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POINT BARRE 6 - "Vie de M..."

Par Ananda
Sixième numéro de la revue de poésie contemporaine mauricienne.
Toujours la même présentation sobre, discrète, quoique attrayante : format A4, papier jaune clair, une petite photo de chaque auteur, des représentations picturales pour ponctuer les textes.
Toujours la même volonté de diversité et d'ouverture : des textes en français, en anglais, en créole (s) et même en chinois, des auteurs de l'Océan Indien (Mauriciens bien sûr, mais aussi Réunionnais et Malgaches) comme des auteurs venus d'horizons géographiques fort divers : chacun son style pour exprimer l'ardente difficulté de vivre.
Le texte d'introduction de Valérie Magdeleine-Andrianjafitrimo fait ressortir la "sourde inquiétude", "la récurrence des angoisses, des préoccupations, des points d'ancrage dans l'actualité" que recèlent tous ces textes, et signale fort justement en cette revue désormais incontournable "un cas exemplaire de la disparition progressive des anciens centres occidentaux où la parole poétique construisait ses normes et se donnait pour modèle au reste du monde" au profit d'"un monde pluriel ouvert aux quatre vents des mots". Point barre, n'hésite-t-elle pas à dire dans la foulée, "nous permet [...] une fois de plus, de prendre le pouls de la création contemporaine [...] dans l'irisation de ses genres".
Ce qui frappe, c'est  la richesse incroyable de ce numéro 6. En raison de ce fait même, ne pouvant citer chaque auteur, je ne m'arrêterai que sur certains, qui ont particulièrement capté mon attention : le puissant et dérangeant poème "Aurore, grisaille et blues", de Jean-Claude ANDOU ("A côté s'épanouit un crachat humain, / une expectoration visqueuse, grasse et gluante / comme une huître malsaine qu'on avale quand même"; ça vous bouscule, non ?), le texte en prose du Togolais Sénamé KOFFI ("Vivre nous cherche...Et nous sommes cachés !...Nous jouons encore..."; "Gagner ma vie !...Moi j'emmerde la France qui se lève tôt !"; "Rentrer dans l'histoire !.../ Pour quoi faire ?"; "Marronnons cette vie-là. Veillons !"), l'"aux autres", de l'excellent poète belge Arnaud DELCORTE ("L'amour s'est fait tout petit / Bien rangé poli et maniéré / Discipliné / Juste là quend on l'appelle sinon / VLAN !"), le "voyage" de l'Algérien Kenzy DIB qui "emménage à perpétuité / dans l'appel dérouté d'un soleil transparent",, "L'âme glauque" de Alain GORDON-GENTIL ("Je suis saôulé de solitude"; "mon île amère"; "Toi ma parole désemparée"), le "sac d'os" de mon ami Umar TIMOL ("un paysage engorgé de crépuscule" et "l'encre soyeux" des "larmes"), la "petite vie de mots" dans laquelle la réunionnaise C.BOUDET nous confie le rapport aux mots de son âme bléssée ("dans cette vomissure vous commencez doucement à guérir"), la dénonciation acérée, féroce du Mauricien Michel DUCASSE, qui nous brosse le portrait d'une Maurice des exclus plutôt saisissante ("Il scrute sa rue vide de poubelles et qu'on rafistole avant chaque scrutin"; "ce pays de faussaires"; "Dans le regard de ses mômes, il lit une révolte dure. Si dure à interdire..."), le très beau poème de Sylvestre LE BON, "A l'ordre du jour", qui évoque lui aussi, sans complaisance,  "les gestes frigides", "les pleurs asséchés des enfants" et "les lambeaus / Epars des corps", pour conclure impitoyablement  "Un peu de spleen peut-être / Car eux c'est moi / Mais pas l'inverse
/ [...] Une porte claque [...] Un chien aboie / Bonjour rien"), un autre de mes amis, le "dramaturge , poète et nouvelliste" Gillian GENEVIEVE, qui nous assène "le chemin regorge d'ossements / Et la vie / Est un miracle", la cruauté ("Blonde gauloise, un brin terne") de Zaffir GOLAMAULLY, le "Je suis une merde / je suis humus / Humaine" de la talentueuse poétesse française Cathy GARCIA, l'"Almanach posthume" du Haïtien J -J SONY ("la lassitude du soleil"; "j'existe où dansent les fracas d'ombre"; "et ces voix tatouées de misère"), le terrrible constat que fait Alex JACQUIN-NG dans son poème ("L'impuissance me tenaillant je regarde le ciel / Il n'y a nul seigneur pour entendre ma prière"), le "poème sans titre" fort désabusé de mon ami (virtuel) Yussuf KADEL ("Heureux / Au petit bonheur"), le remarquable poème de l'auteur malgache H.MAHAVANONA ("et je meurs debout, à moins que je ne dorme / avec ma gueule de bois de lendemain de cauchemar / ma tête abrutie par l'arithmétique têtue des fins de mois / et qui pourrit mes insomnies", et, pour clore cette liste, la "noze" (nausée)  créolophone du jeune "poète maudit" mauricien Tahir PIRBHAY ( "sa fer tro lontan / Ki mon perji lazwa viv / tro lontan / pu jir kimo trist").
Fidéle à son titre, l'ensemble a, on le voit, tonalité plutôt âpre.
Ces poètes - dont la majorité est, bien sûr, issue du Tiers-Monde -  OSENT. On a l'impression nette qu'ils cherchent à nous secouer, nous réveiller.
Oui, ce monde a quelque chose de pourri, de malsain, d'invivable. Non, il ne faut pas hésiter à exsuder, à faire sourdre cela dans ses vers !
Dérangeants ? Certes. Comme tout ce qui vous crache la vérité en pleine figure.
Décapants ? Mais n'est-ce pas le monde actuel lui-même qui est corrosif ?

P.Laranco.

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