Christine Boutin furieuse. Yves Jégo malheureux. Je tais les noms de ceux qui souffrent probablement en silence. Par pudeur sans doute, je ne me suis jamais exprimé sur le sujet. Pourtant, j’ai mon idée la dessus et depuis longtemps. Elle n’est cependant compréhensible que par ceux qui l’ont vécue. Accepter d’entrer dans un gouvernement est en fait d’une rare sottise. Sans doute la vanité y est-elle pour quelque chose. Mais le pire est surtout le consentement donné sans avoir le temps de la réflexion. Généralement, vous êtes appelé tard le soir pour vous entendre dire que vous allez sauver la France et que, tel le pompier dans sa caserne, vous devez bondir au secours du Pays et accepter, sur le champ, une mission que personne d’autre ne saura mieux que vous remplir. Par curiosité, par faiblesse, ou par orgueil, vous finissez par accepter. Dès le lendemain, vous mesurez l’étendue de cette folie. Vous abandonnez votre famille, votre siège au Parlement, votre fonction de Maire ou de Président d’Assemblée, votre activité professionnelle et parfois l’estime de vos vrais amis. Mais il est trop tard pour reculer car vous êtes dans la seringue et personne ne comprendrait un renoncement immédiat. Ce serait pourtant le plus sage. Pour soi même et pour le Pays. Vous pourriez ainsi poser les conditions de votre engagement, obtenir des éclaircissements sur la politique que vous aurez à mener, savoir au moins le « pion » de qui vous devenez. L’erreur est en effet de croire que votre personne puisse compter pour un tout petit iota. Que nenni, vous êtes l’alibi d’un système tellement emmêlé que personne n’en décrypte la logique, si elle existe. En tout cas, vous devenez un avatar sans le savoir.
Comme il n’y a aucune solide raison qui justifie votre nomination, il n’en existe pas davantage pour votre éviction. Elle se produit comme l’épluchure d’un fruit qui se gâte progressivement. Malheureusement pour vous, vous êtes une personne douée d’un cœur, d’une conscience, et d’un brin de sensibilité. Et vous trouvez rude le mauvais moment à passer. S’enchainent immédiatement les problèmes matériels de votre nouvelle condition d’ex ! Votre famille s’est habituée à vivre sans vous. Heureusement, elle vous accueille comme l’enfant prodigue. Quant au reste, votre ancienne fonction, votre job, le confort matériel auquel vous vous étiez insidieusement habitué s’envolent ou leur disparition vous apparait soudain au grand jour. Sans compter la séparation brutale et douloureuse d’avec les équipes avec lesquelles vous venez de partager des jours et de nuits de labeurs épuisants.
Inutile d’ajouter que le téléphone et les amis les plus zélés qui ne cessaient de vous trouver des mérites incommensurables brillent par leur assourdissant silence. Il faut des mois pour se remettre d’une telle épreuve. Probablement ne s’en remet-on jamais totalement car la frustration est trop violente pour ne pas laisser des traces profondes en vous. Généralement on vous a forcé à faire en partie ce que vous vous refusiez avant d’imaginer. Et les seuls mérites dont vous pourriez, éventuellement, vous prévaloir sont totalement inconnus de l’opinion. Alors vous restez seul. Seul. Avec votre remord d’avoir un soir, une nuit, accepté d’entrer dans un univers que vous croyiez doré et qui n’était, en fait, qu’une prison ! Plusieurs années après, vous découvrez, mais un peu tard, que ce jour de tristesse était en fait jour de délivrance. Bon courage, Christine, Yves et les autres.