Magazine Journal intime

Ma toute première "rencontre" avec la sclérose en plaques.

Par Handiady
(Je ne parle pas ici de mes premiers contacts avec d'autres malades une fois que moi-même j'ai été atteinte.)


Je parle de la rencontre première, de celle qui a fait écho lorsque mon diagnostic a été posé, et qui a sans doute influencé ma façon de voir la maladie, la SEP en particulier, mais aussi une vie avec un handicap. Celle qui a contribué à me forger mon courage.


La première personne touchée par la maladie était une voisine d'immeuble. Elle devait avoir fin trentaine ou début quarantaine lorsque je l'ai côtoyée.
Enfant, j'ai grandi dans un quartier très populaire (très déconsidéré, car ses habitants n'étaient pas riches, et parce que certaines familles y résidant avaient de gros problèmes sociaux, dont une où les 9 enfants nés de parents maltraitants et alcooliques ont été tous en prison
ou presque, pour vol et agression...) Un quartier HLM (nan, pas "Haut Les Mains"!) , mais pas de tour, un pâté d'immeubles de début du siècle, très sympas, architecture superbe avec de grandes arcades, avec une cour intérieure gigantesque, une aire de jeux très humble, et surtout: des cerisiers japonais, notre fierté! Tout ça à 15 minutes à pied du centre ville et du quartier touristique huppé. Autour de cette "cité" particulière, 2 gendarmeries. On allait en cours avec les fils et filles de gendarme, carte scolaire oblige. Et parfois, on était bien meilleurs qu'eux en classe hihi, malgré leurs cours particuliers payés par leurs parents, malgré les conditions plus difficiles de nos vies, nous autres gamins d'ouvriers ou de petits cadres.
Un quartier que j'ai tour à tour détesté, à cause de l'image qu'en donnaient nos voisins plus riches, puis adoré, et j'y vivrais encore si le fauteuil roulant ne m'avait pas forcée à déménager.
Un quartier où les gens se connaissent tous, se parlent, s'entraident, et mon immeuble était sans doute le plus convivial, et la plupart de mes voisins étaient extras, des gens qui travaillaient dur et ne s'apitoyaient pas sur leur sort.
J'étais petite (je ne sais plus trop quel âge) lorsque ma mère a commencé à m'emmener rendre visite aux personnes auxquelles elle tenait, souvent des voisines malades, seules. Une sorte de tournée étrange qui a contribué à forger mon caractère. A Noël, par exemple, on confectionnait avec amour de délicieux petits gâteaux, on faisait de petits paquets soignés avec de magnifiques rubans, je bricolais des cartes, et puis on sortait les offrir à ceux qui étaient seuls ou malades à Noël. Ma mère prenait son temps et offrait son écoute. D'une douceur et d'une patience d'ange. Moi, je l'accompagnais (c'est moi qui remettais le chtit paquet, parfois c'était pas évident, genre la mamie qui pique et qui insiste pour vous faire la bise, mais je comprenais que cela lui faisait plaisir, à la mamie en question et voyais ses yeux pleins de larmes, son visage illuminé d'émotion et de plaisir, c'était ma récompense). Puis je me tenais bien sagement à côté de ma mère, écoutais, apprenais...
Ma voisine qui avait la SEP:
elle habitait au rez-de-chaussée de mon immeuble qui comptait 10 appartements.
C'est la personne à qui nous avons, maman et moi, rendu le plus de visites. Je ne l'accompagnais pas toujours, mais lorsque cela arrivait, j'éprouvais à la fois de la joie, car la voisine ne sortait guère, et c'était l'occasion de la voir, et de l'appréhension, en même temps, car je sentais bien que ce cas-là était particulier. Le nom de la maladie m'était donc familier. La plupart du temps, maman lui apportait de la lecture (notamment ses propres livres et magazines dès qu'elle les avait finis). Et elles parlaient. J'ai le souvenir de cette jeune femme brune, avec des lunettes, très mince, à la peau très blanche, alitée la plupart du temps, la voix éraillée, tellement triste malgré ses sourires courageux. Elle pleurait, parfois, et là ma mère me faisait sortir, me disait d'aller jouer... Je partais, à la fois soulagée et triste (car j'aurais aimé la consoler).
Cette mère de famille devait avoir une forme de SEP pénible, ou bien elle avait du mal à affronter le regard des autres, car on la voyait très peu. Elle était maman d'une fille, Carole, plus âgée que moi, et d'un garçon, Raymond, de 2 ans mon aîné et que je taquinais avec ma voisine de palier. On formait une bande de gamins (sages bien que facétieux!) qui passait son temps à papoter et à rire, à pratiquer des jeux et du sport, bref, une enfance normale et saine, non loin d'une magnifique rivière, de jardins familiaux superbes, beaucoup de nature à 2 pas.
Le père de Carole et de Raymond, dans mon souvenir, était tout dévoué à son épouse bien qu'en grande souffrance à cause de la maladie de celle-ci. Les enfants, eux aussi, me paraissaient marqués, mais ils étaient, du coup, plus mâtures, plus sensibles... Je ne saurais dire à quel point et dans quelle mesure ils ont souffert/vécu la SEP de leur maman.
Je me rappelle avoir été étonnée et heureuse lorsqu'un jour je l'ai vue debout, habillée, sortir de son appartement. C'était si rare, et puis j'avais bien intégré le fait qu'elle ne pouvait pas marcher par moments. Ces moments de rémission étaient rares, hélas, si je me rappelle bien. Je la croyais guérie et exultais! Et ma mère démentait, m'expliquait que non, on ne guérit pas de cette maladie...
Je n'ai que mes souvenirs de petite fille qui voyait une si gentille dame très courageuse qui souffrait...
Je ne saurais même pas vous dire le nombre d'années qu'elle a vécu avec sa SEP, ni à quel âge elle est décédée... Je vais demander à Carole, si elle en a envie, de m'en faire le récit, et avec sa permission, j'en ferai peut-être un article-témoignage.
Ce que je retiens de ce premier contact avec cette maladie qui allait devenir la mienne aussi, c'est que l'on tient le coup quand on est bien entouré. Que la vie continue. Qu'on peut apprécier malgré tout de bons moments.
Alors, Carole, si tu lis ce texte, sache que c'est avec beaucoup d'émotion que je repense à ta maman, et que l'image qu'elle a donné de la SEP est très digne, et que sa façon de se montrer à moi lors de mes visites ne m'a pas traumatisée, au contraire, elle m'a fourni de la sérénité et du courage pour affronter ma propre SEP. J'embrasse ta maman très fort, je lui rends hommage, elle demeure dans mon coeur.
PS: j'ai eu le plaisir de retrouver Carole grâce à internet il y a quelques temps, et Raymond grâce à des retrouvailles fortuites car il passait par chez moi pour rentrer du boulot. (et a été très ému que je sois atteinte de SEP, pas mal de souvenirs ont dû l'envahir) Tous les 2 ont splendidement réussi leur vie, ont des enfants épatants. Et pas de SEP en vue dans la famille, ouf!
Nous prévoyons de joyeuses retrouvailles avec les autres anciens du quartier!!!
Je me fais une joie particulière de retrouver Carole et Raymond, car il y a ce fil particulier, celui de leur maman, de sa SEP, et de ma SEP, qui nous lie, quelque part, désormais...
*Première parution le 23 mars 2007*

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