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Plage croate de Bratza

Publié le 26 juillet 2009 par Argoul

La nuit se passe, calme et tempérée. C’est le jour naissant qui me réveille en premier, avant que le soleil ne surgisse de la crête, vers 7h15, rendant vite le duvet étouffant. Les autres s’ébrouent déjà, réveillés eux aussi par la lumière naturelle. Nous prenons le petit-déjeuner avant de remballer nos affaires. Eff et Le Vieux prendront chacun un kayak seul pour compenser la défection inopinée des autres. Le Vieux joue ainsi son rôle de « chef » de famille, « responsable » et « plus fort que les autres ». Tout comme Mariam, grasse et lippue, joue son rôle d’adjoint du moniteur sous prétexte qu’elle a un vague brevet de kayak. C’est étonnant cette manie qu’ont certains de se poser comme « chef » dès que l’on met avec eux plus de trois personnes.

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Ce matin va mieux. J’ai repris les gestes acquis et l’aspirine en préventif, à la fin du petit-déjeuner, désenflamme les tendons irrités de mon avant-bras droit. Nous longeons encore la côte sud de l’île avant de traverser le chenal qui la sépare d’une autre île nommée Brateh. Quelques ferries et gros bateaux font le trafic entre les îles, des voiliers de plaisance aussi. A bord, des Croates de la ville, des Italiens, des Allemands. Après deux heures et demi de pagaie aux mouvements rythmés automatiques, nous nous arrêtons pour une étape d’une heure dans une crique solitaire où l’eau est si claire que l’on dirait un aquarium. Elle est tentante pour la nage et nous nous laissons vite tenter, Braque étant déjà en slip avant que d’aborder. Puis nous séchons sur les rochers plats, au soleil bienfaisant, avant de pique-niquer de thon à l’huile, de concombre, de pain et de poire. Ce n’est pas imaginatif mais, cette fois, correct. Eff nous conte son exploit, le tour d’Irlande solitaire en kayak de mer. Il a mis 75 jours en couchant à terre tous les soirs. Il s’est fait sponsoriser, notamment pour l’achat du bateau, et compte s’attaquer à l’Ecosse par le Loch Ness.

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Nous reprenons les pagaies pour une heure et demie. C’est moins drôle qu’au matin car la chaleur monte et la fatigue s’accumule dans les muscles. Il y a toujours une pointe supplémentaire à doubler à l’horizon. Nous croisons de petits canots de pêcheurs, un enclos marin à poissons où quelques centaines de mouettes attendent la pitance qui arrive chaque jour à heure fixe. Quelques croiseurs fortement motorisés ont un sillage qui crée une houle renversante mais nos kayaks, souples et bas sur l’eau, résistent en collant à la vague comme des bouchons. Elke et moi faisons un dernier forcing pour doubler le kayak des adolescents et jouer à arriver les premiers sur la plage. Elle est tapissée de cailloux, des blocs de calcaire à peine usés aux angles par le brassage de l’eau. Nous sommes en fond de crique. C’est un bel endroit pour aligner tous nos kayaks le museau vers la terre, hors de l’eau, dans un rang tout militaire en rouge et noir. Le fond marin est clair, très peu d’algues créant des taches sombres sur le fond de blocs calcaires. L’eau est si transparente que l’on croirait les bateaux au mouillage suspendus au-dessus d’elle. Y nagent de petits poissons couleur sable et argent, un anneau noir à l’origine de la queue, et de minuscules poissons d’un bleu fluorescent. Des oursins noirs parsèment les fonds près du bord et il faut faire attention où l’on met les pieds.

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Le paysage qui nous entoure pourrait être grec ou turc, incontestablement méditerranéen. Sur le rocher calcaire poussent la sauge et le pin. L’air embaume la résine. Les cigales crissent au soleil. La brise, chaude fait se taire les oiseaux. Nous attendons que le soleil tombe avant de faire autre chose que sommeiller ou lire. J’ai confectionné un siège à dossier avec un coussin double de kayak coincé par une grosse pierre. Braque, qui trouve ce procédé ingénieux, m’imite.

