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Internationales Autorenfestival (1) DRITTE GENERATION sans langue de bois

Publié le 27 mars 2009 par Steffi
Internationales Autorenfestival (1)  DRITTE GENERATION sans langue de bois"Creuser bien profond et se salir" disait le "motto" du festival. Pas de doute Yael Ronen y a mis les deux mains et les tripes, remuant la terre encore fraiche de l'histoire germano-israélo-palestinienne. EXPLOSIF. "Dritte Generation" (la troisième génération) sonne comme une thérapie de groupe abrasive, une logorrhée violemment réjouissante. Puisque cette histoire est si délicate, sensible, violente, ne restons surtout pas muets semble s'être dit la jeune metteur en scène israélienne. Déversons nos flots de préjugés, de ressentiments, convoquons les morts, les victimes et les bourreaux, n'érigeons aucun tabou, dérangeons le public. Pour cela elle travaille depuis un an avec dix acteurs trentenaires Allemands, Israéliens, Palestiniens. Leurs histoires personnelles ont servi de terreau à l'exhumation de la grande histoire. Ils sont la troisième génération, leurs grands-parents sont les référents, ceux qui ont vécu l'Allemagne nazie, la Shoah ou la Naqba. Comment vivent-ils aujourd'hui un passé lourd et toujours présent, comment se définit-on par rapport à l'histoire de son pays, à quel point est-elle subie, digérée, instrumentalisée, comment peut-on dès lors regarder l'autre à travers ce prisme imposé?
Avant que la pièce ne commence, Neils apparait seul en scène, crée une connivence avec le public allemand et s'excuse. "Au nom du peuple allemand" pour l'Holocauste et tout le reste. Y a t-il des juifs dans la salle? Oui. "Je voulais particulièrement leur souhaiter la bienvenue ce soir". Y a t-il des Turcs dans la salle. Oui, "je voulais m'excuser pour les conditions d'accueil des Gastarbeiter". Des Roms? Des homosexuels? La dernière volée d'excuses sera pour les "citoyens de l'Est". "Ne soyez pas effrayés si la majorité de la pièce est en anglais. Nous avons mis des surtitres pour vous. J'espère seulement qu'ils ne défileront pas trop vite..." Eclats de rire. La culpabilité allemande en guise d'introduction. Dès lors le détournement de politiquement correct, l'accumulation de clichés pour mieux en rire, seront les moteurs de la pièce. On y entendra tout et son contraire. Et autant énoncer clairement toutes les idées reçues, les pensées racistes les plus grossières mais aussi les plus refoulées. Ces acteurs ne sont pas là pour dire LA vérité mais les ressentis de chacun, les visions forcément différentes, souvent opposées. Les premières générations se sont trop tues, hurlent ces trentenaires. Ou alors ont parlé à coups de propagande. Voilà enfin l'occasion de se dire en face les pires horreurs. Sur scène les dix chaises en arc de cercle semblent forcer ces dix personnes à s'écouter et se regarder. Quand les propos se font trop violents, certains tournent le dos. Cette confrontation semble la seule issue salvatrice. En se heurtant les mots semblent s'effriter, perdre leur pouvoir de propagande, redevenir expression. Mais il n'en sortira aucune vérité. Comme si l'on pouvait encore discuter des jours et des jours sans jamais parvenir à comprendre totalement l'autre. Mais l'empathie est-elle possible, souhaitable finalement? Ne fait-on pas trop souvent semblant de comprendre? Dans un long monologue Orit, une des actrices israéliennes, tente d'articuler tous les arguments en un seul discours. Tout s'effrite, rien ne tient et pourtant tout est vrai. C'est là aussi que le théâtre entre en jeun. Yael Ronen ne laisse jamais les arguments s'éterniser. Une pirouette, un trait d'humour, une grimace finissent toujours par nous libèrer de la violence des mots. Exemple.
"Les juifs orthodoxes détestent les juifs sionistes; les juifs sionistes détestent les Arabes. Les Arabes détestent tous les Juifs. Les arabes musulmans détestent les arabes chrétiens. Les Européens détestent les musulmans - et les juifs! - et le monde entier déteste les Allemands, MAIS vous devez vous rappeler que même les Allemands sont des êtres humains, exactement comme les Belges...."
Niels Brosman est absolument hilarant en bouc émissaire allemand, y compris de sa propre communauté, Ayelet Robinson parfaite en adolescente isralienne qui visite les camps de concentration en Allemagne "Auschwitz c'est vraiment le mieux, Treblinka il n'y a plus rien à voir" et chante les louanges de l'armée israéllienne à la guitare. "
La pièce avait fait scandale à Tel Aviv. A Berlin, un représentant de la communauté juive vient de demander à la Schaubühne d'annuler les représentations. Sans avoir vu la pièce. En tant que survivant de l'Holocauste Isaak Behar se sent insulté, estimant que la création artistique doit aussi avoir des limites. "Ne peuvent-ils pas attendre encore quelques années que les derniers survivants de l'Holocauste aient disparu"? Dritte Generation ne parle pas d'autre chose. Et a choisi de ne plus se taire, ni d'accepter le chantage historique des ainés. "La grande force de ce travail c'est qu'il convertit en mots tout type de position" clame Thomas Ostermeier, patron de la Schaubühne. La parole qui en émerge est libre, et forcément violente. Mais blessante, non. Le public n'est pas non plus en reste. On lui hurle du "nazis" à la face, on lui demande ce qu'il vient chercher là, en regardant cette troupe si joliment estampillée "interculturelle"? Eux-même ne jouent-ils pas dans cette pièce pour leur carrière et l'argent alors que la guerre a toujours lieu là-bas? Malaise.
Je me souviens de cette pièce d'Akram Khan, Bahok cet été qui partait de ce thème, de l'autre, de l'exil, de la confrontation, et nous emmenait dans les chemins très policés du "multikulti" comme ils disent ici. Akram Kahn avait opté pour une version sans saveur, proprette du choc des cultures et des histoires. Ici nous sommes à l'opposé. Il n'y a finalement pas de solution, ni de happy end. Juste un déversement de discours qui existent et qu'on regarde pour un fois en face, en une unité de lieu. Récemment je me suis retrouvé dans un vieux bar de quartier Kreuzberg où, pour une fois à Berlin, toutes les communautés se cotoyaient autour d'une bière et d'un baby foot. Palestinien, Libanais, turcs, allemands, africains. Les uns et les autres se bousculaient dans un espace minuscule. Ils se connaissaient tous. Et se détestaient cordialement. Un Palestinien me sort "ich hasse Nigger" en voyant passer un noir à côté de nous et en me montrant sa longue cicatrice qui lui court sur l'avant-bras. Un Libanais athée (c'est lui qui précise) vient me mettre en garde après que j'ai parlé à une vieux théatreux berlinois et dont je n'ai pas tout de suite noté la croix de David autour du cou. "Ne lui parle pas, il n'est pas réglo" me glisse t-il. Ainsi va le monde me suis-je dit. Ces gens se détestent, le disent tout haut, et en même temps viennent boire tous les samedis soirs dans le même endroit. C'est déjà un début.
"Dritte Generation"
de Yael Ronen & the Company
Avec : Knut Berger, Niels Brosman, Karsten Dahlem, Ishay Golan, George Iskandar, Orit Nahmias, Rawda, Ayelet Robinson, Judith Strößenreuter, Yousef Sweid.
La pièce est encore jouée ce soir à 21h. Autres représentations les 3, 4 et 5 avril, 20h, 6-28 euros.
Photo
© Heiko Schäfer

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