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LES "NOIRES VALLEES DU REPENTIR".Notes de lecture à propos de l'ouvrage du photographe ANDRE MARTIN.

Publié le 18 juillet 2009 par Regardeloigne

                                                          Catacombes capucins palerme             

« La compréhension" historique doit être conçue fonda­mentalement comme une survie de ce qui est compris, et il faut considérer, par conséquent, ce qui est apparu dans l'analyse de la "survie des œuvres comme le fondement de l'histoire en général»

                                                            

Capucins palerme

 

Deuil
Pour w benjamin (citation ci-dessus ), La survivance touche bien au « fondement de l'histoire en général ». C'est qu'elle dit à la fois un résultat et un processus : elle dit les traces et elle dit le travail du temps dans l'histoire. elle nous donne accès à une maté­rialité du temps que Benjamin exprime dans son attention aux vestiges, aux « déchets de l’histoire. elle vise la « préhistoire » des choses sous l'angle d'une archéo­logie qui n'est pas seulement matérielle, mais encore psychi­que

Le fait, pour une chose, d'être passée ne signifie pas seule­ment qu'elle est loin de nous dans le temps. Elle demeure lointaine, certes, mais son éloignement même peut surgir au plus près de nous - c'est, selon Benjamin, le phénomène de « l’aura » des œuvres (mais qu’on peut étendre à d’autres domaines culturels) par excellence « tel un fantôme non racheté, tel un reve­nant »

                                                          

Culte des reliques naples

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L'Histoire de l'Italie du Sud est à ce titre une succession d'inva­sions et de dominations étrangères : les Grecs y séjournèrent six siècles, l'Empire romain s'effrita devant la poussée des Goths et des Byzantins qui conservèrent les territoires du Sud malgré les raids musulmans. Aux XIe et XIIe siècles, les Normands instaurèrent un régime féodal qui laissa ses marques dans la culture sicilienne. Les dynasties allemande, angevine, aragonaise et autrichienne établirent leur domination dans une atmosphère de luttes de vassaux, puis de révoltes sous les Bourbons et les Bonapartistes. Les soulèvements libéraux et les formations de sociétés secrètes contre l'occupation française divisèrent le pays. Garibaldi s'empara avec ses Mille du royaume des Deux-Siciles ; la chute de l'Empire français, suivie de la dissolu­tion des Etats papaux, permit de faire la jonction avec le Nord et d'achever l'unité italienne en 1870.
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Celle-ci ne se fit pas pourtant sur le plan économique social. Le Mezzogiorno, longtemps considéré comme une colonie du Nord, resta isolé géographiquement et culturellement, l'insularité de la Sicile et son héritage historique la tenant à l'écart des bouleversementsdestempsmodernes. Les réformes agraires échouèrent, malgré les tentatives de la République ; la pauvreté du sol, la rudesse du climat, les difficultés de communications dans les régions isolées et montagneuses du Mezzogiorno ne facilitèrent pas l'élaboration de solutions. L'intérieur de la péninsule, dénudé et austère, ne connut pas l’ industrialisation : les capitaux utilisés pour tenter de lancer une industrie dans le Sud étaient en majorité des capitaux du Nord, et les riches propriétaires sudistes n'investissaient guère leur argent sur place.

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Le gaspillage fut fléau du Sud : gaspillage des forces de l'homme, des capitaux mal utilisés, de l'eau mal endiguée, et des ressources naturelles laissées en friche. La Mafia, pénétra les structures politiques et sociales, exerça sa pression à tous les niveaux par le chantage et le crime. La loi du silence des Siciliens favorisa la Mafia au service d'un ordre traditionnel dont elle profita, et contre toute forme d'émancipation qui supprimerait ses privilèges. Au cours des siècles, banditisme et mysticisme évoluèrent dans le même sens que la misère.

Fatalité du sort, oppression et catastrophes naturelles étaient acceptées par les paysans comme une malédiction qu'ils ne savaient conjurer sinon par les forcessurnaturelles et la magie. Ce pays coincé entre "l'eau salée et l'eau bénite » en conservant des formes de mysticisme que le Moyen Age avait connues trouvait alors dans la participation au sacré une compensation à sesmalheurs.