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En fin d’après-midi, nous montons la vallée qui vient mourir dans la crique. Nous sommes un long moment à l’ombre des pins, des oliviers et des noyers, plantés par les moines du village de Bratza. Le monastère existe toujours, fermé aux visites après 17h. La date de 1892 est gravée sur le porche mais la rénovation de la façade paraît récente. Un grand bassin en contrebas recueille l’eau de pluie et un robinet permet de remplir une auge pour les chèvres qui errent dans la montagne. Des maisons écroulées, plus bas, prouvent le moindre attrait pour la vie érémitique, l’exode rural, ou peut-être les progrès de la sécheresse dans le pays. Nous redescendons prendre un bain et laver la sueur née de la marche.

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Avant que l’azur nous ait abandonné, nous faisons un feu (cette réminiscence des vers d’Eluard que j’ai aimé me vient). Il s’agit de préparer des nouilles instantanées Leader Price, achetées par GNGL-le-Radin, qui constitueront tout le repas. C’est le menu des colonies de vacances, favori de l’obèse Mariam. La conversation n’est entretenue que par la famille et autour d’elle. Rien ne peut prendre en-dehors d’eux, que des apartés. A quatre, ils font masse dans un groupe réduit à huit. Ils ne sont pas désagréables et même plutôt intéressants à connaître, chacun avec sa personnalité, mais la connivence joue à plein, rejetant les autres. Il est plus tard qu’hier quand nous nous couchons, moi sous les arbres, d’autres sous les tentes « contre les moustiques ». J’installe ma couches sur les aiguilles de pin, dans une odeur propice au sommeil. L’obscurité est tombée depuis un moment et les derniers Italiens des voiliers venus au mouillage vers la fin d’après-midi rentrent de leur promenade. Personne de notre groupe n’a décidé de partir ce soir. L’engrenage des « Dix petits nègres » s’arrête net.

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Sous la forêt de pins, ce n’est pas le jour qui m’éveille, ce matin, mais le crissement des cigales. Ces bêtes agitent leur élytres dès que la lumière atteint un niveau suffisant pour exciter leur verve. Nous nous éveillons tôt, les bateaux au mouillage ne sont pas encore levés. Nous avons le temps de lentement ranger nos affaires. Braque se fait un plaisir d’allumer le feu pour faire chauffer la bouilloire. Il installe, bien aligné sur une planche, les bols, gobelets, cuillers, fourchettes et couteaux du couple qu’il forme avec sa sœur. Il compose un tableau ordonné, précis, d’architecte. Il n’est pas passionné de dessin pour rien : son émotion y rencontre sa raison. Les deux s’installeront, de part et d’autre de la planche, elle sur un coussin en polystyrène, lui sur un siège de kayak calé par un rocher, comme il m’a observé hier le faire. Il n’a pas l’œil dans sa poche, Braque, aussi observateur et attentif que je le suis. Sans que l’on s’en doute, les autres vous observent les observer.

Les bateaux au mouillage s’ébrouent et nous avons l’heureuse surprise, dans celui qui s’est placé au plus près de la plage, de voir surgir quatre enfants, ce qui est rare dans les familles italiennes d’aujourd’hui. L’aîné est un garçon qui peut avoir 14 ans, le suivant 12, la fillette 10 et le dernier 8. Un moment, j’ai pris les deux aînés pour des jumeaux, mais le plus grand était le plus hardi, pissant torse nu à la poupe du bateau au sortir de sa couchette, enfilant à la diable un débardeur devenu trop petit, déhalant tout seul le canot pneumatique sur l’aussière de mouillage. Le cadet était plus sensuel, faisant disparaître ses deux bras sous son débardeur un peu lâche (d’où l’illusion, de loin qu’ils pouvaient avoir le même âge), caressant sous la toile sa peau rendue sensible par la morsure du soleil et du sel. Les deux garçons ont débarqué sur la plage pour une promenade, l’aîné retournant en canot chercher sa mère et sa sœur. Ils ont regardé les kayaks alignés et nos préparatifs de départ. Le petit de 8 ans a le cheveu plus foncé mais la peau du même caramel que ses frères, derme lisse et chair ferme d’une savonnette. Il existe encore des familles de rêve en vrai, hors des magazines.

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