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La poupée fracassée...

Publié le 15 mai 2009 par Achigan
La poupée fracassée...
Il était une fois, une fillette brûlante et vigoureuse. Une artiste...
Une fois, dans sa jeunesse fragile, un homme, dans un café où elle jouait, lui a soufflé à l'oreille: "God you're an ugly girl, but I like the way you play."
C'était pourtant parti pour une envolée lyrique.
Ça donnait le frisson du génie son petit corps déployé sur son instrument, comme de la viande crue, très rouge, qui fait saliver.
Cet homme, le diable peut-être, avec ses quelques mots lâchés dans l'air enfumé du petit café, a fracassé la poupée nubile.
Elle, depuis cet instant de vertige, où toute sa vie s'est cristallisée dans son dernier retranchement, le talent, elle est demeurée arrêtée de l'intérieur, une horloge sans tic-tac.
Pour un coup, cela passait toujours de s'être fait dire cette phrase empoisonnée.
C'était comme un bloc de plomb, fiché entre les dents, mais cela faisait beau à dire dans un chanson. La libération passait par la parole et la musique.
Elle avait été bafouée, et en notes, ça sonnait comme une fée qui prend feu.
Mais lentement, le poison des mots a pénétré la chair. Cette phrase devenue obsession, incarnée même à travers une mélodie sinistre, l'habitait à la rendre folle, ne la quittait plus jamais.
Mais ce n'était que l'amorce, ce n'était rien encore que les peurs lorsqu'elles se pointent à l'horizon.
Qu'à cela ne tienne, la douleur attire la sympathie. Les foules se sont jetées à ses pieds. Les cafés, c'en était fini. Elle ne risquait plus de le revoir, cet homme horrible, qui l'avait poignardé de mots si sauvagement.
De fil en aiguille, l'argent est entré, et avec lui, ses milles et unes petites obsessions. Le talent ne suffisait plus à étancher le sentiment d'horreur qu'elle ressentait à être elle-même.
Elle devenait laideur. Elle dépérissait.
La jeune fille craquante devenait craquée.
Sa voix s'éraillait. Ses doigts perdaient la virtuosité d'autrefois. Et la laideur...envahissante, vrillée, jusqu'au plus profond de son âme.
L'artiste dérivait de ses authentiques fondements.
La poupée fracassée...
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Elle entama sa transformation. Elle deviendrait poupée.
Elle s'est offerte comme jadis, morceau de chair crue et chaud, à rapiécer, à rendre beau. Elle s'est habillée comme on les habille, quand on est une petite fille dans un monde de catins.
Maintenant, l'artiste est une oeuvre en soi. Un beau rafistolage vide...et triste.
Moi, j'y comprends que la blessure était trop vive, mais je regrette la perte de la vérité.

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