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Programmation militaire 2009-2014 : une nouvelle doctrine

Publié le 22 juillet 2009 par Theatrum Belli @TheatrumBelli

La loi de programmation militaire 2009-2014 présentée en conseil des ministres en octobre 2008 a fini par être voté en juin 2009 (1). Elle représente une mutation profonde de la défense, dans la continuité du livre blanc, mutation tant quantitative que qualitative. On note d'abord que les crédits d'équipements se situent à un niveau inférieur à celui qui était annoncé dans le livre blanc (18 milliards d'euros constants 2008 par an, soit 108 milliards d'euros pour 6 années ) puisque pour la durée de la programmation l'ensemble s'élève à 101.25 milliards d'euros (2). La différence (6,75 milliards) sera donc à reporter sur la programmation 2015-2020 pour que l'objectif puisse être atteint. La contraction est très nette en ce qui concerne les personnels : il s'agit de supprimer 54.000 postes. Ce chiffre est un peu minimisé dans le montant d'équivalent temps plein (ETP) à 45 888 . Il l'est encore plus avec la notion d'ETPT (équivalents temps plein travaillé) (3) à seulement 38.000 (4).


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Réduction des équipements

Mais c'est sur la programmation des équipements que l'évolution est la plus sensible : Les engins blindés à roues de contact (EBRC) sont prévus pour 292 exemplaires. Mais 72 seulement auront été livrés en 2020. De même à cette date, seuls 977 véhicules blindés modulaires (sur 2326) seront disponibles. L'armée de terre disposait en 1996 de 340 hélicoptères d'attaque et de manœuvre. En 2020, il n'y en aura que 151 (80 tigre et 71 NH 90). Pour la marine, l'objectif est de disposer de 18 frégates de premier rang (il y en avait 28 en 1996). Mais ceci suppose que les frégates multimissions (FREMM) seront au nombre de 11. Or le calendrier publié indique qu'en 2020, 8 bâtiments seulement auront été livrés. La même incertitude se constate pour les avions de combat : l'objectif annoncé est de 300 appareils (5) mais le calendrier publié se monte à seulement 195 appareils (118 rafale et 77 mirage 2000D multirôles). Ces évolutions quantitatives dessinent une armée plus « ramassée », privilégiant les unités spéciales et les capacités de projection « coup de poing », à même de remplir la fonction de forces spécialisées que la pensée stratégique américaine demande plus clairement aux européens.


L'évolution est aussi doctrinale :

Dans la préface du livre blanc, Nicolas Sarkozy parlait d'une « nouvelle doctrine » (6) C'est bien de cela dont il s'agit avec un concept de sécurité, démarqué du « national security » d'outre-atlantique, qui englobe un champ indéfiniment étendu. La présentation du projet de loi explique écrit ainsi : « en définissant une nouvelle stratégie de sécurité nationale appuyée notamment sur la politique de défense, la politique de sécurité intérieure et de sécurité civile et la politique de sécurité économique, les orientations du livre blanc imposent une refonte des dispositions relatives à l'organisation des pouvoirs publics » (7) Et le texte lui-même dans son article 5 déclare « l'ensemble des politiques publiques concourt à la sécurité nationale » (8), proposition d'une telle généralité qu'elle est indiscutable. Du coup le chapitre II mobilise le ministre de la défense mais aussi le ministre de l'intérieur, le ministre de l'économie et du budget, le ministre des affaires étrangères, le ministre de la justice, le ministre de la santé, les ministres de l'environnement, des transports, de l'énergie et de l'industrie ... Curieusement le ministre de la recherche n'est pas inclus dans la liste, ni ceux de l'éducation, de l'enseignement supérieur ou de la culture, ce qui serait pourtant cohérent avec cette extension indéfinie de la notion de sécurité.

Pseudo-aggravation de la menace terroriste

L'urgence de cette sécurité elle-même s'appuie sur une proposition importante : « par rapport à la décennie précédente notre politique de défense devra prendre en compte plusieurs infléchissements : la France , son territoire et sa population sont directement exposés à des menaces à caractère militaire ou quasi-militaire, en particulier le terrorisme d'inspiration djihadiste, le développement de missiles balistiques de longue portée par de nouvelles puissances, les conséquences des crises dans les zones stratégiques » (9). L'affirmation suivant laquelle la France serait plus exposé actuellement que dans la décennie précédente à des menaces terroristes mérite examen : en effet si on recense les principales actions terroristes « importées » (10) on constate que contrairement à des idées reçues les années 80 et les années 90 ont été beaucoup plus lourdes en attentats que les années actuelles :

  • Dans les années 80 c'est l'attentat de la rue Copernic (1980, 4 morts, 20 blessés),
  • l'attentat à l'hôtel Intercontinental (1981, 15 blessés),
  • l'action ASALA au consulat turc (1981, 1 mort, 3 blessés),
  • une voiture piégée rue Marbeuf (1982 1 mort, 63 blessés),
  • la fusillade de la rue des Rosiers (1982, 6 morts, 22 blessés),
  • une bombe à l'aéroport d'Orly (1983, ASALA, 8 morts, 50 blessés),
  • deux attentats à la gare Saint-Charles de Marseille et dans le TGV Marseille-Paris (1983, 4 morts, 45 blessés),
  • une bombe aux Champs-Élysées (1986, 2 morts, 29 blessés),
  • une bombe dans un marché à Toulon (1986, 4 morts),
  • une bombe à l'hôtel de ville de Paris (1986, 1 mort, 21 blessés),
  • une bombe au Pub Renault aux Champs-Élysées (1986, 2 morts),
  • une bombe à la préfecture de Paris (1986, 1 mort, 45 blessés),
  • une bombe rue de Rennes à Paris (1986, 7 morts, 55 blessés).

C'est donc une décennie particulièrement meurtrière.

Les années 90 sont marquées par le détournement de l'airbus AF8969 par le GIA en décembre 1994 et surtout par la série d'attentats de 1995-1996 :

  • attentat du métro saint-michel (1995, 8 morts, 150 blessés),
  • attentat à Villeurbanne devant une école juive (1995, 14 blessés),
  • bombe à la station RER port royal (1996, 4 morts, 170 blessés)

En juillet 2009, le bilan de la décennie 2000 se limite à l'attentat contre l'ambassade d'Indonésie revendiqué par le Front islamique armé français (2004, 10 blessés). C'est dire que la réalité d'une aggravation de la menace « terroriste » est loin d'être corroborée par les données factuelles. Malgré tout, le glissement de la doctrine stratégique française, corrélé à l'imbrication dans l'OTAN, se poursuit, sans susciter les débats de fond qu'une telle évolution devrait entraîner.

Jean-Paul HEBERT

Source du texte : CIRPES

(1) Voir chronologie dans Patrice Buffotot, « la loi de programmation militaire pour les années 2009-2014 :», Défense et sécurité N°26, 2ème trim. 2009

(2) dont 3.66 milliards d'euros de ressources exceptionnelles

(3) prenant en compte les temps partiels et le temps de présence sur l'année ... !

(4) François Fillon et Hervé Morin, programmation militaire pour les années 2009 à 2014 , AN, Doc. N°1216, 29 octobre 2008, (page 4)

(5) Fillon (Op.cité) page 71

(6) livre blanc Défense et sécurité nationale, page 10

(7) Fillon (op.cité) page 5

(8) ibidem page 21

(9) ibidem page 41

(10) c'est-à-dire hors les mouvements nationalistes (FLNC, ETA) ou d'extrème-droite et d'extrème-gauche français.


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