Quand les livres vous tombent des mains les uns après les autres, quand, pourtant doté d'une volonté sans faille, vos yeux se ferment sur des pages insipides, quand vous râlez, pestez, fustigez contre ces livres aux clichés racoleurs, contre ces livres nombrilistes, gnangnans, mal traduits, coquillifiés, et que sais-je encore, dans ces moments là, donc, rien ne vaut un bon vieux Fredric Brown pour pallier à ce qui n'est, peut-être, qu'une baisse de régime de votre part.
Alors après cette première phrase un peu longue qui vous a à peine laissé le temps de respirer, je me propose de vous parler de ce livre ébouriffant, La Fille de nulle part.
George Weaver se remet difficilement d'une dépression l'ayant obligé à cesser temporairement son activité d'agent immobilier. Il s'est retiré à Taos, une petite bourgade du Nouveau-Mexique. Seul. Ses filles sont en colonie de vacances et son épouse, Vi, ne devrait pas tarder à le rejoindre. George n'est guère enchanté à cette perspective. Il n'aime pas cette femme séduite à la va-vite dont la principale occupation est d'écouter des feuilletons radiophonique à l'eau de rose, avachie dans un canapé avec sa bouteille de Whisky. Oui, George préfèrerait rester seul. D'autant que sur les conseils d'un ami, il vient de louer une maison dans laquelle a eu lieu le meurtre énigmatique d'une jeune femme, huit ans plus tôt. Une affaire à laquelle George s'intéresse de plus en plus, jusqu'à se piquer au jeu de l'enquête.
A la lecture d'un polar, on a l'habitude d'échafauder des hypothèses, d'anticiper sur l'investigation à mesure que les indices se dévoilent. Là, on a beau faire, Fredric Brown, en artiste virtuose, ne laisse rien filtrer. Il maintient le lecteur dans une brume mystérieuse tout au long du récit jusqu'au dénouement, jusqu'à cette chute mémorable, magistrale. (Parenthèse presque rituelle : il est tout de même dommage, une fois de plus, que la quatrième de couverture - quand ce n'est pas la couverture elle-même pour ce qui est des éditions de la Découverte - donne des pistes qu'il aurait mieux valu tenir secrètes.)
Ecrit en 1951, La Fille de nulle part, fait partie de ces livres qu'on a envie de faire passer de mains en mains, de conseiller à tout va, parce que des histoires de cette trempe là, de cette tenue, aussi efficace qu'enthousiasmante, on a tout simplement l'impression d'en lire de moins en moins.
Alors si vous êtes en panne de lecture, que ce petit frisson à même de vous laisser pantois et tout ébaubi vous manque, vous savez ce qui vous reste à lire.
La Fille de nulle part, Fredric Brown, traduit de l'américain par Gérard de Chergé, Rivages (Rivages noir), 256p.