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Arabîzî : Maren, Yamli, Ta3reeb & Cie, la révolution des signes

Publié le 13 juillet 2009 par Gonzo

Arabîzî : Maren, Yamli, Ta3reeb & Cie, la révolution des signes

‘Arabîzî (عربيزي) : même si le mot ne vous dit rien, il y a de fortes chances que, comme monsieur Jourdain avec la prose, vous en fassiez tous les jours sans le savoir ! ‘Arabîzî (Arab Easy ?) est en effet un des mots utilisés pour arabiyyat al-dardashaعربية الدردرشة), en d’autres termes l’arabe des forums de discussion sur internet, ou encore des messages SMS et de Twitter plus récemment.

Même si la plupart d’entre elles sont désormais arabisées dans un univers de communications où le multilinguisme n’est plus un problème (graphiquement au moins !), nombre d’applications sont d’abord apparues en caractères latins, pour ne pas dire en anglais. Dès lors, il a fallu que les internautes et les utilisateurs de portables dans le monde arabe « inventent » un système de translittération entre les lettres de l’alphabet arabe et celles qu’offrait l’alphabet latin, à partir d’équivalences évidentes quand les sons se ressemblaient, mais également en choisissant des formules moins immédiates dans d’autres cas.

Tout cela s’est fait de manière parfaitement intuitive, en dehors de toute institutionnalisation, et on peut le voir, y compris avec les défauts du système, comme une des premières inventions collectives totalement portées par la « société civile » arabe confrontée à la révolution de l’information : sans être capable de mettre au point un système totalement unifié, le monde arabe existe néanmoins comme un tout qui fonctionne vaille que vaille !

Certaines solutions se sont rapidement imposées, à l’image du ‘ayn (ع) que l’on transcrit par une apostrophe à l’envers ‘ (comme dans ‘arabîzî) mais, bien plus souvent, par un 3, par analogie avec la forme (en miroir) de ladite lettre : 3arabîzî en l’occurrence. Dans d’autres cas, plusieurs solutions coexistent, au gré des utilisateurs. Le خ (khâ’) par exemple, qui se prononce en principe comme la jota espagnole, s’écrira kh, mais également 5, et encore ‘7 ou 7’ (tableau complet des variations possibles dans cet excellent article dans Wikipedia).

Arabîzî : Maren, Yamli, Ta3reeb & Cie, la révolution des signes
Selon les pays et les locuteurs, ce que les spécialistes nomment l’Arabic Chat Alphabet s’appelle également aralish ou arabish (contraction de Arabic English), ou encore « franco-arabe », souvent abrégé en franco. Aujourd’hui, les raisons objectives qui ont poussé à la création de ce système durant les années 1990 ne sont plus les mêmes, grâce aux progrès du multilinguisme. Cependant, l’ababîzî a certainement de beaux jours encore devant lui car il est devenu désormais une sorte de langage à la mode, un emblème de la jeunesse branchée – au sens original du terme – dont se sont emparés notamment les publicitaires arabes (comme dans cette pub photographiée à Beyrouth).

Politiquement, il y a bien des commentaires à faire sur cette lingua franca du troisième millénaire (sur la lingua franca, mélange de langues du nord et du sud de la Méditerranée qui a existé jusqu’à la fin du XIXe siècle, vous pouvez écouter en suivant ce lien la conférence de Jocelyne Dakhlia auteur d’un livre récent sur la question).

Avec le dialecte qui, à travers les publicités, les chaînes télévisées et même la presse, « pollue » la pureté de la langue originelle (voir ce billet sur le Maroc par exemple), les technologies de l’information et de la communication en général, et internet en particulier, constituent sans aucun doute un des vecteurs les plus puissants de diffusion de cette langue pleine de « défauts » : non seulement elle est l’apanage de ces jeunes qui se jouent des nouvelles technologies importées d’Occident, mais, en plus, les élites bien installées ne sont plus comme avant en mesure d’imposer leur domination (symbolique) par leur maîtrise des subtiles arcanes de la langue !

Dans une culture où la langue écrite peine à se libérer de toutes les valeurs, sacrées et politiques, qu’on lui prête (voir ce premier billet d’une série sur la question), cet abandon de l’alphabet arabe mais aussi d’une bonne partie de ses règles grammaticales, alors que l’arabîzî ne se gêne pas pour switcher allègrement, sur le plan lexical, entre les langues, peut être vécu comme une véritable menace, comme un « complot » tramé contre les racines identitaires de la nation.

Arabîzî : Maren, Yamli, Ta3reeb & Cie, la révolution des signes
Il faut dire que certains discours peuvent difficilement être plus maladroits. Ainsi, dans l’argumentaire qui a accompagné au début du mois de juillet le lancement de Maren, une application qui permet la « romanisation » de l’arabe (on tape des caractères latins que le logiciel transforme automatiquement en arabe), les responsables égyptiens de Microsoft Egypte semblent dire que personne dans le monde arabe n’est vraiment capable de taper à la machine dans sa langue ! De quoi énerver, de fait, quelques nationalistes (religieux ou non) un peu chatouilleux ! (voir les commentaires sur ce billet d’un blog - en anglais - à Bahreïn, où l’on trouve également la fameuse vidéo.)

Bien sûr, ils n’ignorent pas que l’arabisation est, historiquement parlant, le cas le plus fréquent, avec l’utilisation de l’alphabet arabe pour des langues aussi variées que le persan, le pachto, le baloutchi, le sindhi, l’ourdou (variante dite nasta‘līq), la kâchmîrî et la panjâbî (variante dite chahmoukhi), le turc ottoman, l’ouygour (le « yoghourt des musulmans ouverts » chers à Bernard Kouchner : vidéo à mourir de rire, ou de honte !), l’azéri (variante azerbaijani), le turkmène, le kurde, le haoussa (variante ‘ajamî), le swahili, le somali, le malais (variante jawi, au sultanat du Brunei), certaines langues caucasiennes, sans oublier les langues berbères d’Algérie et du Maroc (voir cet article sur Wikipedia à nouveau).

Mais ils savent également que l’époque moderne a vu également l’arrêt de l’expansion de l’arabe et de son alphabet, associé, qu’on le veuille ou non, à celle de l’islam. De ce point de vue, l’abolition du califat ottoman en 1924 est étroitement lié à cette autre décision d’Atatürk, tout aussi traumatisante dans l’imaginaire arabe contemporain, celle de la romanisation de la langue turque (désormais écrite en caractères latins), le 1er novembre 1928.

En turc, cette campagne de romanisation s’est appelée Dil Devrimi, « la guerre des signes » : tout un programme !

Arabîzî : Maren, Yamli, Ta3reeb & Cie, la révolution des signes

En plus de Maren, récemment lancé par Microsoft et qui a l’avantage de fonctionner off-line (mais sur un clavier Qwerty uniquement), on retiendra, plutôt que Ta3reeb lancé par Google en 2008, Yamli, produit par des développeurs arabes en novembre 2007 et qui ne cesse de s’améliorer depuis.


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