Magazine
Gymnastique linguistique. Hier soir la pièce Todo, de l'argentin Rafael Spregelburd était en espagnol, sous-titrée en allemand, SAUF la voix off, très importante qui pour cette version à la Schaubühne a été traduite en... allemand. Mon cerveau doit choisir, se concentrer sur l'espagnol enfoui sous les couches de germain et d'english, hésiter à lire les mots qui défilent en allemand, remettre ses neurones en ordre pour renoncer à la fonction espagnol et revenir au mode "compréhension orale" de l'allemand. Bref un gros micmac qui ne m'a pas facilité la tâche pour recevoir cette pièce. Et POURTANT, je me suis laissée aller au ton absurde, burlesque, poétique, méchant, de Todo. Dans un entrelacs de discussions en apparence anecdotiques, Rafael Spregelburd, auteur argentin, également metteur en scène et acteur, perce à nu le non-sens d'une société argentine traumatisée par son expérience de l'ultra-libéralisme et de la dictature. Sprekgelburd pose trois questions en ouverture de chacune des scènes : Pourquoi un Etat crée une bureaucratie? Pourquoi tout art devient commerce? Pourquoi toute religion devient supersitition? Un peu large comme programme, et effectivement la dernière scène, au ton beaucoup plus lourd et dramatique, peine à se rattacher à l'ensemble. On dirait un post-scriptum, une pièce jointe. On retiendra surtout la première scène où trois collègues de bureau occupent leur temps et nourrissent leur ennui à coups de bavardages sans intérêt. Leur travail n'a aucun sens, mais dehors le chômage fait rage et l'inflation galope. La leçon d'économie via l'achat du manteau de Lidia est absolument délicieuse. Finalement seules la poésie et l'absurde peuvent nous détourner de cette quête de sens dans une société qui semble ne plus tourner rond. Voilà qu'ils se mettent à brûler des billets. Une folie s'exclame l'une des employées. Une libération aussi. Dans ce décor étriqué on se croirait chez Jérôme Deschamps. Avec trois fois rien de décor et un écran vidéo pour seul échappatoire, les cinq acteurs construisent une fable moderne et intelligente. Les voilà qu'ils quittent l'ambiance collègues de bureaux pour se retrouver autour d'un sapin de Noel. L'une des employées est là, coincée entre son ex-mari écrivain, philosophe attirée par des jeunes filles nubiles, et son frère artiste contemporain conceptuel arrogant et vénal. Autour d'eux gravitent deux personnages un peu hors course, quasi muets mais inoubliables dans leur gesticulations insensées. Omar le bureaucrate en shorts et Ai Shi la vraie-fausse coréenne évaporée laissent les deux coqs jouer au plus fin, au plus macho, au plus goujat. Comment s'y retrouver dans ce monde insensé? Comment avancer? Comment imaginer la suite? La réponse poétique ne tient plus. Dans une ultime scène très sombre, un jeune femme désespérée ne parvient pas à donner un nom à son enfant de 3 mois. La peur a gagné.