose d’évidence bien pâteuse, que l’on aplatit encore fortement. Prenez quelques pincées de risque pour la santé de publics fragiles : bébés, femmes enceintes, malades. Rajoutez un zeste de risque : après tout, nous sommes bien dans la « société du risque » chère à Ulrich Beck, une société « iatrogène », qui se rend malade elle-même, une société polluée qui continue sans cesse à inventer des dispositifs de dépollution. Mélangez avec une lampée de suspicion et de théorie du complot (« on nous cache tout »). Faites flamber le tout avec quelques phrases choc. On obtient : « les malades du cancer ne doivent plus boire de l’eau du robinet ». Pour ne pas laisser le public trop angoissé, arroser d’un petit peu de sucre de solution miracle ; cela permet de passer pour un sauveur, quelqu’un qui sait les comportements à adopter. La mode est justement aux comportements responsables et écologiques. La presse à sensation adore, cela fera vendre du papier. Dans ces temps de crise, c’est si rare. L’éditeur adore : on parlera du livre. Et puis le polémiste est heureux : à moindre frais, il se donne l’image de défendre le faible. Mais le succès n’est assuré que si la thèse est à contretemps de ce que pensent les spécialistes : choqués, ceux-ci chercheront à montrer en vain les erreurs, et il sera facile d’attirer les rieurs et les suspicieux de son côté. On peut donner d’ailleurs quelques concessions aux spécialistes pour avoir l’air modéré dans les débats télé.
C’est ce genre de recette que vient de nous servir David Servan-Schreiber et WWF-France.
De quoi s’agit-il ?
Le site du WWF- France nous propose un condensé du communiqué de presse.
L’évidence bien plate : Boire une eau de mauvaise qualité n’est pas bon pour la santé. Or, l’eau est de moins bonne qualité quand les municipalités ont insuffisamment investi ou renoncé à utiliser les dernières technologies de traitement et de filtrage.
Le public fragile : « les personnes malades du cancer ou qui sont passées par la maladie doivent bénéficier d’une eau potable de qualité irréprochable au nom du principe de précaution. De nombreuses études établissent des liens entre cancer et polluants de l’eau. »
Le zeste de risque : « En France, la qualité de l’eau varie selon les régions et selon les périodes de l’année, en raison de l’activité agricole. De fait, des personnes fragilisées peuvent être exposées sans le savoir à des taux de nitrates et de pesticides supérieurs aux normes. De plus, les normes de qualité n’ont pas évolué malgré les nouvelles connaissances sur des polluants à effet hormonal (certains pesticides, certaines hormones, le bisphénol A...) ou sur la présence de dérivés médicamenteux. »
Le sucre de la solution magique : « Il convient donc de prendre des précautions. Nous conseillons aux personnes malades du cancer ou qui sont passées par la maladie de ne boire quotidiennement de l’eau du robinet que si elles sont sûres de sa qualité, et sinon de s’équiper d’un filtre de qualité ou de boire de l’eau en bouteille. Ce sont des solutions de court terme qui demandent à être appliquées de façon précise : il faut respecter le mode d’emploi pour les filtres et recycler les bouteilles. »
La concession à l’égard des experts : « L’eau du robinet est en général de bonne qualité en France si l’on prend comme critères d’évaluation les normes réglementaires. » Globalement, les normes françaises permettent de proposer au consommateur une eau de qualité suffisante partout.
La controverse a pris ; il est probable qu’elle durera peu, car elle est de peu d’intérêt.
Le Journal de l’environnement en fait une bonne synthèse. Le ministère de la santé a rappelé que les contrôles réalisés étaient sérieux et que l’eau en France respecte très largement les normes européennes. Monique Chotard, du Centre d’information sur l’eau, a dit sur LCI : « Il n'est pas vrai de dire que l'eau du robinet n'est bonne que dans les grandes villes (...) On peut boire de l'eau partout, sauf si on vous dit de ne pas en boire. Cela arrive, il ne faut pas être angélique mais l'eau est bonne à 99,5% ». Les écologistes de France Nature Environnement rappellent que la solution miracle est extrêmement discutable : « Or si ces polluants sont en effet relevés dans l’eau du robinet, il est à noter que l’eau de source en bouteille est le plus souvent prélevée dans les mêmes nappes phréatiques, et peut elle aussi contenir un certain nombre de polluants. Deux études scientifiques de mars 2006 et de novembre 2008 soulèvent également la question de la migration du plastique de la bouteille vers l’eau, de substances nocives comme l’antimoine (un métal toxique retrouvé à des concentrations 95 à 165 fois plus élevées que dans l’eau du robinet) ou de perturbateurs endocriniens. Par ailleurs, la composition précise de l’emballage alimentaire de l’eau en bouteille n’est pas connue du fait du secret industriel : ni les consommateurs, ni l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments qui autorise pourtant la mise sur le marché des produits, n’ont l’information requise pour une consommation en toute transparence. ». On retrouve aussi des militants hostiles à la marchandisation de l’eau par les sociétés d’eau en bouteille, comme l’ACME.
On a déjà longuement traité ici de cette polémique entre eau en bouteille et eau du robinet :
Bien entendu, l’eau du robinet peut ne pas être parfaite. On imagine bien que si les équipements sont insuffisants, il peut arriver que l’eau ne soit pas aux meilleurs standards. Mais il y a des contrôles réalisés régulièrement par le ministère de la santé et ils sont sérieux.
Bien entendu, l’eau en bouteille est soumise aux mêmes risques que l’eau du robinet. Les nappes phréatiques peuvent être tout autant contaminées pour l’eau en bouteille que pour l’eau du robinet. Le moyen de distribuer l’eau, la bouteille en plastique, peut la souiller. Les contrôles ne sont pas complètement transparents.
Bien entendu, les filtres à eau ne sont pas à la hauteur pour gérer les questions de résidus médicamenteux ou de micro-particules évoqués par David Servan-Schreiber. Si les remèdes étaient si simples et si peu coûteux, ils seraient mis en place.
Au final, le constat proposé par David Servan Schreiber est d’une banalité évidente : La qualité de l’eau est globalement bonne en France, mais cela dépend un peu des régions et des dispositifs mis en place pour la traiter. Il est aussi très probable que boire une eau de mauvaise qualité est dangereux.
La conséquence ? Les solutions proposées sont un peu courtes, comme on l’a vu. Il faut penser la question de l’eau de façon globale et pas seulement en spécialistes (en intégrant la question agricole et industrielle). Il faut continuer à faire de la recherche pour imaginer des solutions innovantes pour traiter l’eau prise dans le milieu tout autant que celle qui est rejetée. Il faut inventer des procédés pour détecter les impuretés notamment toute cette gamme de résidus médicamenteux (dont la nocivité resterait à évaluer par ailleurs) que l’on commence à savoir identifier. Il faut créer des bouteilles dans des matériaux mois nocifs.
Tous ceux qui connaissent un peu le sujet de l’eau sont à peu près d’accord sur ces quelques remarques de bon sens. Alors pourquoi cette polémique un peu inutile ?