Magazine Humeur

Interview Primo de CharlElie

Publié le 08 juillet 2009 par Drzz
CharlElie, bonjour, merci d’avoir accepté cet entretien. Nous sommes normalement à quelques jours de la conclusion du procès des assassins d’Ilan Halimi. Ce drame t’a inspiré une chanson « Ballade pour Ilan ». Dans quel état d’esprit étais-tu quand tu as écrit cette chanson ?

CharlElie : J’étais dans un état second. Je ne voulais pas admettre. Chaque vie qui s’efface est une lumière qui s’éteint.


Tu te souviens de l’endroit où tu étais quand tu as appris la nouvelle ?

CharlElie : Le moment de l’enlèvement est assez flou, mais je me revois encore à mon bureau à New York, quand j’ai appris le dénouement qui, lui, m’a procuré une sorte de haut-le cœur.


Tu y parles de « Juif ordinaire ». As-tu l’impression que les juifs ne sont plus « ordinaires » aujourd’hui ?

CharlElie : Le deuxième couplet démarre par « je suis un homme ordinaire »… Je voulais parler de cette humilité qui fait l’humanité.


Le crime contre Ilan n’est pas ordinaire non plus. Est-ce que cette sauvagerie, cette complicité des membres du groupe, cette inconscience, est-ce que cela t’a fait peur ?

CharlElie : Ce crime collectif cruel a jeté la honte sur la conscience de l’Homme. Faut-il être à ce point bête et méchant pour faire ce qu’ils ont fait. Les actes inadmissibles de ces imbéciles tortionnaires m’ont sidéré, mais j’avoue que les erreurs répétées de la police, incapable d’éviter le pire, m’ont aussi fait peur...


A ton avis, sans refaire l’Histoire depuis Abraham, à quoi est dû ce mépris continuel du Juif ?

CharlElie : Je pense que de même la culture juive inspire un mélange de fascination (pour l’assiduité et les pratiques religieuses) de même elle inspire une certaine crainte, parce qu’on ne la comprend pas sans la foi.

Cette conviction des fidèles est assez imperméable pour ceux qui ne l’ont pas. Ces sentiments complexes et antinomiques se traduisent par une forme primaire de rejet qu’on ressent effectivement parfois comme du mépris, c’est vrai.


Tu vis aux Etats-Unis. La place des Juifs est peut-être différente. Tu ressens une évolution sur ce sujet ?

CharlElie : A New York, être Juif n’est pas une question. Le communautarisme fait partie des valeurs de liberté auxquels les Américains sont très attachés. Aux Etats-Unis on ne parle pas d’assimilation. L’intégration se fait en respectant les lois civiles.


Quand tu parles de « Juif ordinaire », je pense, moi, à Israël. Qu’est ce que t’inspire cette remise en cause perpétuelle de son existence ?

CharlElie : Dans sa définition territoriale actuelle, Israël est un pays jeune dont les frontières restent malheureusement encore aujourd’hui assez indéfinies. Certains imaginent qu’en refusant un dialogue, en se plongeant dans le refus, on évite le conflit et la dispute.

C’est à mon avis tout le contraire : feindre d’ignorer une question, ce n’est pas y répondre. Israël existe depuis le 14 Mai 1948, c’est heureux, et nonobstant les troubles que cela engendre, c’est toujours heureux d’y penser.


Comment pourrais-tu te situer dans ce conflit israélo-palestinien sans fin ?

CharlElie : Je ne suis pas un homme politique, je suis un humaniste. Je pense que l’homme a droit à la dignité. Si l’on atteint à son honneur ou à celui de ses proches alors se réveille en lui un autre lui-même qui n’a rien à perdre. Je voudrais qu’Israël reconnaisse la Palestine comme je voudrais que la Palestine reconnaisse Israël.

J’espère qu’un jour une routine légale s’installera dans les relations diplomatiques comme entre deux Etats voisins animés par des intérêts communs plutôt qu’un rapport de force ruineux entre fanatiques religieux et peuples civils innocents.


La France vit de plus en plus dans une société communautarisée, sectorisée. On ressent ici une société bloquée. J’ai suivi ton parcours aux aspects multiples. Je ne sais vraiment pas dans quelle catégorie un fonctionnaire de la DRAC ou de la SACEM pourrait te cataloguer. Ca doit leur donner des sueurs froides, non ?

CharlElie : En effet on m’a souvent dit que je marchais en dehors des sentiers battus, cela voulait dire qu’on me faisait passer par les chemins de traverses, mais cela voulait aussi dire qu’on me poussait dans le fossé en dehors de la ligne.

Entre fossé et fosse commune, il n’y a qu’un coup de pelle en effet. Je suis un artiste ému depuis toujours par des sentiments en effervescence. Mes adversaires ont eu tort de ne pas me faire confiance, car plus on me fait du mal, plus je me rebelle. Comme je l’ai fait en écrivant cette chanson, ma vie est une suite d’actions et de réactions.


Tu n’aimes pas être mis dans une case, apparemment.