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Les espaces sacrés jadis réservés aux cultes antiques gardèrent aux yeux des habitants leur potentialité sacrée ; l'Eglise catholique, en christianisant les lieux où avaient été découvertes des statues de divinités antiques, en fit des lieux de culte où l'homme puisait la force accordée par le dieu ou le saint qui l'habitait. Les saints chrétiens martyrs rempla­cèrent les dieux païens, Marie prit la place de Déméter et de Cérès sur les collines arides de la Lucanie et de la Calabre. «  Habitant d'un pays naturellement pauvre, n'ayant pas été touché par les grands courants de la pensée européenne, le paysan du Sud, fidèle au passé, manifeste une prédilection pour les fêtes religieuses où se mêle le profane, qui lui permettent de rompre avec la monotonie et l'angoisse de la vie. Le sentiment de puissance qui se dégage du sacré le rassure, l'image de la Vierge ou du saint intercédant auprès de Dieu lui garantit la sollicitude de l'être adoré qui peut tout pour lui qui ne peut rien »michelle caroly .introduction « aux noires vallées du repentir 

                                                                   

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Après la seconde guerre mondiale, l’anthropologue italienernesto de martino commence à s'intéresser à l'ethnographie de la société contadine du sud de l'Italie. De cette période parfois appelée « méridionaliste », relèvent ses œuvres les plus connues dont « le monde magique » et la « terre du remords.l’approche innovante de ces études fut en outre la participation d’une équipeinterdisciplinairecomportant médecin, anthropologue des cultures et des religions ,psychiatre, musicologue et cinéaste .

(pour la pensée de de martino ici tres brièvement indiquée et son travail sur « mythe de la tarentule » cliquer sur la catégorie de martino)

Selon la thèse fondamentale du « Monde magique » (1948), les concepts qui orientent notre historiographie moderne sont incapables de permettre la compréhension du monde magique(sinon comme irrationalité et grossière superstition de paysans primitifs et arriérés) parce qu’ils sont historiquement étrangers et relèvent trop de l'approche positive d'un être au monde "décidé et garanti ;

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le propre du monde magique est d’être au contraire « une présence au monde labile et fuyante(aliénation socio/culturelle) « que le magisme cherche justementà stabiliser ». Les pratiques magiques sont abordées positivement comme des «techniques» psychosociales destinées à protéger la «présence de l’homme» dans son monde,(concept prédominant chez l’auteurrenvoyant à la pensée d’un être pleinement sujet et centre de ses décisions et de ces actions).L'intérêt dominant du monde magique n'est pas de réaliser, comme on le pense, des formes particulières de la vie spirituelle, mais de reconquérir et de consolider l'être au monde élémentaire, ou présence de la personne.

« L’attention se portera sur les rapports entre ces survivances et la forme dominante de la vie religieuse, c'est-à-dire le catholicisme dans ses accents magiques particuliers au Midi. Ainsi seront indiqués les nombreux rapports, passages, syncrétismes et compromis qui relient la basse magie extra-canonique aux modes de dévotion populaires et aux formes officielles mêmes de la liturgie. Le panorama qui en résulte peut paraître, à première vue, extrêmement désordonné, contradictoire, semé de coexistences absurdes et, cependant, un examen plus approfondi permettra de discerner le thème unique qui relie des éléments aussi hétérogènes, c'est-à-dire le besoin de protection psycholo­gique en face de l'extraordinaire puissance du négatif dans la vie quotidienne et de l'insuffisance de comportements efficaces « réalistement » orientés.

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D'autre part, les comportements magiques ne sont absolument pas la démonstration d'une autre logique, mais seulement l'adaptation de la cohérence technique de l'homme avec cette fin particulière qui est la protection de la présence individuelle en danger de se perdre. Par rapport à un tel rôle, les techniques magiques déploient une cohérence qui, en soi, n'est en effet pas moindre que celle employée pour le contrôle réaliste de la nature et pour la fabrication des instruments matériels. L'équivoque naît lorsqu'on juge la magie sur le même plan et par rapport à la même finalité que la science moderne ; avec le résultat soit de ne plus pouvoir distinguer les pratiques magiques et la vie religieuse même des délires et des aberrations de l'esprit humain, soit de postuler pour une « structure » de la mentalité primitive qui « empêcherait » de voir les choses telles qu'elles sont » ernesto de martino la terre du remords »

« Force magique », possession, ensorcellement comme exorcisme offrent un cadre représentatif stable, socialisé, institutionnalisé, dans lequel l’aliénation se transpose sur un plan supra-tem­porel (le sacré comme radicalement autre). »Ainsi se dessine alors le moment protecteur de la magie, le mythe en tant qu’exemplerésolutif de l'événement et le rite en tant que répétition du mythe » (de martino.la terre du remords)

                                                            

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A partir de 1960 le photographe andré martinmédiatise par ses images le contexte social et culturel de l’Italie du sud à partir de la lecture de de martino..Il en tire un ouvrage de photos bouleversantes :les noires vallées du repentir(2000) et en confie la préface à françois laplantine-- ethnopsychiatreet professeur à l'université Lyon 2 Lumière. .d’où le très beau texte suivant

« Voici un livre d'une terrible beauté qui ne pourra laisser l'œil du lecteur indifférent et qui introduira, je crois, dans son esprit quelque trouble lorsqu'il l'aura refermé. On ne peut aborder les images sévères etsouvent terrifiantes d'André Martin avec neutralité. Elles nous restituent dans leur brutalité, l'expression de la douleur d'un peuple ainsi que les moyens traditionnels, faits de rituels magiques et de cérémonies religieuses, que ce peuple a élaboré depuis des générations pour supporter les difficultés de l'existence, combattre la maladie et transformer, le temps d'une fête ou d'un pèlerinage, le désespoir quotidien en espérance infinie. Mais cette fois-ci, il ne s'agit pas de paysans du Moyen Age appartenant à une époque que l'on croit à jamais révolue, ni d'Africains si éloignés de nous, que l'on pense que nous n'avons presque rien de commun avec eux. »…

                                                                      

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« Ces visages graves, emprunts de ferveur et d'exaltation, qui continuent à célébrer des cultes aux saints plutôt que de s'adresser au Dieu unique ou aux techniques modernes de "désaliénation", sont nos contemporains : des Italiens du Sud et des Siciliens, c'est-à-dire des hommes et des femmes formés dans notre culture et la partageant avec nous. C'est la raison pour laquelle, en plus de la violence des scènes auxquelles nous allons assister en parcourant ces images, nous sommes, qu'on le veuille ou non, profondément concernés, effective­ment et passionnellement, par cette prégnance décidément tenace du sacré, non pas là-bas très loin, chez des gens qui seraient sans commune mesure avec vous et moi, mais chez nous, à quelques heures de voyage par l'autoroute. 

Certains d'entre nous pourront bien sourire, et il n'en manquera pas, de la répétition rythmée de formules incantatoires destinées à chasser le Malin, du rituel de l'exorcisme et du culte à la Madone, mais le sourire ou ladérision sont aussi des manières habiles d'exorciser ce qui nous effraie le plus et fait précisément problème. D'autres, à l'opposé de l'allergie horripilatoire devant ce que l'on qualifie un peu vite et un peu à la légère de supersti­tions et de "recettes de bonnes femmes", éprouveront au contraire une secrète fascination et une irrésistible nostal­gie pour le bon vieux temps. Ils "colleront" alors aux images d'André Martin, car ces dernières leur feront plaisir »

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« L'un des mérites de la compréhension ethnologique telle que je l'éprouve personnellement - car l'ethnologie est aussi une épreuve - c'est qu'elle est tout le contraire d'une grille de décodage dont on disposerait à la manière d'un savoir préexistant et immuable, que l'on promènerait avec soi au fil des cultures visitées et qui décernerait des brevets de réussite sociale. Elle suppose tout au contraire l'implication affective, profonde du chercheur dans le champ de sa recherche qui doit tenir compte, c'est le moins qu'on puisse exiger de lui, de l'analyse et de la maîtrise de ses propres fantasmes en face de ceux des autres. Si cette atti­tude ne va pas de soi, c'est qu'elle n'est pas de tout repos : elle entraîne en effet un mouvement perpétuel de va-et-vient entre l'identique et le différent, le même et l'autre, la situation de l'observateur et de l'observé, placés tour à tour au dehors et au dedans et dont les positions respectives risquent de basculer à tout moment jusqu'à s'inverser.

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C'est la raison pour laquelle les différents rituels thérapeutiques, qui sont pratiqués en Italie du Sud et en Sicile, nous concernent. Ils font resurgir dans notre horizon d'hommes urbains du XXe siècle une mentalité et une pensée magique que nous nous sommes efforcés tant bien que mal de refouler, mais qui sont aussi les nôtres. Enfin le face-à-face impitoyable, avec ces cérémonies de guérison et ces pèlerinages apuliens ou siciliens dont je vais maintenant parler, engage le chercheur dans une épreuve infiniment décapante pour lui, parce qu'il permet de désamorcer (partiellement il est vrai) la relation le plus souvent asymétrique, et par conséquent violente, de la culture rationaliste vis-à-vis de la culture magique. Il permet aussi, en nous plaçant alternativement à l'intérieur et à

l'extérieur, en "collant" aux images d'André Martin, puis en prenant nos distances, de nous interroger sur nos propres méthodes psychiatriques et médicales, qui véhiculent sans doute en secret des systèmes de représentations qui ne sont peut-être pas très loin de ceux des paysans de la botte italienne. »

                                                                               

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« Mais avant de prendre position sur l'efficacité des psychothérapies et des sociothérapies traditionnelles en Italie du Sud, qui sont simultanément des liturgies et des rituels de la dramatisation et de la dédramatisation du mal, du malheur et de la mort, avant de nous demander si les villageois siciliens écrasés par la misère, le sous-dévelop­pement et la rigueur de l'ordre patriarcal ne monteraient pas de toute pièce un gigantesque délire collectif, il importe, en regardant attentivement les images d'André Martin, que nous écoutions ce que la conscience de ces villageois nous dit, que nous acceptions - fût-ce provisoirement - ses propres critères du normal et du pathologique, du profane et du sacré.

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Les premières images du livre suggèrent d'emblée le cadre géographique, économique et social sur lequel viendra se greffer la conscience mythique du groupe : ces paysages dénudés et désolés de Lucanie, de Calabre, des Pouilles et de Sicile, ces villages d'une pauvreté extrême, ces popula­tions analphabètes pour une bonne part, peu touchées par le contact avec le monde moderne, accablées par la rudesse du climat et l'épreuve du sous-développement, sont pro-Pices à l'irrationalité collective et à la répétition rituelle ae la tradition… ».

L’auteur évoque alors de martino et son étude sur la tarentule (voir articles correspondants). A partir du symbole de la tarentule en effet , s'étend, s'enrichit et forme la texture vivante d'un mythe d'une puissante intensité : le mythe de l'agression du "mauvais passé" qui, » comme le dit Ernesto de Martino, "mord" et "remord" chaque année à la saison chaude où les paysans récoltent ce qu'ils ont semé »

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Les morsures attribuées à la tarentule monstrueuse(en fait inoffensive)donne lieu à un syncrétisme liturgique à la fois chrétien(protection de l’apôtre st Paul) et magico-mythique :

« Dans ce culte, au premier abord d'une singulière étrangeté, les femmes ne se contentent pas, comme tout à l'heure, de parcourir le sanctuaire à plat ventre : elles ram­pent sur le dos en poussant des cris, grimpent sur l'autel, et puisqu'elles sont devenues des tarentules, la foule des fidèles rassemblés pour la circonstance ne s'en approche qu’ avec précaution, car, comme on dit à Galatina : "Elles sont dangereuses." Oui - c'est sur ce phénomène paroxystique que je voudrais m'arrêter quelque peu, tant je suis frappé par la richesse et la luxuriance des symboles ici évoqués et mis en jeu.

Le mythe de la tarentule s'appuie comme tous les mythes sur un support réel, et d'abord sur le fait suivant :l a morsure venimeuse d'une petite araignée qui s'appelle le latrodecte.

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Mais d'emblée, l'imagination paysanne se met au travail : le latrodecte, dont la morsure engendre un syndrome toxique très grave, ne répond pas aux caractéristiques que les hommes et les femmes des pouilles projettent sur ce qui leur apparaît monstrueux et redoutable…. C'est une autre araignée, la "lycose tarentule", qui est parfaitement inoffensive elle, mais qui a un aspect velu, une couleur sombre, une taille impressionnante et un comportement terriblement agressif l'été à l'époque de la ponte des œufs, qui se voit attribuée les caractères de la première. Si l'espèce zoologique "tarentule" se transforme en un symbole, celui d'une bête féroce qui agresse l'homme au moment des récoltes annuelles, c'est en raison d'une série d'images qui sont ressenties comme particulièrement puissantes et qui frappent l'inconscient villageois de la région de Galatina,… »

« L'animal mythique, qui "mord" et "remord" chaque année, est un animal coloré, sonore, chantant et dansant. Il faut donc pour en venir à bout faire appel à de petits

orchestres ambulants composés de violons, de cithares, et de tambourins qui joueront ces mélodies bien connues des Italiens, et qui précisément s'appellent les "tarentelles".

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Puisque la morsure est musicale, elle ne peut être évoquée qu'en jouant de la musique, puisque la tarentule se déplace en dansant la tarentelle, il faudra la lui faire danser. Enfin puisqu'elle aime les couleurs, on devra lui lancer toute une gamme de tissus, de rubans et d'étoffes. Le premier moment du rite consiste à engager un dialogue avec l'arai­gnée, et pour cela il faudra trouver la note juste, l'air qui lui convient et la couleur qui est la sienne. Les musiciens, comme une véritable équipe thérapeutique au travail, sont les intermédiaires entre les individus - ce sont le plus souvent des femmes - possédés par l'araignée et le sacré. Ils interviewent la bête, posent ce qu'il faut bien appeler un diagnostic, qui entraînera à son tour un pronostic. Certaines tarentulées sont allergiques à certaines mélodies, à certains pas de danse et à certaines couleurs. D'autres, en revanche, dès que la note juste a été trouvée, éprouvent une irrésistible impulsion à danser la tarentelle.

                                                                             

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Le caractère festif et liturgique du mythe de la tarentule en action, qui est à la fois

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une soupape de résolution et de défoulement des conflits individuels et collectifs et un régulateur de l'ordre social, montre à l'évidence les limites d'une interprétation exclusivement psychologique et psychiatrique, incapable à elle seule de rendre compte de la totalité d'un phénomène comme celui-ci. On ne peut oublier  la grande misère de la Sicile et de l'Italie du Sud, le sous-développement, l'exploitation et le gaspillage de la terre et des hommes. Les tarentules se répartissent d'une manière préférentielle, par famille, par sexe et par classe sociale. Il y a peu de chance fait remarquer f. laplantine que le grand bourgeois napolitain joue à la tarentule. En revanche, dans une société encore aujourd'hui terrible­ment patriarcale qui étouffe la femme et interdit l'amour en dehors du mariage, la possession par l'araignée est une des solutions possibles mise à la disposition des jeunes filles en fleur condamnées à la continence sexuelle, des épouses recluses et des veuves, pour qu'elles se libèrent d'un passé d'exploitation, de soumission et de pauvreté. La première morsure coïncide le plus souvent avec la puberté, et ce sont les adolescentes, plus enchaînées que les jeunes gens par les exigences d'un ordre familial écrasant, qui explosent et se livrent aux étreintes amoureuses avec la bête, avec saint Paul, avec l'un et l'autre.

                                                                       

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« Ainsi, ce "retour du refoulé", qui explose au grand jour et est d'emblée reformulé dans des canaux sociaux accep­tables par tout le monde, doit-il être mis en relation avec la condition sociale et économique des paysans d'Italie du Sud. Enfin, à la misère, à la ségrégation et à la faim s'ajoute la fatigue des récoltes. L'été apulien est une saison haras­sante. C'est l'époque où l'on s'expose aux coups d'un soleil brûlant. C'est aussi l'époque la plus dramatique de l'an­née, où l'on vit dans l'espoir du "pain" et du "vin", où l'on pourra régler ou non les dettes accumulées tout au long de l'année, et où se régleront les comptes d'un passé qui a toujours été éprouvé, en Italie méridionale, un peu comme une malédiction et un destin inéluctable. Cette saison, où les villageois et les villageoises dépensent toutes leurs forces jusqu'aux limites de la résistance humaine, devient l'horizon symbolique d'évocation et d'expression du "mauvais passé". Ceux qui sont fragilisés par leur enfance et leur misérable condition sociale n'en peuvent plus, craquent alors littérale­ment et se mettent à jouer le comportement de l'agresseur ; e* 1 agresseur, ce n'est pas seulement l'araignée, c'est toutce qu'elle désigne. Comme en Afrique noire, cette forme de possession méditerranéenne (issue des anciens cultes helléniques qui se sont laissés mouler et discipliner dans les cadres du catholicisme italien pour former une combi­naison syncrétique pleinement originale) est l'instrument social des classes opprimées, des femmes en particulier, qui récupèrent par ce biais un peu de puissance contre les couches dominantes. »
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Rejoignant de martino, francois laplantine rejettela dérision facile comme les interprétations souvent méprisantes et dévalorisantes ; les réductions desséchantes dans les grilles préétablies de la "psycho quelque chose", ou de la "socio quelque chose", et où le plus souvent notre culture savante fait le procès d’une autre. Rendre compte des systèmes de représentations traditionnelles méditerranéennes, comme d'un espace fantasmatique et illusoire venant doubler d'une manière superflue le réel, serait entretenir l'illusion d’un ethnologue contemplant les autres d’un point de vue impartial et neutre(celui de dieu en fait)…refusant d’invoquer le délire psychotique comme grille d’interprétation ,il montre la présence ,dans les rituels d’envoutement ,d'un langage d'emblée culturel qui assure la communication entre les hommes. La crise d'agitation hallucinatoire aiguë agirait elle, dans un sens rigoureusement inverse : en désocialisant la personnalité en la désindividualisant et en l'appauvrissant

«  Elle est un échec et une grimace de la possession, elle est la réduction du mythe au symptôme, à travers lequel le psychiatre parisien, lyonnais, romain ou napolitain n'a évidemment cette fois aucun mal à diagnostiquer le processus d'une pathologie conventionnelle qui, non dans son contenu, mais dans son économie, lui est familière. Alors que la décompensation hallucinatoire camoufle et révèle simultanément une angoisse individuelle qui est souvent une souffrance atroce, les pratiques culturelles traditionnelles des Italiens du Sud et des Siciliens sont la célébration fervente et enthousiaste d'un mythe collectif, c'est-à-dire d'une parole socialisée qui circule entre tous les participants. »

« Ces cérémonies cathartiques d'exaltation, qui s'efforcent de redonner un sens au désordre en le socialisant, sont d'abord la célébration de rituels joués et symbolisés qui se déroulent à la limite du théâtre. Il existe un moment de la compréhension où l'approche artistique. qui est celle d'André Martin, rejoint l'approche de la science .. Je pense notamment aux livres de Claude Lévi-Strauss, qui a su construire une oeuvre ethnologique résolument scientifique parce qu'il est aussi un poète.

Les images d'André Martin accompagnées de leurs commentaires en disent long, à mon avis, sur l'inconscient culturel, la mémoire villageoise et l'imagination des paysans de Calabre, de Sicile et des Pouilles. »

L'ensemble des textes ci dessus sont des extraits de la préface de FRANCOIS LAPLANTINE.

                                                                     

Conteur populaire

Ci dessus un conteur populaire présentant des "exvotos"


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