CharlElie : Le mot case est encore un peu gentil, je dois être un peu claustrophobe, je n’aime pas me sentir enfermé dans un tiroir qui ressemble a un cercueil. Néanmoins depuis le début comme un mineur taillant la pierre dans une carrière, au-delà des jeux de mots et des apparences, je continue la même démarche, allant dans la même direction avec constance et détermination…

La société actuelle, au contraire, recherche cette catégorisation à outrance et se met dans des ghettos. La société actuelle va vite, très vite. Elle préfère des choses simples, immédiatement consommables.


Pourquoi l’être humain est-il aussi pantouflard et en recherche perpétuelle de sécurité ?

CharlElie : L’envie de sécurité saisit d’abord ceux qui se sentent menacés. Il y a deux aspects dans ta question : d’une part l’homme occidental a atteint un certain confort qu’il ne veut pas voir se dégrader, d’autre part, nous ne sommes plus en période d’expansion des richesses. L’ère nouvelle dans laquelle nous entrons est une ère de re-structuration sur une planète dont il faut aujourd’hui admettre les limites (sachant que pour autant la croissance démographique reste constante).


Cette liberté que tu t’octroies par rapport aux systèmes artistiques industriels ou d’Etat, tu la payes cher ?

CharlElie : Je reconnais que je suis riche à l’intérieur, mais il n’en va pas de même pour la vie matérielle que je donne à partager aux miens. A New York, je circule à vélo, je vis un peu au jour le jour, je fais attention à ce que je dépense car je réinvestis dans mon travail l’essentiel de l’argent que je gagne. Je n’ai pas une grosse marge de manœuvre.

Mais j’habite aussi dans une ville dans laquelle ce qui compte c’est avant tout d’avoir un projet… et la vie de ceux qui travaillent peut changer en très peu de temps.


Tu parles souvent d’absolu. Eglise, doctrines, systèmes politiques, religions. Toutes ces choses sont des recherches d’absolu. Pourquoi faut-il que cela dégénère en « exclusion » ? Je pense à l’islamisme, avec lequel je ne confonds pas l’Islam, mais pas seulement. L’Histoire nous en a livré des paquets.

CharlElie : Les prosélytes et autres missionnaires se donnent la charge de convertir à leur croyance les profanes, hérétiques et mécréants. Ils pensent qu’ils ont raison, qu’ils détiennent le secret du Bien et nient ceux qui ne pensent pas comme eux. (Quand j’emploie le mot « nier », je fais aussi allusion aux « négationnistes » qui sont une injure à la morale de l’Histoire).


Revenons à Ilan. Même la sentence la plus lourde n’empêchera pas ce petit de continuer à hurler sa souffrance longue de 3 semaines dans nos oreilles. Question bateau, je sais mais, si on devait te donner les pleins pouvoirs sur le monde mais pendant 10 jours seulement, que changerais-tu en premier ?

CharlElie : Si j’avais dix jours, dix jours seulement, j’intervertirais les rôles : les dominants seraient dominés, les repus auraient faim, les tortionnaires subiraient ce qu’ils font subir, les coupables devraient se juger eux-mêmes en regard de la loi, les idiots seraient malins, les petits seraient grands, les frustrés perdaient leurs complexes, les malades seraient médecins, etc.

Dix jours, dix jours seulement, juste de quoi donner la sensation aux uns de connaître comment l’autre fonctionne.


Allez, tans pis si ma question dérange. Quelles raisons as-tu d’espérer, de croire en l’avenir aujourd’hui ?

CharlElie : On vient à penser de plus en plus de façon globale, et la communication crée des liens de solidarité qui n’ont jamais été si grands. L’avenir est un avenir partagé. On ne peut plus s’isoler, se détacher du reste du monde comme on pouvait le faire. L’avenir se décline au pluriel.


Et, au fond, est ce que tu crois encore en un avenir ?

CharlElie : Tout dépend à quelle échéance on parle… L’accélération du processus, les échanges interplanétaires, les flux de population, le mélange des civilisations soufflent comme des éléments d’uniformisation. Cette standardisation des modèles ressemble à l’érosion. Celle des cultures est comme celle des pierres, on rejoindra tous la poussière. L’érosion aplanit les différences, celles qui génèrent la souffrance comme celles qui procurent les joies aussi.

Pourtant il y a ceux qui croient et ceux qui n’Y croient pas. Moi, je prends la vie, minute après minute et j’Y crois. Je crois en Celui qu’on a en nous, Celui qui nous relie et qui nous permet de nous comprendre.

Oui j’Y crois, je veux « Y » croire.


Entretien réalisé par Pierre Lefebvre © Primo

New York, Juillet 2009

link

CharlElie est chanteur, compositeur, peintre, écrivain et photographe français. Il vit à New York.

CharlElie a composé une "Ballade pour Ilan" qu'il a tenu à laisser libre de droit. Vous pouvez la télécharger légalement. Primo lui donne la parole alors que le procès des "Barbares" s'est piteusement tenu à huis-clos et que l'on attend le verdict final avec circonspection.

Téléchargez et écoutez "Ballade pour Ilan"


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Drzz 204079 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines